jeudi 14 juillet 2022

Obligatoire et punitif, le SNU est d'abord une servitude militaire


Des pompes infligées de nuit à tout un groupe de jeunes de 15 à 17 ans, sous les hurlements d’un militaire en retraite promu éducateur par la grâce du SNU ? Ce n’est pas la première fois, dans la courte histoire du SNU, que des punitions collectives – par ailleurs interdites dans l’Education nationale – sont remises au goût du jour par un encadrement nostalgique de la vie de caserne, de son folklore et de ses brimades. Mais ici, c’est un lycée (Jean Rostand, à Strasbourg) qui tient lieu de caserne, c’est le rectorat qui organise, c’est l’Education nationale qui paye et qui met en œuvre un dispositif officiellement présenté comme le couronnement de toute une éducation qui s’affiche avec satisfaction comme civique et morale. En dépit des dénégations (« il n’y a pas de militarisation… » affirme le ministre), dans le SNU, la dimension militaire et identitaire reste prégnante ; avec le recul de trois années d’expérimentation, on peut même affirmer qu’elle l’emporte sur toute autre préoccupation, renforcée par le profil très spécifique des jeunes volontaires majoritairement intéressés par les métiers en uniforme ou appartenant (pour un tiers d’entre eux) à une famille de militaires.

Cet aspect du SNU faisait l’objet d’une note de blog parue il y a presque quatre ans (26/10/2018). S'il faut l'actualiser c'est pour mentionner la facilité avec laquelle l'Education nationale s'est coulée dans ce moule militaire...


Dans le cadre de leur campagne de communication, les promoteurs du SNU (service national universel) ont beau assurer qu’il ne s’agit pas de « recréer un service militaire », cette précaution oratoire ne doit pas faire illusion : en dépit des dénégations officielles, le service obligatoire que le gouvernement a prévu d’imposer à tous les jeunes de 16 à 18 ans, conserve dans son principe comme dans ses modalités une forte dimension militaire.

En premier lieu, le projet trouve son origine dans la volonté de Macron, exprimée pendant la campagne électorale, « d’inculquer aux jeunes la discipline, l’autorité, les priorités stratégiques de la France », dans un contexte marqué par une nostalgie maladive pour l’ancien service militaire, largement répandue dans tous les milieux politiques. Que le SNU ait été élaboré par une commission dirigée par un militaire et dont le président a personnellement nommé tous les membres n’est évidemment pas fortuit : d’emblée, le cadre est fixé, qui se traduit par une période d’enfermement obligatoire qui ne diffère guère d’un encasernement. Du reste, ce sont des considérations budgétaires bien plus que morales ou pacifistes qui ont amené Macron à en rabattre avec un projet d’une durée initialement prévue de 3 à 6 mois. Le rapport Menaouine ne fait d’ailleurs pas mystère de cet objectif : « … chaque génération doit, autour de sa majorité, prendre conscience des enjeux de la défense et de la sécurité nationale et s'approprier les moyens d'en comprendre les outils et de discerner le rôle que chacun peut y jouer. » (1) L’autre finalité du SNU, notamment à travers sa seconde partie, volontaire, met en avant l’engagement militaire : « il s'agit d'effectuer une sensibilisation approfondie par des personnels compétents en matière de défense et de sécurité nationales et européennes : connaissance des menaces, moyens et organisations pour y remédier, présentation des différentes formes d'engagement relevant de la sphère de la sécurité. » Autant que possible, le SNU doit fournir à l’armée le personnel dont elle a besoin et dont les choix budgétaires plus que généreux assurent le financement. Quant aux « enjeux de la défense », aux « priorités stratégiques », ils font l’objet du tabou habituel qui confond l’intérêt de la France avec celui de l’industrie d’armement, maître d’œuvre de la politique étrangère du pays. Aujourd’hui, le ministre des Affaires étrangères Le Drian ne fait que poursuivre la politique de l’ancien ministre de la défense Le Drian avec un même objectif : vendre des armes au plus offrant. Une « priorité » évidemment passée sous silence par le SNU comme elle l’est pour tous les élèves dans le cadre de l’éducation à la défense, seule source autorisée par l’Education nationale.
 
Le même rapport confirme la place réservée à l’armée, notamment dans l’encadrement des jeunes : « … l'encadrement de contact doit, à l'instar de ce qu'était majoritairement l'encadrement du service national militaire, faire appel aux jeunes appelés eux-mêmes (…) en leur déléguant des fonctions de responsabilité et d'autorité de haut niveau en dépit de leur jeune âge et le cas échéant de leur absence de diplômes. » La discipline militaire brutale et abêtissante reste le modèle à suivre : « L'efficacité souvent démontrée des méthodes militaires de formation à la conduite de groupe par les cadres de contact… » A cette fin, poursuit le rapport Menaouine, d’anciens sous-officiers ou officiers à la retraite pourront être recrutés.
 
La ministre des armées, F. Parly, ne dit pas autre chose : « le ministère des armées aura tout son rôle à jouer dans le futur service national universel » (11/09/2018). Tandis que sa secrétaire d’état, G. Darrieussecq évoque le rôle que « la garde nationale pourra être amenée à jouer dans ce dispositif d’envergure

Enfin, avec des encadrants civils (jeunes en service civique, étudiants etc) dont il est bien spécifié qu’ils doivent être "formés par l’armée "l’encadrement du SNU s’affiche sans complexe comme fortement militarisé. Cette dimension étant encore renforcée par les brutales sanctions prévues contre les réfractaires.
 
Car, même si la communication officielle reste très discrète sur le sujet, on est bien forcé de rappeler que, depuis les débuts de la conscription, la rencontre entre l’armée et la société s’est toujours faite sous le mode de la coercition, de la punition. Avec de lourdes peines de prison, avec la peine capitale en période de guerre, les réfractaires au service obligatoire ont pendant longtemps payé un lourd tribut à leur refus de l’armée et au respect de leurs convictions, la France, pour ce qui la concerne, ne reconnaissant le statut d’objecteur de conscience qu’en 1963 (et encore un statut très limitatif, concédé du bout des lèvres par le pouvoir gaulliste suite, notamment au combat acharné de Louis Lecoin). Avec le SNU, la contrainte restera de rigueur, comme l’explicite le rapport Menaouine : « le caractère obligatoire de cette période serait sanctionné par des moyens analogues à ceux en vigueur aujourd’hui pour la JDC : impossibilité de passer le code, de passer le baccalauréat ou un autre diplôme, exclusion de concours administratifs, etc » Une véritable mort civile attend donc les jeunes qui refuseront le SNU, des réfractaires à qui sera offerte cependant, dans une formulation toute kafkaïenne, « la possibilité de se soumettre volontairement » (sic). C’est aussi le même cynisme qui a présidé à l’organisation de la prétendue « consultation » lancée sur la question, consultation tronquée, malhonnête dans son principe, puisque, précisément, elle exclut toute remise en cause de la période d’enfermement obligatoire, qualifiée impudemment par ses concepteurs, d’« engagement obligatoire ».
 
Enfermement obligatoire sous peine de lourdes sanctions, encadrement militaire pour une discipline militaire (port de l’uniforme, rituels patriotiques), information à sens unique autour de la politique militaire de la France : le SNU est bien le dernier avatar en date d’une longue tradition de soumission des jeunes à un discours militaire toujours hégémonique.



(1) - Une formulation identique à celle retenue par le projet officiel : « Prise de conscience, par chaque génération, des enjeux de la défense et de la sécurité nationale. »

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Le venin dans la plume, le venin dans l'école

Le venin dans la plume, le venin dans l'école

  Avec plus d’un tiers des électeurs votant au premier tour pour Zemmour, Le Pen ou Dupont-Aignan, la victoire finale de l’extrême-droite ...