lundi 8 août 2022

Sergent recruteur pour le SNU : les nouveaux habits du recteur d’académie.

 L’Education nationale maître d’ouvrage – en tant que commanditaire – et maître d’œuvre – comme organisateur zélé – du SNU : au cours du séjour dit « de cohésion » qui s’est déroulé en février 2022, elle a joué comme les fois précédentes un rôle sans rapport avec celui qu’on est en droit d’attendre d’un service public d’éducation.

La dernière enquête de l’INJEP met en lumière l’implication de l’administration et d’une partie de ses personnels. Avec en filigrane ses zones d’ombre, ses non-dits, ses ambiguïtés.

 

Pour le recrutement des 3215 volontaires de 15 à 17 ans, l’Education nationale est montée en première ligne : « la communication à l’attention des établissements scolaires (lycées généraux et technologiques, lycées professionnels) a été portée par l’intermédiaire des rectorats. Partout, cette promotion massive a été accompagnée de séances plus ciblées au sein d’un panel d’établissements dans l’objectif d’aller vers les jeunes et d’expliciter les objectifs et le contenu des différentes phases du SNU ». Au sein des établissements, des « sessions de promotion » souvent obligatoires ont été organisées, « parfois à l’initiative d’un professeur ». Ces « campagnes de recrutement » - la terminologie militaire ne vient pas par hasard - sont précédées d’une phase d’information auprès de des 15-16 ans ainsi qu’auprès des familles et s’appuient notamment sur les cours d’EMC en classe de troisième. A ce propos, il n’est pas indifférent de relever que 56 % des recrues – il faut bien les appeler ainsi – sont âgées de 15 ans, cibles de choix d’un racolage institutionnel qui, au fil des années et de l’évolution du projet de SNU a singulièrement révisé à la baisse la limite d’âge des publics concernés, passant dans un premier temps de 18-25 ans à 15-17 ans, avec une appétence toute particulière pour des jeunes à peine sortis du collège… sans doute réputés moins contestataires que les lycéens ou les étudiants.

Parmi les 3215 jeunes en question, il faut quand même noter une part « minoritaire, mais notable »  de jeunes se présentant comme non-volontaires, « fortement incités par l’entourage familial ou par un professionnel en charge de son accompagnement (éducateur, assistante sociale, juge d’application des peines…) » mais répondant également à la sollicitation (qu’on imagine pressante) de l’établissement et notamment du conseiller principal d’éducation, la participation au SNU pouvant alors être considérée comme la sanction d’une situation scolaire dégradée, d’un décrochage scolaire. Cette façon de voir recoupe manifestement les préoccupations de certains parents dont la forte implication est présentée par les jeunes « soit comme une forte incitation soit comme une sanction ». Un aspect punitif qui met à mal la rhétorique officielle sur les valeurs de l’engagement : « Je suis clairement là parce qu’on m’a contraint à venir. Ça fait plusieurs mois que j’ai décroché du lycée. Mon père m’a inscrit en me disant que ça me ferait du bien qu’il fallait que je sorte de ma chambre. J’étais contre dès le début, mais il ne n’a pas lâché. C’est assez conflictuel… » (extrait d’entretien avec un jeune « volontaire »). Le mythe des vertus du service militaire a la vie dure… Mais la nature n’aimant pas être forcée, cette pression exercée par la famille ou par l’établissement scolaire n’est probablement pas étrangère au fort taux de désistement (entre 20 et 30 %) enregistré entre l’inscription officielle et le début du séjour.

La sélection de certains profils d’élèves s’inscrit dans la logique d’une directive nationale - largement passée inaperçue et pourtant lourde de conséquences - adressée aux recteurs (26/08/2021) visant les jeunes « ayant des besoins éducatifs particuliers ou les plus éloignés des dispositifs d'engagement (jeunes issus des quartiers prioritaires ou très isolés géographiquement, jeunes sous main de justice, jeunes relevant de l'aide sociale à l'enfance, etc.) » Un public jugé potentiellement déviant pour lequel le SNU apparait alors comme un outil de contrôle social.

Lorsque le séjour de cohésion se tient sur temps scolaire – ce qui, inévitablement, deviendrait chose courante en cas de généralisation du SNU – l’Education nationale en prend à ses aises avec ses propres règles. Non seulement il est fortement recommandé aux enseignants « de ne pas pénaliser la participation des jeunes au séjour […] et de plutôt la valoriser dans le cadre de l’éducation civique » mais en cas d’absence aux contrôles et évaluations, « aucune absence ne doit être portée sur les bulletin scolaire des volontaires ». Et d’ailleurs, l’inénarrable dispositif devoirs faits est censé parer à toutes les difficultés, des temps dédiés étant réservés à cette fin dans le planning des séjours…mais sur le temps libre des jeunes, en fin de journée et sans encadrement, des conditions dont on est bien obligé de reconnaître qu’elles « n’ont pas favorisé la participation des jeunes. Ces plages horaires n’ont été que peu investies sur les sites, par les jeunes comme par les encadrants. » Une permissivité rare en la matière à l’Education nationale et que certains jeunes (on ne saura évidemment jamais combien…) n’ont pas tardé à considérer comme un passe-droit : « Moi j’ai fait ça pour rater les cours… j’ai loupé 3 contrôles vous imaginez ! Et sans rattrapage en vue, les profs ne m’ont rien dit. » (entretien avec un jeune.) L’engagement côté potache n’a sans doute pas la même portée que l’engagement chanté avec un enthousiasme surjoué par Sarah El Haïry…

Donc, l’Education nationale finance, recrute, offre ses locaux (« la mobilisation des équipements de l’éducation nationale reste à court terme l’option la plus accessible hors temps scolaire ») mais en outre son personnel participe à l’encadrement des séjours : pour le séjour de février 2022, 9 % des encadrants viennent de l’Education nationale - contre 20 % pour les corps en uniforme et 40 % pour l’éducation populaire (cette dernière, lourdement compromise dans la mise en place du SNU, en attend probablement quelque contrepartie sonnante et trébuchante). Pour les chefs de centre, la part de l’Education nationale s’élève à 22 % ; si un chef de centre sur 3 appartient à un corps en uniforme, 1 sur 4 vient de l’Education nationale. On relève incidemment la présence d’un certain nombre d’infirmières scolaires détachées de leur établissement, où elles ne sont sans doute pas jugées indispensables… (1)

Engagement sans réserve de l’Education nationale, responsabilité entière de l’Education nationale. Avec le SNU, ce n’est pas l’armée qui s’incruste à l’Ecole, c’est l’Ecole qui ouvre ses portes à l’armée, comme elle le fait d’ailleurs depuis 40 ans avec l’éducation à la défense. Faut-il nuancer cette affligeante constatation ? De fait, si l’adhésion de l’administration académique semble sans limite dans la mise en place du SNU, favorisée par la gouvernance pyramidale et autoritaire d’une institution qui fait du respect des circulaires un principe cardinal, il n’est pas certain que le SNU rencontre au niveau des établissements scolaires le même empressement. Le rapport de l’INJEP évoque à ce propos « une faible identification et adhésion de la communauté éducative (…) voire une réticence dans certains cas. » Comme élément d’explication, le rapport évoque au choix : « un manque de temps, un désintérêt, voire une posture de principe liée à une réticence à l’égard du dispositif, ou encore d’une information lacunaire… » D’un établissement à l’autre, l’hétérogénéité est la règle : « on a des établissements qui adhèrent et soutiennent une communication massive, homogène pour tous. On en a d’autres qui n’ouvrent même pas leurs portes. » Avant d’enfoncer le clou :  « une part significative des professeurs n’adhéreraient pas au SNU, perçu comme un « dispositif de plus », orienté politiquement et peu en phase avec leurs attentes. » L’inertie, la non-réponse du terrain avec toutes ses nuances d’un côté, les pressions de l’administration de l’autre : un grand classique de l’Education nationale.

Inertie et non-réponse qui ne vont toutefois pas jusqu’à l’opposition frontale, pas davantage qu’il n’y a eu de contestation massive à l’éducation à la défense ou encore à l’intrusion inconsidérée du drapeau, de la Marseillaise et plus généralement d’une éducation morale et civique à forte dimension identitaire dans le cursus des élèves. Et c’est sans doute sous cet aspect qu’il faut considérer la mise en place du SNU dont on aurait tort d’oublier qu’il a vocation à être généralisé : sans aucune fonction scolaire ni sociale (le bilan scolaire et professionnel initialement envisagé a rapidement été abandonné, le brassage social annoncé n’est qu’une supercherie de 12 jours qui ne trompe pas grand monde), avec des missions dites d’intérêt général qui s’avèrent impossibles à mettre en œuvre (surtout dans la perspective d'une extension du SNU à 800 000 jeunes d’une classe d’âge), ne reste alors du SNU que les images autorisées par les organisateurs – sans doute rassurantes pour toute une partie de la société – et complaisamment relayées par les médias : celle d’une jeunesse en uniforme, au garde-à-vous devant le drapeau, rabâchant chaque matin une Marseillaise réglementaire. Un peu comme autrefois, lorsque les élèves des écoles privées commençaient par une prière leur journée de travail : il s’agissait alors juste de croire et d’obéir.

Aujourd’hui, cette aberration éducative, dont on ne connaît d’équivalent dans aucune démocratie, c’est l’Education nationale qui l’initie et la met en œuvre à travers un dispositif qui témoigne d’un réel mépris pour la diversité, la morale, les valeurs des élèves et de leur famille, des personnels, les principes du service public, un dispositif pour lequel elle n’a finalement aucune légitimité.

 

 

(1) La désinvolture qui entoure l’organisation sanitaire des séjours ne fait pas l’objet de cette note de blog. Néanmoins, on laisse à titre de réflexion cette observation d’un référent sanitaire : «  Les horaires de travail, c’est un problème. La fiche de poste et le contrat expliquent que je suis présent tout le temps et d’astreinte la nuit. Ce n’est pas légal. Un infirmier ce n’est pas plus de 12h, avec 12 heures de repos entre les deux, et pas plus de 48 heures par semaine. La première semaine, j’ai fait 101 heures de travail. Il y a eu 143 passages depuis le début du séjour, après 11 jours. C’est environ 15 passages par jour en moyenne. On n’est pas capable d’assurer cette charge… » Mais comment diable interpréter ces 143 passages à l’infirmerie pour un centre accueillant 148 jeunes ?

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