dimanche 14 avril 2024

SNU : la faute de l'Education nationale

 Mise à jour de la note de blog du 04/01/2024

 

Des jeunes en uniforme, au garde-à-vous devant le drapeau aux accents de la Marseillaise : l’extrême-droite en rêvait, Macron le fait. Après 6 ans de mise en place laborieuse d’un dispositif qui n’a jamais rencontré le public visé, 6 ans de battage médiatique, de communication infantilisante autour d’un projet qui tourne à vide en dépit de son coût prohibitif, le SNU – en attendant une généralisation retardée par des considérations budgétaires et logistiques – devient obligatoire : il l’est en tout cas pour les lycéen.nes de Seconde qui, dans quelques semaines, parce qu’ils n’auront pas trouvé de stage de fin d’année, se verront dans l’obligation de subir une période d’encasernement dont on ne connaît aujourd’hui d’équivalent dans aucun pays démocratique. Avec cette singularité qui semble avoir échappé à beaucoup : le transfert institutionnel et budgétaire à l’Éducation nationale d’une forme d’embrigadement, d’endoctrinement qui était autrefois à la charge de l’armée. Avec la mise au pas de la jeunesse autour d'une mystique identitaire, c'est aussi le service public d'éducation qui change de nature.

On sait déjà depuis longtemps, depuis l’annonce de la création du SNU – ce que les rapports de l’INJEP confirment en filigrane – que les objectifs mis en avant, n’ont pas résisté à l’épreuve des faits : mixité sociale, culture de l’engagement, solidarité, insertion sociale et professionnelle, bilan scolaire et sanitaire, autant de justifications laborieuses qui se sont égarées en chemin au fil des séjours dits d’intégration ou des missions d’intérêt général. Sauf, bien sûr, à confondre mixité sociale et uniforme, engagement des jeunes et inscription d’une poignée d’entre eux à un séjour dont la finalité échappe aux premiers concernés. Un engagement qui, en devenant obligatoire sous peine de sanctions, devient en réalité une brimade.

 

L’imposture du brassage social

Pour tenter de justifier cette bouffonnerie, l’argument massue du « brassage social », de la « mixité sociale », du « vivre ensemble », est mis à contribution. Ainsi, deux semaines d’enfermement obligatoire auraient la miraculeuse propriété de faire acquérir à leurs bénéficiaires les vertus sociales et civiques qu’une quinzaine d’années de scolarité n’auraient pas pu leur faire acquérir. Quinze ans de fréquentation scolaire, d’apprentissage de la vie en société, avec ses règles, ses obligations que les élèves respectent sans doute davantage que les adultes les leurs. Pire même quand le principe de service obligatoire tourne à l’idée fixe d’une société qui tolère tous les dérèglements, toutes les malversations d’une classe politique prompte à exiger des jeunes le respect des règles alors qu’elle s’en dispense en toute bonne conscience dans sa pratique du pouvoir.

Dans un pays travaillé par les inégalités, par l’exclusion, par la pauvreté, l’exigence de « brassage social » est une imposture. Vieux fantasme de la « fraternité » des casernes quand en réalité c’étaient d’abord les petites gens qui mouraient à la guerre. Au demeurant, arrivés à 16 ans, les jeunes ont pour beaucoup d’entre eux, déjà pris la mesure de ce pieux mensonge alimenté par un système éducatif qui entretient les discriminations, qui sélectionne sur une base sociale (et souvent ethnique), faisant réussir les élèves issus des milieux aisés et échouer les autres. Brassage social ? Pourquoi les élèves devraient-ils faire semblant de prendre au sérieux cette fiction égalitaire quand leur sortie du collège – l’âge du SNU – est conditionnée par leur situation sociale et familiale : ceux qui ont les moyens de s’orienter comme ils l’entendent et ceux qui sont « orientés », c’est-à-dire le plus souvent relégués ? Une relégation qui vient de trouver son officialisation avec l’instauration d’un examen d’entrée au lycée, en réalité un barrage dressé sur la route des plus défavorisés. Dans une convergence qui n’a évidemment rien d’un hasard, cette sélection brutale, manifestation d’une régression sociale assumée sans complexe, s’accompagne de la mise en place, au sein même de l’institution scolaire, d’un dispositif d’enfermement obligatoire dont la fonction finale consiste, précisément, à en masquer la violence derrière l’uniforme. L’uniformité plutôt que l’égalité.

 

Enfermement, encasernement

En réalité, malgré les dénégations de ses instigateurs, le SNU reste dans son principe une période  d’inspiration militaire ou, à tout le moins, fortement militarisée : réclusion obligatoire, uniforme, rituels militaires, encadrement en partie militaire, coercition, c’est bien un contrôle renforcé des jeunes (de plus en plus jeunes, avec un recensement envisagé dès l’âge de 15 ans) que vise la mise en place du dispositif.

Que le SNU ait été élaboré par une commission dirigée par un militaire n’est évidemment pas fortuit : d’emblée, le cadre est fixé, qui se traduit par une période d’enfermement obligatoire qui ne diffère guère d’un encasernement. Du reste, ce sont des considérations budgétaires bien plus que morales ou pacifistes qui ont amené Macron à en rabattre avec un projet d’une durée initialement prévue de 3 à 6 mois. Le rapport Menaouine ne fait d’ailleurs pas mystère de cet objectif : « … chaque génération doit, autour de sa majorité, prendre conscience des enjeux de la défense et de la sécurité nationale et s'approprier les moyens d'en comprendre les outils et de discerner le rôle que chacun peut y jouer. »

L’autre finalité du SNU, notamment à travers la très hypothétique mission dite d’intérêt général, met en avant l’engagement militaire : « il s'agit d'effectuer une sensibilisation approfondie par des personnels compétents en matière de défense et de sécurité nationales et européennes : connaissance des menaces, moyens et organisations pour y remédier, présentation des différentes formes d'engagement relevant de la sphère de la sécurité. » Autant que possible, le SNU doit fournir à l’armée le personnel dont elle a besoin et dont les choix budgétaires plus que généreux assurent le financement.

 

Une mystique identitaire

En dehors de cette dimension purement militaire, sans aucune fonction scolaire ni sociale, que reste-t-il alors du SNU ? Essentiellement, la mise en scène d’une jeunesse militarisée et patriotique, disciplinée ou plutôt soumise, un message adressé à une opinion publique nostalgique du service militaire, fantasmé comme le garant d’un ordre civique perdu. Le SNU, c’est surtout la confusion obstinément entretenue entre solidarité et nationalité, entre citoyenneté et identité nationale, la nation faisant arbitrairement figure de seul espace de socialisation possible, quand elle n'est qu’une construction historique parmi d’autres, élaborée sur une appartenance factice et exclusive : Français ou non-Français… Par nature, la symbolique identitaire est porteuse d’intolérance, de repli, de peurs irrationnelles, d’orgueil collectif mal placé, dérivant presque inévitablement vers la xénophobie et le racisme : avec le SNU, elle s’offre une place de choix dans la formation mentale et civique des jeunes…

Incontestablement, l’imprégnation patriotique, les considérations identitaires sont au cœur du SNU. Pour l’ancienne secrétaire d’état chargée de sa mise en œuvre, le SNU doit donner « le goût du patriotisme… faire aimer la France… » ; il ne s’agit pas seulement « d’être français » mais de devenir « amoureux de son histoire », d’où l’importance des liens avec les Anciens combattants (précisons pour ceux qui ne seraient pas au clair avec la chronologie qu’il s’agit principalement des Anciens d’Algérie), de la participation aux cérémonies patriotiques, le tout aboutissant à cet ahurissant rituel quotidien de jeunes au garde-à-vous devant le drapeau aux accents du sang impur abreuvant les sillons.

A vrai dire, avec sa dimension identitaire et militaire, l’existence même d’un dispositif aussi étroitement intégré dans le cursus des élèves n’est pas un accident de parcours. Dans la formation scolaire des jeunes, il en est même, le plus officiellement du monde, l’achèvement, parachevant un bien mal nommé « parcours citoyen » qui se prolonge tout au long de la scolarité. Mis en œuvre dans le cadre des programmes d’EMC (éducation morale et civique) mais pas uniquement, ce parcours fait l’objet depuis quelques années d’une sérieuse dérive idéologique : enseignement de l’histoire inspiré – surtout à l’école primaire – du roman national, parsemé de commémorations patriotiques et militaires obligatoires, culte des symboles nationaux. Tout est mis en œuvre pour faire naître chez de jeunes enfants un sentiment d’appartenance à une collectivité étroitement nationale, qui s’invente des frontières et donc des ennemis. Dans le secondaire, en collège tout spécialement, l’éducation à la défense impose une vérité officielle sur des questions aussi fondamentales que la guerre et la paix, la bombe atomique, la violence comme moyen de résolution des conflits, les relations internationales, le commerce des armes, la sécurité etc. Objectif explicite de cet enseignement qui gangrène littéralement l’EMC : « faire comprendre aux élèves que l’armée sert la nation. »

Par une lourde contrainte personnelle, le SNU parachève un conditionnement déjà préparé par l’école.

 

L’Éducation nationale, maître d’œuvre et maître d'ouvrage du SNU

De fait, au fil des expérimentations de ces dernières années, l’Éducation nationale a vu son rôle s’affirmer au point de devenir l’élément moteur du SNU, lui offrant son administration, ses personnels, ses locaux, son financement (3 ou 4 milliards € par an en cas de généralisation…) Un rôle majeur dans l’initiative et le pilotage du dispositif confirmé par le rapport de l’INJEP à propos du séjour d’intégration de février 2022 et du recrutement de 3215 volontaires : « la communication à l’attention des établissements scolaires (lycées généraux et technologiques, lycées professionnels) a été portée par l’intermédiaire des rectorats. Partout, cette promotion massive a été accompagnée de séances plus ciblées au sein d’un panel d’établissements dans l’objectif d’aller vers les jeunes et d’expliciter les objectifs et le contenu des différentes phases du SNU ». Au sein des établissements, des « sessions de promotion » souvent obligatoires ont été organisées, « parfois à l’initiative d’un professeur ». Ces « campagnes de recrutement » - la terminologie militaire ne vient pas par hasard - sont précédées d’une phase d’information auprès de des 15-16 ans ainsi qu’auprès des familles et s’appuient notamment sur les cours d’EMC en classe de troisième.

En juin 2024, l'intégration du SNU au stage de Seconde (ou l'intégration du stage de Seconde au SNU...) apparaît comme une étape décisive : le SNU obligatoire pour les élèves qui n'auront pas trouvé de stage. Une perspective qui ne pose manifestement aucun problème de conscience à ce proviseur plaçant d'autorité les élèves de son établissement devant une impossible alternative : "c'est soit le stage soit le SNU" (sic).

Engagement sans réserve de l’Éducation nationale, responsabilité entière de l’Éducation nationale : avec le SNU, ce n’est pas l’armée qui s’incruste à l’École, c’est l’École qui ouvre ses portes à l’armée et à un conditionnement généralisé des jeunes, qu’une scolarisation désormais obligatoire a rendu imparable. Aujourd’hui, cette aberration éducative, dont on ne connaît d’équivalent dans aucune démocratie, c’est l’Éducation nationale qui l’initie et la met en œuvre à travers un dispositif qui violente la liberté de conscience, les valeurs des élèves et de leur famille, celles des personnels également, un SNU qui dépouille le service public d’éducation des principes qui fondent sa légitimité et le détourne sur une voie malsaine, une voie déjà trop largement occupée par une multitude de tribuns bruyants et venimeux.

Jusqu’à ce jour, les milieux éducatifs – à quelques exceptions près – ont montré une singulière complaisance pour le SNU. Au moins par leur silence, leur pusillanimité, et très souvent par une forme de complaisance, de complicité, pouvant aller pour certains jusqu’à la collaboration active. Aujourd’hui, six ans après son lancement, par le biais des stages de Seconde, le SNU se trouve directement intégré à la scolarité obligatoire des élèves, une évolution qui, d'une certaine façon, s’inscrit dans la logique punitive et quasi totalitaire prescrite par Attal pour l'école : « à l’école française, on ne conteste pas l’autorité ». Mais l’on comprend alors que l’Éducation nationale franchit un degré de plus dans la mise en place de quelque chose qui tient davantage du dressage que de l’éducation.

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