Le SNU comme achèvement et dans la logique de l’école obligatoire de 3 à 16 ans ? Difficile d’éviter le rapprochement entre la suppression de la liberté d’instruction et l’instauration d’un encasernement obligatoire (d’ailleurs bien mal dénommé « service ») pour l’ensemble d’une population désormais intégralement scolarisée. Derrière le culte d’un régime politique divinisé, qui n’accepte aucune contestation, le SNU, c’est d’abord un outil de surveillance de toute une classe d’âge jugée dangereuse, qu’il s’agit non pas d’émanciper – ce terme dans la bouche des promoteurs du SNU ferait presque rire si le sujet s’y prêtait – mais de domestiquer.
Je fais remonter sur ce blog une note initialement parue le 03/10/2020.
L’école obligatoire à 3 ans ? En quelques mots, dans le cadre d’une allocution à la tonalité hargneuse et agressive, Macron a tiré un trait sur une liberté fondamentale – et, sauf erreur de ma part, constitutionnelle – celle qui confie aux parents le libre choix de l’éducation de leurs enfants. Une liberté certes souvent formelle, de plus en plus réduite par les prétentions extensives d’une administration brutale et autoritaire mais que même le régime de Vichy avait respectée.
Comme on en a pris l’habitude depuis des années, la dénonciation du séparatisme, du communautarisme, autorise tous les abus, toutes les falsifications. Comme celle de prétendre que les quelque 50 000 enfants non scolarisés seraient autant d’innocentes victimes aux mains d’adultes malveillants, objets d’une manipulation quasi sectaire ou encore destinés à rejoindre les rangs du terrorisme. Un terrorisme qui, comme nul ne l’ignore, a le visage du musulman. Un terrorisme dont, pourtant, après les attentats de 2015, un Premier ministre socialiste identifiait les racines à l’école, dans l’école, « l’école où l’on avait laissé passer trop de choses ». Merveille d’une dialectique à deux balles : en scolarisant, l’école ferait donc le lit du terrorisme mais en ne scolarisant pas, celui du séparatisme. Confirmation : lorsque la société déraille, il est plus facile de blâmer l’école que de se remettre soi-même en cause ; lorsque les adultes perdent la raison, ce sont les enfants qui trinquent.
Et si, de fait, en dépit des approximations laborieusement mises en avant, le refus de scolarisation peut avoir dans un petit nombre de cas des motivations religieuses, pour l’immense majorité des enfants concernés, outre les raisons médicales, il s’explique et se justifie par le choix des parents de retarder de quelques années des apprentissages scolaires jugés déconnectés de leurs priorités éducatives. Un choix parfaitement légitime renforcé par l’évolution récente d’une école maternelle voulue (et imposée) par Blanquer comme le premier étage d’un laborieux apprentissage de rudiments qu’il assigne comme priorité à l’école. En Europe, l’âge moyen d’entrée à l’école tourne autour de 6 ans, un retard qui ne se retrouve certes pas dans les résultats des élèves de chacun de ces pays. Un seul pays impose la scolarité à 3 ans : la Hongrie d’Orban. Un modèle à suivre ?
Si dans le contexte actuel, l’annonce surprend, à
vrai dire, ce nouvel oukase ciblant l’école ne vient pas de nulle part.
L’école, instrumentalisée par une conception identitaire de la laïcité,
fantasmant l'islam comme une menace communautariste : ce cocktail mortifère
n’en finit pas de gangréner le débat éducatif. A une question biaisée, les
réponses apportées vont toujours dans le même sens : surveiller, contrôler,
punir. Non seulement les jeunes filles, épiées jusque dans leur intimité
vestimentaire mais l’ensemble des élèves et leur scolarité, cette dernière
littéralement cannibalisée par une conception quasi totalitaire d’une éducation
morale et civique à visée normative. A l’école, il ne s’agit pas d’apprendre à
vivre ensemble, à tirer une richesse supplémentaire du contact des autres, mais
d’ingurgiter des règles, des préceptes jamais soumis à discussion, dans un imbuvable prêt-à-penser tout préparé qui regarde toute déviance, toute forme de critique, comme une faute, voire comme un délit.
La divinité aujourd’hui s’appelle république mais comme toute divinité, on évite tout questionnement susceptible de la déstabiliser : omniprésente dans tous les discours, de droite comme de gauche, la république (abusivement confondue avec la nation) et son bras armé la laïcité sont érigées à chaque étape de la scolarité comme une croyance obligatoire qu’il convient d’entretenir. Moins la république et la laïcité sont fidèles à leurs principes, plus le culte les entourant se fait envahissant et punitif (la « tenue républicaine » de Blanquer, le SNU comme aboutissement de la scolarité…) : aujourd’hui, avec l’école obligatoire à 3 ans, il ne s’agit pas de rendre la société plus juste ni plus tolérante (dans le sens de respectueuse de la diversité des croyances) mais de faire rentrer toute une classe d’âge dans un moule, d’inculquer des habitudes d’uniformité et d’obéissance qui dispensent de travailler à d’autres principes autrement plus exigeants. Dans quelle collectivité voulons-nous vivre et pour quoi faire ? A mille lieux des leçons de morale, de l’adoration du drapeau et de l’hymne national, cette question n’est jamais posée par l’Education trop nationale.
« La République assure la liberté de conscience » (article 1 de la loi de 1905) : un truc de riches, diront certains, de privilégiés qui ont les moyens d’éduquer leur progéniture à l’écart des autres. La liberté de conscience ? Un truc de séparatistes, de communautaristes en quelque sorte. Mais outre que le principe de la liberté de conscience, à partir du moment où l’on ne nuit à personne, est de n’avoir de comptes à rendre à aucun censeur, outre que les enfants élevés dans ce cadre deviennent plus sûrement des adultes respectueux des autres et des citoyens plus responsables, il n’est pas interdit – la fabrique de la loi passant plus d’une fois par la magouille – de faire le lien entre l’obligation scolaire à 3 ans et le SNU. Car à partir du moment où l’école, et non plus l’instruction, devient obligatoire de 3 à 16 ans, se trouve ainsi contournée l’impasse juridique et sans doute constitutionnelle contre laquelle vient buter une généralisation du SNU imposée à tous les mineurs de 15-16 ans (1): avec un SNU indubitablement rattaché à la scolarité obligatoire, la liberté de conscience se trouve ainsi contournée, abandonnée dans les poubelles droit-de-l’hommistes. La liberté de conscience, un truc de privilégiés…
(1) L'annexe au projet de loi de finance 2021 le dit d'ailleurs très clairement : « Ces deux phases [du SNU] s’inscrivent dans la continuité du parcours citoyen débuté à l’école primaire et poursuivi au collège, (…) Le Service National Universel est un projet d’émancipation de la jeunesse (sic) , complémentaire de l’instruction obligatoire. »
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