samedi 20 mai 2023

SNU sur temps scolaire : la faute de l’Education nationale

Le SNU sur temps scolaire, suivant les mêmes règles et modalités que celles d’un voyage scolaire, c’est le nouvel avatar de la mise en place d’un dispositif assumé sans complexe par le service public d’éducation. Bien autre chose qu'une simple tocade présidentielle. En tout état de cause, les annonces qu’a laissé filtrer la secrétaire d’état qui en a la charge confirment que le SNU est d’abord la chose de l’Education nationale, promotrice et organisatrice d’une forme de décervelage collectif dont l’armée – d’ailleurs curieusement peu présente dans le SNU – avait autrefois le monopole.

Depuis l’annonce officielle faite par Macron en février 2018 – on s’étonne que d’aucuns feignent le découvrir le sujet avec cinq ans de retard – le rôle de l’Education nationale s’est vu renforcé et banalisé pour faire du SNU un moment comme les autres du cursus des élèves. « Les deux phases [du SNU] -  peut-on lire dans l’annexe au projet de loi de finance 2021 -  s’inscrivent dans la continuité du parcours citoyen débuté à l’école primaire et poursuivi au collège, (…) » C’est bien le ministre de l’EN qui en est officiellement chargé, (secondé par une secrétaire d’état placée sous la double tutelle de l’EN et de la Défense), relayé par toute une administration au garde-à-vous derrière des recteurs d’académie zélés, des DASEN tout autant dévoués, un personnel administratif et enseignant résolument sollicité et jusqu’à présent peu critique. C’est également sur le budget de l’éducation que seront prélevés chaque année les 3 milliards d’euros prévus en cas de généralisation.

Et pour qui doutait encore de l’implication de l’Ecole sur le SNU, le syndicat majoritaire des chefs d’établissement (SNPDEN-UNSA) a fait clairement connaître son accord pour l’organisation du SNU sur temps scolaire, sa secrétaire générale adjointe tenant à préciser que « cette version va plutôt dans le sens que nous demandions »…Cet engagement d’une organisation syndicale, qui certes a la réputation de jouer le rôle de courroie de transmission des desiderata du ministre, n’est évidemment pas anodin : dans un système éducatif au fonctionnement pyramidal, fortement autoritaire, il serait étonnant que la participation au SNU des enseignants et des élèves aille en sens contraire de ce que demande le ministre. 

Pourquoi l’Ecole s’est-elle laissée embarquer aussi aveuglément dans un projet dont on ne connaît aucun équivalent dans l’histoire des systèmes éducatifs en France (la comparaison avec les bataillons scolaires est quand même anachronique) comme dans les pays démocratiques ? En fait, plus que la militarisation de l’Ecole – même si une certaine forme de discipline collective paraît directement inspirée de celle des casernes – c’est d’abord la dimension identitaire du SNU qui lui donne sa raison d’être et lui fournit son inépuisable vecteur de communication, avec cet ahurissant rituel quotidien de jeunes en uniforme, au garde-à-vous pour un lever des couleurs aux accents de la Marseillaise. Cette dimension fait incontestablement écho à une tendance très forte, de même nature, qui depuis quelques années touche l’Education nationale, à travers notamment, les programmes d’histoire du 1er degré recentrés sur le roman national, l’affichage décomplexé des symboles nationaux, des exigences mémorielles envahissantes le plus souvent à visée patriotique, et plus généralement une forme bien particulière d’éducation dite morale et civique qui a la fâcheuse tendance à confondre citoyenneté et nationalité, civisme et obéissance à un ordre politique et social jamais discuté. Sans oublier non plus, l’obsession autour d’une laïcité « à la française » plus française que laïque… D’une certaine façon, le cérémonial de dévotion publique au drapeau imposé aux jeunes de 15-16 ans, à la fin de leur scolarité obligatoire, apparaît comme la mise en scène finale d’une éducation civique fortement teintée de préoccupations identitaires qui la dénaturent. Vu sous cet angle, le SNU n’apparaît pas comme un corps étranger à l’école, comme quelque chose d'étrange et d'incongru qui viendrait d'on ne sait où, mais bien au contraire comme l’aboutissement naturel d’un conditionnement qu’une scolarité obligatoire a rendu incontournable. Un conditionnement rentré dans les habitudes et dont il faut bien reconnaître qu’il reste largement à l’abri de la contestation…

Le rôle joué par l’Education nationale, sa responsabilité, sa compromission, ont fait l’objet sur ce blog d’un certain nombre de notes auxquelles je renvoie le lecteur. Le SNU sur temps scolaire comme moment (obligé ? Pour l’instant, la question n’est pas tranchée) de la formation des élèves n’est pas une surprise : il prend tout son sens dans le cadre d’une logique de contrôle étatique renforcé sur la formation morale et civique des jeunes. Un contrôle qui ne vise certes pas à l’émancipation… 

 

De l’école obligatoire à 3 ans jusqu’au SNU : une logique de contrôle total.

« Le SNU comme achèvement et dans la logique de l’école obligatoire de 3 à 16 ans ? Difficile d’éviter le rapprochement entre la suppression de la liberté d’instruction et l’instauration d’un encasernement obligatoire (d’ailleurs bien mal dénommé « service ») pour l’ensemble d’une population désormais intégralement scolarisée. Derrière le culte d’un régime politique divinisé, qui n’accepte aucune contestation, le SNU, c’est d’abord un outil de surveillance de toute une classe d’âge jugée dangereuse, qu’il s’agit non pas d’émanciper – ce terme dans la bouche des promoteurs du SNU ferait presque rire si le sujet s’y prêtait – mais de domestiquer. (…) »

  

Sergent recruteur pour le SNU : les nouveaux habits du recteur d’académie

« (…) Pour le recrutement des 3215 volontaires de 15 à 17 ans, l’Education nationale est montée en première ligne : « la communication à l’attention des établissements scolaires (lycées généraux et technologiques, lycées professionnels) a été portée par l’intermédiaire des rectorats. Partout, cette promotion massive a été accompagnée de séances plus ciblées au sein d’un panel d’établissements dans l’objectif d’aller vers les jeunes et d’expliciter les objectifs et le contenu des différentes phases du SNU ». Au sein des établissements, des « sessions de promotion » souvent obligatoires ont été organisées, « parfois à l’initiative d’un professeur ». Ces « campagnes de recrutement » - la terminologie militaire ne vient pas par hasard - sont précédées d’une phase d’information auprès de des 15-16 ans ainsi qu’auprès des familles et s’appuient notamment sur les cours d’EMC en classe de troisième. A ce propos, il n’est pas indifférent de relever que 56 % des recrues – il faut bien les appeler ainsi – sont âgées de 15 ans, cibles de choix d’un racolage institutionnel qui, au fil des années et de l’évolution du projet de SNU a singulièrement révisé à la baisse la limite d’âge des publics concernés, passant dans un premier temps de 18-25 ans à 15-17 ans, avec une appétence toute particulière pour des jeunes à peine sortis du collège… sans doute réputés moins contestataires que les lycéens ou les étudiants (…)»

 

Report du SNU : un recul opportuniste plus qu’un changement de pensée

«  (…) L’autre évolution concerne la place prise par l’Education nationale dans la mise en place du SNU, une Education nationale qui, au fil des ans s’est installée sans problème de conscience dans le rôle d’organisatrice (et sans doute de promotrice) d’un dispositif autrefois à la charge de l’armée : c’est l’Ecole qui finance, qui offre son administration, une partie de ses locaux et de ses personnels, qui assure auprès des élèves la promotion de ce qui apparaît comme le complément obligé d’une éducation dite morale et civique déjà largement dévoyée. Avec le SNU, ce n’est pas l’armée qui s’incruste à l’Ecole, c’est l’Ecole qui ouvre ses portes à l’armée mais c’est surtout l’approfondissement d’une tendance qui fait d’une Ecole désormais obligatoire le vecteur d’une morale officielle fondée sur le culte de la nation. L’esprit critique mis en avant dans la formation des élèves est prié de s’incliner devant le drapeau.

Or, il est indéniable que cette mission attribuée à l’Education nationale dans le déploiement d’un conditionnement idéologique systématique n’a que rarement fait l’objet d’une contestation ni même seulement d’une remise en cause audible. Pas davantage aujourd’hui, où la critique du SNU est noyée dans la contestation de la réforme des retraites qu’au cours des années écoulées pendant lesquelles le petit monde de l’éducation a fait le choix de l’attentisme ou de l’indifférence pour le plus grand nombre, de la complaisance voire de la participation active pour quelques autres (…) »

 

Refuser le SNU : pour les éducateurs, une obligation morale

« (…) De fait, au fil des expérimentations de ces dernières années, l’EN a vu son rôle s’affirmer au point de devenir l’élément moteur du SNU, lui offrant son administration, ses personnels, ses locaux, son financement (2 ou 3 milliards € par an en cas de généralisation…) Un rôle majeur dans l’initiative et le pilotage du dispositif confirmé par le rapport de l’INJEP à propos du séjour d’intégration de février 2022 et du recrutement de 3215 volontaires : « la communication à l’attention des établissements scolaires (lycées généraux et technologiques, lycées professionnels) a été portée par l’intermédiaire des rectorats. Partout, cette promotion massive a été accompagnée de séances plus ciblées au sein d’un panel d’établissements dans l’objectif d’aller vers les jeunes et d’expliciter les objectifs et le contenu des différentes phases du SNU ». Au sein des établissements, des « sessions de promotion » souvent obligatoires ont été organisées, « parfois à l’initiative d’un professeur ». Ces « campagnes de recrutement » - la terminologie militaire ne vient pas par hasard - sont précédées d’une phase d’information auprès de des 15-16 ans ainsi qu’auprès des familles et s’appuient notamment sur les cours d’EMC en classe de troisième.

Engagement sans réserve de l’EN, responsabilité entière de l’EN : avec le SNU, ce n’est pas l’armée qui s’incruste à l’Ecole, c’est l’Ecole qui ouvre ses portes à l’armée et à un conditionnement généralisé des jeunes, qu’une scolarisation désormais obligatoire a rendu imparable. Aujourd’hui, cette aberration éducative, dont on ne connaît d’équivalent dans aucune démocratie, c’est l’Education nationale qui l’initie et la met en œuvre à travers un dispositif qui violente la diversité, la morale, les valeurs des élèves et de leur famille, celles des personnels également, un SNU qui dépouille le service public d’éducation des principes qui fondent sa légitimité et qui détourne le fondement même de l’éducation sur une voie malsaine, une voie déjà trop largement occupée par une multitude de tribuns bruyants et venimeux.

Jusqu’à ce jour, les milieux éducatifs – à quelques exceptions près – ont montré une singulière complaisance pour le SNU. Au moins par leur silence (et certains s’y sont même sérieusement compromis). Aujourd’hui, il est urgent que le monde de l’éducation choisisse son camp, qui ne peut être que celui du rejet et de la contestation du SNU (…) »

 

Le SNU, matière obligatoire à l’école ?

« (…) Un SNU directement intégré au cursus des élèves ? Il se trouve que cette annonce coïncide avec des rumeurs (d’ailleurs évoquées par un sénateur au cours de cette même séance ou encore dans la presse) faisant état d’une prochaine décision du président de la république. Comme on imagine mal Macron se déjugeant en annonçant la fin pure et simple d’un SNU né de sa seule volonté, l’hypothèse de l’intégration au temps scolaire pourrait alors paraître comme une sortie de secours pour le président… mais une voie sans issue pour l’Ecole, qui se verrait alors chargée de la mise en œuvre d’un encadrement renforcé de l’éducation dite morale et civique, d’un décervelage systématisé des élèves. Procès d’intention ?  Le cadre est déjà en place : le culte de la république enseigné comme un évangile, une laïcité dévoyée tournant à la police des mœurs, un refus des différences considérées comme autant de déviances, le drapeau flottant à l’entrée des établissements, la Marseillaise affichée dans toutes les salles de classe, une éducation à la défense qui s’est fait sa place dans les programmes scolaires sans susciter (depuis 40 ans !) la moindre opposition. Il ne restera plus qu’à mettre tous les élèves en uniforme – les propositions de loi sur le sujet ne manquent pas dont l’une venant du parti majoritaire – pour que le SNU se trouve, de facto, intégré à la scolarité désormais obligatoire des élèves.

De façon significative, cette hypothèse recoupe un projet qui avait déjà été esquissé par l’Assemblée nationale, toutes tendances confondues (février 2018), avant d’être court-circuité par l’annonce du SNU dans sa forme actuelle. L’une des rapporteures avait d’ailleurs tenu à préciser : « Le monde enseignant nous a paru très enclin à participer au futur dispositif, dont les acteurs perçoivent bien toute l’utilité. »

Le monde enseignant très enclin à participer au SNU ? De fait, si une conception aussi surréaliste, aussi totalitaire, de l’éducation peut aujourd’hui s’exposer ouvertement, c’est aussi sans doute parce que les personnels de l’EN – certes avec des responsabilités et des implications diverses – à tous les échelons, l’a accueilli par - selon les cas - un silence exempt de toute critique, une complaisance qui confine à la complicité, une participation active (…) »

 

Occasion de rappeler, également, l’engagement précoce d’une bonne partie de l’éducation populaire…

SNU : entre adhésion dogmatique et préoccupations financières, la dérive de l’éducation populaire

 

 

 

 

 

 

 

 


 


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