Auditionnée sur le SNU par la commission de la Défense de l’Assemblée nationale (27/09/2022), la secrétaire d’état Sarah el Haïry n’a pas déçu un auditoire globalement peu critique et même largement acquis à la nécessité de « créer de bons petits Français » (Jacobelli, RN)…
Avec cet enthousiasme surjoué qui est sa marque de fabrique, Sarah el Haïry a longuement développé les éléments de langage obligés, censés justifier les principes et le budget (« le SNU n’a pas de prix… ») d’un dispositif dont trois années d’expérimentation ont pourtant montré les limites.
Les principes ? La liste est attendue : « projet de société (…) culture de l’engagement (…) renforcer la force morale (…) développer le goût du patriotisme (…) favoriser le lien armée-nation » etc, ce dernier point revenant fréquemment dans un argumentaire adressé à un auditoire encore traversé par la nostalgie du service militaire. Pour la secrétaire d’Etat, d’ailleurs en contradiction avec ses déclarations précédentes, il s’agit en effet de « s’appuyer sur la culture des armées qui permet de cultiver l’esprit d’équipe et la discipline ». Vu sous cet angle, l’uniforme est alors présenté comme « une priorité », même si, dans une désopilante prise de conscience (« les jeunes n’ont pas tous la même taille… ») elle doit reconnaître que ce dernier point n’est pas sans poser problème. Dans ce même registre – bidasse de retour du régiment – elle relaye avec une satisfaction manifeste le point de vue de la mère d’un volontaire : « quand il est revenu, il a fait son lit… ». Faire son lit, « un projet de société » à 3 ou 4 milliards d’euros par an…
Mais ce qui ressort avec force de cette audition, c’est l’importance sidérante que la secrétaire d’Etat accorde à l’imprégnation patriotique. Le SNU doit donner « le goût du patriotisme… faire aimer la France… » ; il ne s’agit pas seulement « d’être français » mais de devenir « amoureux de son histoire », d’où l’importance des liens avec les Anciens combattants (précisons pour ceux qui ne seraient pas au clair avec la chronologie qu’il s’agit principalement des Anciens d’Algérie), de la participation aux cérémonies patriotiques, le tout aboutissant à cet ahurissant rituel quotidien de jeunes au garde-à-vous devant le drapeau aux accents du sang impur abreuvant les sillons.
On sait déjà depuis longtemps, depuis l’annonce de la création du SNU – ce que les rapports de l’INJEP confirment en filigrane – que les objectifs mis en avant, n’ont pas résisté à l’épreuve des faits : mixité sociale, culture de l’engagement, solidarité, insertion sociale et professionnelle, bilan scolaire et sanitaire, autant de justifications laborieuses qui se sont égarées en chemin au fil des séjours dits d’intégration ou des missions d’intérêt général. Sauf, bien sûr, à confondre mixité sociale et uniforme, engagement des jeunes et inscription d’une poignée d’entre eux à un séjour dont la finalité échappe aux premiers concernés.
Que reste-t-il alors du SNU ? Essentiellement, la mise en scène d’une jeunesse militarisée et patriotique, disciplinée ou plutôt soumise, « un message adressé à une opinion publique nostalgique du service militaire, fantasmé comme le garant d’un ordre civique perdu. » Le SNU, c’est surtout la confusion obstinément entretenue entre solidarité et nationalité, entre citoyenneté et identité nationale, la nation faisant arbitrairement figure de seul espace de socialisation possible, quand elle n'est qu’une construction historique parmi d’autres, élaborée sur une appartenance factice et exclusive, ne distinguant dans l’humanité que les Français et les non-Français. Vu sous cet angle, le SNU, c’est aussi cette grossière supercherie qui voudrait faire croire que ce qu’une quinzaine d’années de vie commune à l’école n’aurait pas permis d’acquérir pourrait être magiquement compensé par 15 jours d’immersion obligatoire dans le culte de la patrie.
Dans ces conditions, jusqu’où faut-il prolonger
l’imposture ? Une phrase sibylline de Sarah el Haïry n’a pas été relevée
par son auditoire : en affirmant avoir « atteint le plafond de verre
du volontariat », elle reconnaît implicitement les limites et le côté
artificiel du SNU. De fait : avec, pour l’année 2022, 40 000
volontaires sur un total de 2, 4 millions de jeunes potentiellement concernés
(les trois classes d’âge de 15 à 17 ans), on comprend aisément que la
communication officielle ne pourra se poursuivre indéfiniment. Et quand la
secrétaire d’état assure « aller vers un plein déploiement » du SNU
avant de refréner ses ardeurs (« rien n’est arrêté »…) , c’est sans
doute qu’elle prend en considération que le plein déploiement en question –
initialement prévu en 2024 – demanderait de débloquer bien plus que les 30
millions d’euros supplémentaires prévus au budget de 2023 (budget total : 140
millions d’euros), en réalité 100 fois plus ; sans compter sur l’opposition
à attendre de jeunes où les non volontaires seraient manifestement nettement plus
nombreux que les volontaires. Même s'il est vrai, comme relevé précédemment, que le SNU n'a pas de prix...
Reste alors un contournement possible, suggéré par Sarah el Haïry, reprenant une directive nationale (26/08/2021) peu relevée sur le moment : « cibler les décrocheurs scolaires » et les lycées professionnels. L'amour de la patrie comme remède aux difficultés scolaires ? Les difficultés en question tout comme l’orientation en lycée pro concernant très majoritairement les élèves issus de milieux défavorisés, on comprend alors que l’identité nationale retrouve ici l’une de ses vertus cardinales : entretenir la croyance en une collectivité nationale présentée comme naturelle pour légitimer un ordre politique et social (et donc scolaire...) qu’on feint de croire immuable.
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