samedi 11 juin 2022

SNU : Une coquille vide mais qui coûte cher à l’école

 SNU pour Macron, conscription et service de travail obligatoire pour Mélenchon, rapport catastrophiste des sénateurs sur le déficit civique supposé des jeunes etc :  à travers un dispositif par nature coercitif, les politicien.nes de toutes tendances partagent une même vision identitaire et militaire de l’intégration à la société de jeunes qui, pourtant, qu’on le veuille ou non, en font partie depuis le jour de leur naissance. Une représentation d’une classe d’âge qui, finalement, en dit plus sur les adultes en question que sur les jeunes.

Le 12 juin, pour la 3e année consécutive, débute le séjour dit « de cohésion » de quelques milliers de volontaires. Faisons confiance aux médias pour relayer sans aucune distanciation la propagande officielle sur un SNU dont la généralisation coûterait chaque année, aux dernières estimations, 3,5 milliards € au contribuable, prélevés exclusivement sur le budget de l’Education nationale. Une singularité dont la mouvance éducative, à quelques exceptions près, ne semble toujours pas avoir pris la juste mesure.

Depuis février 2018, j’ai assuré un suivi critique et régulier du SNU (61 billets toujours consultables, quand les serveurs de Canalblog le veulent bien…) à l’adresse suivante : http://journaldecole.canalblog.com/tag/SNU

Le billet ci-dessous, initialement paru le 01/02/2022, revient sur le séjour de cohésion 2021.

 

La récente enquête de l'INJEP (Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire, 01/2022) sur le déploiement du SNU 2021 n’apporte que peu d’informations nouvelles : par rapport au séjour de préfiguration de 2019 (le SNU 2020 avait été annulé pour cause de pandémie), le séjour dit de cohésion sur lequel se concentrent la communication officielle et l’admiration béate des médias, en dépit d’une satisfaction de façade affichée par ses promoteurs, continue à charrier son flot d’incohérences, d’absurdités et ses ambiguïtés. 

Ambiguïté liée d’abord, pour une bonne part, à la très faible représentativité des jeunes volontaires : 14 500 volontaires (sur un total potentiel de 2, 5 millions de jeunes potentiellement concernés). 78 % sont des élèves – se reconnaissant majoritairement comme « bons élèves » - de lycée général ou technologique mais seulement 11 % venant de filières professionnelles (contre 33 % des jeunes scolarisés en France). 4 % résident dans un quartier labellisé politique de la ville (contre une moyenne nationale de 8 % pour les 15-17 ans), seuls 6 % appartiennent à une famille financièrement très peu à l’aise, 2 % pas à l’aise du tout. Avec des volontaires issus très majoritairement d’un milieu aisé (29 % ont un père cadre supérieur/ profession libérale, médecin, enseignant etc), on est donc très loin du brassage social mis en avant par les initiateurs du SNU.

Comme déjà relevé en 2019, le milieu militaire ou corps en uniforme est également surreprésenté : 10 % des jeunes ont un parent dans l’armée, la police/gendarmerie ou les pompiers, 37 % déclarent avoir un parent qui a travaillé dans un de ces corps, 57 % « révèlent une appétence pour l’immersion dans un cadre militaire (…) Cette spécificité forte – reconnaît prudemment le rapport – facilite l’adhésion [des volontaires] aux valeurs portées par le SNU et ne permet pas d’inférer les réactions de l’ensemble d’une classe d’âge dans le cadre d’un SNU rendu obligatoire ».

Cette homogénéité socio-culturelle (un communautarisme à la française ?) ne fait que mieux ressortir l’inadaptation du dispositif, ses difficultés à faire face aux situations particulières qui sont pourtant la norme dans un monde normal. Ce dont le rapport d’enquête ne fait d’ailleurs pas mystère, notamment dans la prise en charge du handicap : « Dans les faits, la capacité d’accueil et de prise en charge a parfois été remise en question en raison de besoins d’accompagnement renforcé insuffisamment anticipés… » Mais plus généralement, face à des situations psychosociales dégradées, le personnel d’encadrement n’était manifestement pas à la hauteur : « les équipes étaient globalement peu préparées à repérer des situations de cet ordre, ne comptant pas parmi les membres de l’encadrement ou de la direction, de fonction référente sur ces problématiques ni de compétence spécifique.»

Ont été relevés notamment : « des troubles psychiques entraînant un risque vis-à-vis des autres volontaires, la fugue d’un jeune hébergé dans un centre éducatif fermé » et même le bizutage d’un jeune en situation de handicap… Pratiques de bizutage qui, par ailleurs, sont mentionnées à plusieurs reprises. Face à ces désordres, l’encadrement peut se montrer abrupt – conseils de discipline, exclusions – et les réponses décalées par rapport aux normes éducatives du monde moderne, spécialement quand elles prennent la forme de punitions collectives (théoriquement interdites dans les établissements scolaires). On ne s’improvise certes pas éducateur…

En 2021, le rôle majeur joué par l’Education nationale dans la mise en place du SNU s’est encore renforcé, le pilotage étant confié aux DASEN et aux services départementaux à la jeunesse et aux sports ; si, au printemps 2021, les premiers ont eu du mal à organiser correctement les épreuves du bac, ils se sont par contre fortement impliqués dans la préparation du SNU. Sur 12 directeurs de centre (des sites investigués), sept sont chefs d’établissement scolaires (à personnalité paraît-il « charismatique »…), deux sont professeurs de lycée ou d’université, avec également un ratio de 10 hommes pour 2 femmes… Pour les deux tiers des jeunes volontaires, le choix résulte de la sollicitation ou de l’information venues de leur établissement scolaire (professeur principal, CPE, réunions d’information etc). Avec un SNU financé par le budget de l’EN, encadré par des personnels de l’EN, squattant des locaux scolaires, se trouve ainsi confirmée la grande complaisance de l’institution (et le grand silence de ses employés) pour un dispositif dont la dimension éducative n’est évidente que pour ses instigateurs… quand elle est encore affichée.

De fait, en 2021, le bilan scolaire initialement prévu est passé à la trappe (de même d’ailleurs que le bilan de santé, réduit à une vérification auprès des parents) et la mission dite d’intérêt général (MIG) censée constituer une avancée dans la construction du parcours personnel et professionnel des jeunes n’apparaît plus que comme un élément très secondaire : « le bilan « compétences transversales et orientation » qui avait pour finalité la valorisation des compétences transversales des jeunes et l’identification de leurs intérêts professionnels (…) a en fait été peu mis en œuvre. » Il en va de même du bilan de compétences numériques « qui n’a été que très rarement réalisé. » Au demeurant, le principe de la mission d’intérêt général est biaisé par les attentes très spécifiques des jeunes volontaires dont une très large majorité « souhaite se tourner vers les corps en uniforme, que ce soit l’armée (53%), la police ou la gendarmerie (42 %) ou les pompiers (36 %). »

En outre, la multiplication des activités et des modules, souvent proches de ce que les élèves vivent à travers leur scolarité, sans véritablement de fil conducteur, est également interrogée : « Finalement, on sait ce que n’est pas le SNU, on peut le définir par la négative mais on ne sait pas ce qu’il est exactement » (un personnel d’encadrement).

Dans ces conditions, puisqu’il se confirme que la mission d’intérêt général n’est ni une mission ni un service rendu par les jeunes à la société et que le séjour dit de cohésion tourne à vide, que reste-t-il du SNU et de ses objectifs officiellement affichés à grand renfort de communication ?

  •  « Le renforcement de la cohésion nationale par l’expérience de la mixité sociale et territoriale au sein d’une même classe d’âge » : la mise en uniforme pendant 15 jours de jeunes issus d’un même milieu social, au profil voisin, est un simulacre de mixité .

  •  « le développement d’une culture de l’engagement par la transmission des valeurs de solidarité et la promotion des modalités d’implication dans une tâche d’intérêt collectif » : outre le fait qu’un engagement obligatoire (puisque le SNU est censé le devenir) n’est pas un engagement, aucune réflexion sérieuse sur ce que pourrait être l’intérêt général ne se dégage d’une mission aléatoire de 12 jours ou 84 heures. Un jeune volontaire, réceptif à la présentation du SNU et à la notion d’engagement, fait part de son désappointement : « ça m’a intéressé même si je ne sais toujours pas franchement de quel engagement il s’agit… »

  • « L’accompagnement de l’insertion sociale et professionnelle des jeunes par l’identification de difficultés et l’orientation vers des dispositifs adaptés » a disparu des priorités du SNU.

  • Ne reste en fin de compte que « l’accompagnement des jeunes dans la prise de conscience des enjeux de Défense et de sécurité » : un objectif qui, dès la mise en place du SNU, l’emportait sur tous les autres au point de faire du recrutement militaire une obligation majeure de l’Education nationale.

Le SNU, une coquille vide ? En dépit de ce bilan ubuesque mais attendu, 120 millions d’euros vont être dépensés en 2022 (en attendant les milliards que demandera sa généralisation) pour afficher aux yeux d’un public ébahi et demandeur l’image édifiante d’une poignée de jeunes en uniforme, au garde-à-vous devant le drapeau pour la Marseillaise quotidienne. Dans le cours d’une campagne électorale gangrenée par les vociférations identitaires, on aurait aimé que l’Ecole donne d’elle-même et de ses objectifs civiques une autre image que celle qui conforte les pires discours politiques.

La présente note de blog ne s’attarde pas sur les très nombreux dysfonctionnements relevés dans ce rapport d’enquête : défaillance de la logistique (transports, repas, laverie etc), gestion des contrats et des rémunérations, dissensions au sein des équipes encadrantes, recrutements de dernière minute, « vécus comme un point sensible de la préparation ...» (fichiers BAFA consultés dans l’urgence…) etc, témoignant d’un certain amateurisme. La question de  l’uniforme a souvent tourné au mauvais gag : insuffisant en quantité (2 teeshirts pour 2 semaines…), non adapté aux différentes activités, aux conditions météorologiques mais, plus grave, à la morphologie des jeunes volontaires. Faire porter à une jeune fille faisant du 38 une tenue du 42 n’est pas spécialement une marque de respect, ce que, d’ailleurs, reconnaît un membre de l’encadrement : « On ne se rend pas bien compte de la violence symbolique que peut induire le changement de cinq tailles de vêtement en une seule matinée. J’ai de nombreuses jeunes filles qui ont eu des sourires amers »…

Sur tous ces points, se reporter au rapport publié sur le site de l’Injep.

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