Depuis septembre, trois propositions de loi à l’Assemblée nationale (en attendant la quatrième annoncée pour très prochainement), dix propositions depuis 2015, sans compter les amendements ajoutés à divers projets de loi : à droite et à l’extrême-droite, l’uniforme scolaire vire à l’obsession. Une obsession qui en dit manifestement plus sur les parlementaires que sur les élèves. Car quand des messieurs généralement plus très jeunes sont à ce point travaillés par le look des jeunes filles – car c’est d’abord d’elles qu’il s’agit – la question posée relève davantage du pathologique que de la politique éducative.
Cette furieuse tendance à considérer les filles à travers leur tenue vestimentaire est d’ailleurs régulièrement dénoncée dans un pays comme la Grande-Bretagne où les uniformes scolaires font partie non seulement de l’équipement habituel des élèves mais aussi de l’attirail obligé des sex-shops et des publications pornos, ce qui a conduit des lycéennes victimes de harcèlement sexuel en raison de leur uniforme à pétitionner pour « rendre illégaux l’affichage et la vente d’uniformes scolaires dans les sex-shops afin de mettre un terme à la sexualisation des enfants ». Une lycéenne explique : « le fait que les uniformes scolaires, vêtements que les enfants portent pour accéder à l’éducation, soient activement promus par les sex-shops et la pornographie comme étant sexuellement attrayants et désirables, perpétue l’association du sexe avec les enfants ».
Des jeunes filles attrayantes et désirables ? Tiens donc… C’est précisément sous ce prisme qu’en 2002 les voyait Xavier Darcos, alors ministre délégué à l’enseignement scolaire puis ministre de l’Education nationale (2007-2009),lorsqu’il dénonçait la tenue vestimentaire des filles « désirables, qui jouent de leur charme (…) jouer de son charme, manifester un signe discriminant sur le plan sexuel, c’est contraire à l’idéal républicain. » De fait, il y a 20 ans, c’est par cette diatribe sentant son voyeurisme que la question de l’uniforme scolaire faisait son entrée dans un pays qui ne l’avait pourtant jamais connu. Le plus officiellement du monde, dans la bouche d’un ministre relayé par une presse massivement complaisante et racoleuse.
Dans un contexte où la désinhibition du discours réactionnaire sur l’école prenait son essor (c’est l’époque où la télé faisait fantasmer les braves gens avec le Pensionnat de Chavagnes), Régis Debray – lui aussi fervent défenseur de l’uniforme scolaire (et de l’estrade dans les salles de classe) – publiait dans sa revue Medium (2006) une sidérante apologie de l’uniforme signée par un ancien responsable du SNES aujourd’hui bien oublié. Il y était question de communautarisme, mais aussi de slips, de strings, de putes et de jeunes Cambodgiennes « bien prises » dans leur uniforme… Un article aujourd'hui payant et verrouillé (sa lecture se mérite…) mais la note de blog que je lui avais consacrée est toujours en ligne (quand les serveurs de Canalblog le veulent bien) ou sur le présent blog où je la reproduis sans changer un mot. Pouvait-on alors imaginer que ce thème referait surface 16 ans plus tard engendré par les mêmes fantasmes ?
La revue Medium de septembre 2006, dirigée par Régis Debray (qu’on ne présente plus), publie un inénarrable article faisant l’apologie de l’uniforme scolaire, article reproduit par l’Observatoire du communautarisme, cénacle dédié – comme on sait – à l’exaltation du communautarisme franchouillard. L’auteur est un certain Daniel Faivre, longtemps responsable local du SNES. Ça ne s’invente pas. Faivre est tombé amoureux des uniformes – et sans doute de ceux qui les portent – lors d’un voyage au Cambodge. « La comparaison [entre jeunes Français et Cambodgiens] était confondante, écrit-il : au Cambodge, les visages joyeux, rieurs et les uniformes simples (pantalons et jupes bleu marine, chemises et chemisiers blancs) ajoutaient encore à cette impression de bonheur d’apprendre et de vivre. » Quelle opposition avec les jeunes Français « aux visages fermés, aux expressions désabusées, [aux] allures traînantes, comme dégoûtées, le corps avachi (...) vêtements unisexes, pantalon blouson (sic), noir en majorité (resic). » Toutefois, dans un éclair de lucidité, Faivre précise : « il est vrai qu’en France, c’était l’hiver ». Peu lui chaut, à Faivre que ce pays où les jeunes portent l’uniforme (et le visage joyeux et rieur) se soit livré il n’y a pas si longtemps à l’un des plus épouvantables génocides de l’histoire et que faire porter l’uniforme à des jeunes ne soit pas forcément la garantie de lendemains qui chantent. Chez nous, en Europe, on n’a jamais vu autant de jeunes en uniformes que dans les années 40. On a les références qu’on peut.
Son attirance pour l’uniforme, Faivre s’en justifie de plusieurs manières. « L’uniforme scolaire – écrit-il – a été créé par un souci démocratique de justice sociale. » Ah bon ? Outre qu’on aurait du mal à prouver que la Grande-Bretagne de Blair, seul pays d’Europe où les élèves portent l’uniforme scolaire, est un modèle de démocratie et de justice sociale, on constate une fois de plus que ce thème de l’uniforme est mis en avant lorsque l’on veut éviter tout débat de fond sur l’école et surtout, la remise en cause de son fonctionnement, des programmes scolaires, des méthodes pédagogiques, toutes choses dont on sait qu’elles conditionnent la réussite ou l’échec des élèves, bien davantage que la casquette ou les baskets. Pour Faivre, finalement, le rôle de l’école n’est pas de permettre à chaque élève de réussir indépendamment de son milieu social d’origine, d’assurer une véritable égalité des chances, mais de masquer les différences ; ce ne sont pas les inégalités qui dérangent mais le fait qu’elles soient visibles. En Angleterre, on ne se mélange pas malgré les uniformes : les riches envoient leur progéniture dans des collèges de riches avec des uniformes de riches, les pauvres envoient la leur dans des collèges de pauvres avec des uniformes de pauvres.
Pour Faivre, le grand mérite de l’uniforme, sa vertu suprême, serait de « franciser la jeunesse ». Morceaux d’anthologie : « l’uniforme est beaucoup plus qu’une apparence, c’est une appartenance fièrement portée à un pays. (...) en allant à l’école, on est avant tout une Française et un Français ». Mais là, en reprenant à son compte la rhétorique du nationalisme le plus éculé – « Français d’abord ! », c’est qui, déjà, l’auteur de la formule ? – notre Déroulède-ancien-responsable du SNES dérape sérieusement : « Notre passé – poursuit-il – ne serait que colonial, esclavagiste, vichyste...Pourquoi ne pourrait-on être fiers sans excès, sans morgue ? » C’est bien vrai, après tout : pourquoi ne serait-on pas fier de notre passé colonial, esclavagiste, vichyste ? La colonisation n’a-t-elle pas eu des « aspects positifs », n’avons-nous pas apporté la civilisation aux sauvages et Pétain, n’a-t-il pas été, en son temps, le « sauveur de la France » ? Certains ont apporté leur réponse à ces questions et l’on n’est pas surpris, à vrai dire, de trouver cette logorrhée sordide hébergée par un Observatoire du communautarisme, qui s’est fait une spécialité de glorifier le passé national, quel qu’il ait été.
« Français d’abord ! », donc, mais aussi « mâle avant tout ! » Car l’apologie de l’uniforme scolaire semble être sous-tendue chez Faivre par de bien curieuses attirances. Dans ce long texte, le sexe est partout présent, mais il s’agit du sexe des filles et c’est pour le dénoncer. Dans les établissements scolaires, Faivre ne voit que « slips, strings, seins à demi dévoilés, aux trois quarts. » Il dénonce le maquillage. « A quand la nudité ? » s’indigne-t-il devant cette « névrose agressive » qui ravage notre belle jeunesse. Mais qui donc est névrosé, Faivre ? Chacun sait depuis Freud que la névrose est une affection caractérisée par des troubles affectifs obsessionnels souvent à connotation sexuelle. On a noté bien des fois à quel point les partisans de l’uniforme scolaire non seulement ne voyaient une fille qu’à travers ses fesses mais avaient tendance à prêter aux autres leurs propres fantasmes. Il n’imagine d’ailleurs pas pour les filles un autre uniforme que la jupe : « Fini les filles en jupe qui passent pour des putes. La jupe redevient un signe de féminité (...) » Et si c’était lui, Faivre, qui voyait des putes partout ? Le grand mérite de l’uniforme est de faire ressortir les formes de celles qui les portent. Et de se pâmer devant les jeunes Cambodgiennes : « leur beauté éclatait. Celle des filles, surtout, bien « prises » dans leurs uniformes. Une de nos élèves m’en fit la remarque (...) Sans doute enviait-elle le port naturel de la petite jupe bleu marine et sentait-elle le désir des garçons de sa classe. » Autrement dit, pour Faivre, on n’est femme qu’en petite jupe bleu marine et si l’on ne porte pas la petite jupe bleu marine c’est qu’ « on hystérise, [qu’] on vicie un peu plus les rapports. »
Mais après tout, laissons Faivre à ses chimères, à ses extravagances de sexagénaire ; les petites culottes ont encore manifestement de beaux jours devant elles. Le plus ennuyeux reste quand même que ce texte, entre glauque et désopilant, ait pu trouver sa place dans des publications (Medium), au sein – mon Dieu, encore ! – d’organismes ( Observatoire du communautarisme) qui s’affichent ouvertement comme forces de réflexion, de proposition pour rénover la vie politique et, au-delà, la société. Dans quelques jours, c’est la rentrée des classes pour 12 millions d’élèves, 6 millions de filles et 6 millions de garçons considérés comme autant de « putes » et de « névrosés » en puissance par des gens, qu’à la réflexion, on aimerait voir se tenir éloignés des écoles. L’article en question porte pour titre : « Faisons un rêve : l’uniforme à l’école ». Le jour où les obsédés mettent leurs rêves en pratique, ça tourne rapidement au cauchemar pour tout le monde.
En 2018, le maire de Provins, outrepassant largement ses prérogatives, s’était mis en tête d’instaurer l’uniforme dans les écoles publiques de la ville. Une initiative qui s’était d’ailleurs soldée par un bide retentissant. La presse locale (la République de Seine-et-Marne) avait alors fait le choix de cette photo d’illustration et surtout d’un cadrage qui se passent de commentaire…
Mise à jour (11/12/2023)
Décembre 2023 : un ministre en campagne de racolage auprès de l’électorat d’extrême-droite, se répand dans les médias pour promouvoir son idée d’« expérimentation élargie » de l’uniforme scolaire. Affirmant appuyer sa politique sur les recherches scientifiques les plus rigoureuses, Attal prête donc à l’école l’éminente fonction qui est traditionnellement celle du lave-linge ou d’une marque de lessive : tester le linge… Une pitrerie, érigée en politique officielle, abondamment et complaisamment relayée par les médias qui, à défaut d’images prises sur le vif, font le choix d’illustrer le sujet par une sélection de photos de presse, avantageusement cadrées, pour nombre d’entre elles… sur les jambes des filles. Les vieux messieurs qui, depuis une vingtaine d’années ont lancé cette bouffonnerie dans l’espace public, ont de bien curieuses préoccupations éducatives…
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