Le 18 septembre dernier, l’Éducation nationale, à laquelle rien n’échappe en matière de toilette vestimentaire et de fanfreluche, repérait parmi les 12 800 000 élèves fréquentant les 59 650 établissements dont elle a la charge, cinq « cas de port d’abaya ». Des cas assurément pendables puisque, considérées à elles seules comme une menace pour la république, les jeunes filles réduites à des « cas », font l’objet, de la part du pouvoir politique relayé sur le terrain par une administration aux ordres, d’une obsession de tous les instants, à laquelle les médias ont donné un écho assourdissant. Incontestablement, la laïcité a changé de nature : historiquement symbole de tolérance et de liberté de conscience, elle a pris place aujourd’hui au rang d’une religion d’état au service d’un régime politique lui-même sacralisé quoique rarement identifié. Un évangile (les valeurs dites de la république), une profusion de textes canoniques, tout un personnel de grands prêtres chargés de la surveillance intransigeante de l’ensemble d’une jeunesse depuis peu obligatoirement scolarisée ; toute « atteinte » au principe de laïcité étant susceptible de déboucher sur une plainte au pénal, la laïcité, en se faisant objet de culte, a récupéré une inquiétante fonction qui n’avait jamais été la sienne : surveiller et punir.
Dans les années 80, sa critique de l’enseignement de l’histoire et du système scolaire donnait à Suzanne Citron l’occasion de remettre en question une vision déjà « anachronique et contradictoire » de la laïcité. Élargissant sa réflexion, elle appelait de ses vœux une « révolution intellectuelle » qui placerait les élèves dans leur diversité au cœur des préoccupations éducatives. Il y a 40 ans, avec la publication dont je reproduis ici quelques passages, Suzanne Citron ne pouvait sans doute pas imaginer la dérive infernale qui, partant de la fabrication d’impensables « affaires du foulard », étouffant la laïcité dans des considérations identitaires (la laïcité « à la française »), allait lancer l'école dans une chasse aux sorcières dont on ne voit pas la fin et la déstabiliser jusqu’à lui faire perdre une bonne partie de sa légitimité.