mardi 12 décembre 2023

Treize millions d’élèves en uniforme pour le service d’Attal

 

Plusieurs niveaux de lecture aux annonces d’Attal sur l’uniforme scolaire.

Le plus classique consiste à relier ce sujet aux conceptions éducatives traditionnelles de la droite et de l’extrême-droite où dominent les préoccupations d’autoritarisme (confondu avec l’autorité) et de mise au pas des élèves et des établissements scolaires, ainsi que le refus d’envisager ce que pourrait être une école qui transcende les inégalités sociales. En quelque sorte, l’uniforme à l’école plutôt que la justice. Inconnu, sauf très marginalement, dans l’histoire scolaire de la France et de l’Europe (Grande-Bretagne exceptée), le thème de l’uniforme, depuis une vingtaine d’années, n’a été promu sujet d’actualité que sous la pression – ahurissante, compte tenu de la nature du sujet – des politicien.nes de droite et d’extrême-droite (une vingtaine de propositions de loi déposées au Parlement), relayée avec une complicité et une complaisance jamais démenties par la majeure partie des médias. L’uniforme scolaire, s’il venait à être généralisé, ne remédierait en rien à l’échec scolaire ni ne toucherait à la nature d’un système construit de longue date sur la sélection sociale. En quelque sorte, l’uniforme scolaire pour se donner bonne conscience à peu de frais.


A un autre niveau, les annonces d’Attal illustrent, s’il en était encore besoin, le fonctionnement non démocratique, profondément autoritaire, non seulement de l’Éducation nationale mais des institutions politiques qui attribuent au pouvoir exécutif un pouvoir exorbitant dont on n’a d’exemple dans aucune démocratie. Dans quel genre de régime politique la jeunesse peut-elle se voir imposer le port d’un uniforme sur le simple claquement de doigt d’un ministre (ou de l’épouse de président) ? Dans quel pays un ministre peut-il dire « je veux » à 13 millions d’élèves et à leur famille, à un million de personnels d’établissements, sans susciter un haussement d'épaules ou une vigoureuse contestation ? En Grande-Bretagne, où, d’ailleurs, nulle règlementation nationale n’existe sur le sujet, la tradition de l’uniforme s’appuie sur une autonomie réelle des établissements et non sur un oukase ministériel qu’on attend plutôt de la Russie poutinienne. Mais nous sommes bien dans la France de Macron… Ce que montre la décision d’Attal, c’est un mépris confondant pour les élèves et les familles, les personnels des établissements, infantilisés, auxquels il est simplement demandé d’obéir sans discuter.

Un troisième niveau de lecture s’intéresse à la forme donnée par Attal à sa communication, car il s’agit bien de communication, et plus précisément d’une mise en scène : apparaissant partout à la fois sur les plateaux télé, dans les studios de radio, bénéficiant d’une couverture médiatique surréaliste eu égard à la médiocrité du sujet (cette obséquiosité des journalistes pour un ministre !), Attal fait son show. Mais la décision qu’il annonce, péremptoire sur la forme, est en réalité beaucoup plus louvoyante sur le fond. Sans doute bien conscient que la généralisation de l’uniforme scolaire s’avérait dans l’immédiat impossible, Attal expose doctement sa théorie de l’ « expérimentation » de l’uniforme, attribuant à l’école la fonction traditionnelle du lave-linge ou d’une marque de lessive, une expérimentation qui sera évaluée « scientifiquement » dans deux ans, promet-il, peut-être sous les auspices des neurosciences et du Conseil scientifique de l’éducation. Ubu, ministre…

Mais pourquoi donc dans deux ans, sinon pour reporter l’échéance vers des échéances électorales pour lesquelles Attal semble manifester une attention plus soutenue que pour son travail quotidien de ministre. C’est sans doute dans cette optique que sa cellule de communication a imaginé un curieux système de financement de l’uniforme scolaire, entièrement à la charge de la collectivité, dans le but d’écarter au moins momentanément une contestation trop vive des familles. Momentanément, car il vaut sans doute mieux laisser dans l’ombre ce qui suit : si l’on estime à 300 euros en moyenne le coût moyen d’un uniforme (c’est le cas en Angleterre), son extension à 13 millions d’élèves générerait une dépense publique annuelle approchant les 4 milliards d’euros, somme à laquelle il faudrait d’ailleurs rajouter les 3 milliards prévus pour la généralisation du SNU. La mise au pas de la jeunesse, vieux fantasme de la droite et de l’extrême-droite aurait donc un coût qu’une « expérimentation » limitée permet provisoirement d’occulter. 7 milliards d’euros ponctionnés sur la richesse publique dans un pays où 20 % des élèves vivent sous le seuil de pauvreté et où plusieurs milliers d’entre eux dorment la nuit dans la rue, 7 milliards d’euros rien que pour relayer le rêve de toute puissance et concrétiser la pitrerie d’un ministre à la chasse aux électeurs. Mais les pitres n’ont jamais honte de rien…

Ce qu’attend Attal d'une bruyante campagne de communication, arrogante et décomplexée, c’est donc une forme de retour sur investissement : peu importe à la limite que, la décision revenant en la matière aux conseils d’école et aux conseils d'administration des établissements, l’uniforme scolaire ne touche finalement qu’un nombre limité d’élèves, cette indécente opération de communication aura surtout pour objet de conforter l’image d’Attal dans l’électorat de droite et d’extrême-droite. Indécente, car il faut une nouvelle fois poser la question de l’instrumentalisation du service public d’éducation au bénéfice des ambitions personnelles du ministre, ce qu’autorise un système éducatif centralisé et à bien des égards despotique, construit autour de l’obéissance indiscutée à l’autorité supérieure. Avec le principe de l’uniforme scolaire, les personnels, les parents, les élèves – avec une excuse pour ceux-ci, par nature contraints – sont comme un rouage dans la promotion de la carrière d’un politicien qui n’a plus de légitimité comme ministre. Refuser l’uniforme à l’école : il suffirait de peu de la part des personnels, des parents et même des élèves pour mettre fin à la carrière d’Attal et surtout redonner du sens et de la crédibilité à une Éducation nationale qui n’en a plus guère.

 

Sur ce blog : 

Irrationnel mais pas seulement : derrière l’uniforme scolaire, les ambitions démesurées d’un pouvoir politique

La droite et l'uniforme : une école mise au pas

Un avatar du voyeurisme : l'uniforme scolaire


 

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