La condamnation des sénateurs est sans appel :
« Le SNU est un échec puisque vous prévoyiez 50 000 places cette année, et qu'il n'y a eu que 32 000 jeunes à se présenter (…) Je ne vous cache pas que les crédits du SNU font rêver les associations. Quant à la généralisation du SNU, vous savez que c'est très difficile, pour des raisons budgétaires aussi bien que pour des raisons d'adhésion (…) » (J.-B. Magner).
« Vous comprendrez nos réserves face à la volonté du Gouvernement de généraliser le SNU (…) » (Elsa Schalk).
« Le SNU n'est pas le seul outil de caporalisation de la société déployé par le gouvernement (…) » (Thomas Dossus).
« Je suis frappée de voir que notre discussion sur le SNU se répète et que rien ne change, les objectifs ne sont pas tenus, mais cela ne vous empêche pas de les doubler (…) Quand les crédits manquent partout, on se pose cette question : voulez-vous vraiment continuer le SNU, alors que son évaluation n'est pas claire (…) » (Sylvie Robert).
De fait, même si la critique du Sénat a le tort de mettre en avant les limites budgétaires du SNU au détriment du fond, il est clair que les efforts de la secrétaire d’état pour tenter de le justifier tombent à plat : renforcement de la cohésion nationale, développement d’une culture de l’engagement, insertion sociale et professionnelle, bilan scolaire et de santé etc, autant de principes qui n’ont pas longtemps résisté à l’épreuve des faits, en dépit du relais complaisamment et aveuglement assuré depuis le début par les médias. Prétendre que la solidarité - confisquée par l’identité nationale - surgirait miraculeusement de l’encasernement des jeunes relève de l’imposture.
« Plein déploiement (…) montée en puissance (…) 64 000 volontaires en 2023 », Sarah el Haïry est-elle elle-même convaincue par des éléments de langage usés jusqu’à la corde ? On peut en douter. Après avoir reconnu quelques semaines plus tôt devant les députés que le SNU avait atteint « le plafond de verre du volontariat », elle évoque alors prudemment deux hypothèses pour faire évoluer le dispositif : « soit l'intégration au temps scolaire, dans l'éducation civique et morale, donc l'intégration dans les référentiels de compétences scolaires en classe de Seconde ou de Première année de CAP ; soit on élargit le recrutement du SNU en levant les freins constatés pour les jeunes en lycées professionnels et agricoles, par exemple les problèmes de calendrier liés à ce que des séjours de cohésion soient concomitants aux stages professionnels. »
Un SNU directement intégré au cursus des élèves ? Il se trouve que cette annonce coïncide avec des rumeurs (d’ailleurs évoquées par un sénateur au cours de cette même séance ou encore dans la presse) faisant état d’une prochaine décision du président de la république. Comme on imagine mal Macron se déjugeant en annonçant la fin pure et simple d’un SNU né de sa seule volonté, l’hypothèse de l’intégration au temps scolaire pourrait alors paraître comme une sortie de secours pour le président… mais une voie sans issue pour l’Ecole, qui se verrait alors chargée de la mise en œuvre d’un encadrement renforcé de l’éducation dite morale et civique, d’un décervelage systématisé des élèves. Procès d’intention ? Le cadre est déjà en place : le culte de la république enseigné comme un évangile, une laïcité dévoyée tournant à la police des mœurs, un refus des différences considérées comme autant de déviances, le drapeau flottant à l’entrée des établissements, la Marseillaise affichée dans toutes les salles de classe, une éducation à la défense qui s’est fait sa place dans les programmes scolaires sans susciter (depuis 40 ans !) la moindre opposition. Il ne restera plus qu’à mettre tous les élèves en uniforme – les propositions de loi sur le sujet ne manquent pas dont l’une venant du parti majoritaire – pour que le SNU se trouve, de facto, intégré à la scolarité désormais obligatoire des élèves.
De façon significative, cette hypothèse recoupe un projet qui avait déjà été esquissé par l’Assemblée nationale, toutes tendances confondues (février 2018), avant d’être court-circuité par l’annonce du SNU dans sa forme actuelle. L’une des rapporteures avait d’ailleurs tenu à préciser : « Le monde enseignant nous a paru très enclin à participer au futur dispositif, dont les acteurs perçoivent bien toute l’utilité. »
Le monde enseignant très enclin à participer au SNU ? De fait, si une conception aussi surréaliste, aussi totalitaire, de l’éducation peut aujourd’hui s’exposer ouvertement, c’est aussi sans doute parce que les personnels de l’EN – certes avec des responsabilités et des implications diverses – à tous les échelons, l’a accueilli par - selon les cas - un silence exempt de toute critique, une complaisance qui confine à la complicité, une participation active.
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