lundi 11 décembre 2023

Résister à Attal : un impératif, mais pas derrière la république

 

Intervenant dans le cadre du forum des enseignant.es innovant.es, Philippe Meirieu appelle à résister à la politique furieusement réactionnaire du gouvernement. Appel salutaire, certes mais est-il indispensable que l’argumentaire se réfère à un idéal républicain qui n’a jamais existé et à un régime républicain qui, en matière éducative, n’a jamais été un modèle de libération ou d’émancipation. Tout au contraire.

Pour étayer sa démonstration, Philippe Meirieu cite Condorcet, Ferdinand Buisson, Jaurès, Jean Zay mais une citation ne suffit pas à restituer la réalité d’une époque.

Condorcet, bien sûr, mais outre le fait que l’œuvre scolaire de la Révolution française demeure  particulièrement mince, notamment pour ce qui touche à l’enseignement primaire, l’idéal humaniste de Condorcet – qui n’a jamais reçu de traduction législative – ne doit pas faire oublier que la Révolution fut traversée de fantasmes éducatifs de nature totalitaire à l’instar du « plan d’éducation nationale » de Le Peletier de Saint-Fargeau qui prévoyait l’encasernement général de tous les enfants de 5 à 12 ans, justifié par ce principe que la suite de l’histoire fait considérer comme effrayant : « (...) la totalité de l’existence de l’enfant nous appartient : la matière ne sort jamais du moule ; aucun objet extérieur ne vient déformer la modification que vous lui donnez. » On peut encore citer cet autre conventionnel Rabaut Saint-Etienne : « La doctrine de l’éducation nationale consiste à s’emparer de l’homme dès le berceau et même avant sa naissance ; car l’enfant qui n’est pas né appartient déjà à la patrie. Elle s’empare de tout homme sans le quitter jamais, en sorte que l’éducation nationale n’est pas une institution pour l’enfant mais pour la vie tout entière. » Ce projet, que la mort de Robespierre enverra aux oubliettes, fut d’ailleurs vigoureusement combattu par Condorcet : « ce moyen peut former sans doute un ordre de guerriers ou une société de tyrans mais il ne fera jamais une nation d’hommes, un peuple de frères. » Quel idéal républicain : celui de Condorcet ou celui de Le Peletier, tout autant « républicain » ?

L’école de la république, c’est aussi et surtout celle de la Troisième république qui fit sa priorité de l’exaltation du sentiment national et la défense armée de la patrie. Dans la perspective d’une revanche à prendre sur l’Allemagne, il fallait alors préparer les élèves le plus tôt possible à leurs futures obligations militaires. « Pour la patrie, par le livre et l’épée », la devise de la Ligue de l’enseignement, fondée par Jean Macé, accompagnait une débauche d’initiatives militaristes. Dès 1871, étaient organisés dans les écoles de garçons des exercices de tir qui préfiguraient la création, en 1882,  des bataillons scolaires dont le « code manuel » (1885) expliquait : « Nous aurons ainsi une génération courageuse, sûre d’elle-même, au caractère bien trempé, bien équilibré et qui sera prête à tous les sacrifices le jour où, forte de son droit et pleine de confiance en ses défenseurs, la France ira fièrement planter son drapeau sur les bords du Rhin ! » Paul Bert, ministre de l’Instruction publique, en mettant en place une commission d’éducation militaire déclarait aux instituteurs : « ce petit enfant (…), c’est le citoyen de l’avenir et dans tout citoyen, il doit y voir (…) un soldat toujours prêt » (juillet 1881). Les personnalités les plus éminentes de l’École républicaine, comme Ferdinand Buisson (directeur de l’enseignement primaire, maître d’œuvre du Dictionnaire de pédagogie), se retrouvaient sans état d’âme sur cette ligne belliciste : « L’École primaire (…) enseignera, inspirera l’obligation absolue pour le jeune Français d’accepter les sacrifices que lui commandera son pays, fût-ce celui de sa vie » (Manuel général de l’Instruction primaire, 1905). Même tonalité guerrière chez Lavisse (1885) : « Si l’écolier ne devient pas un citoyen pénétré de ses devoirs et un soldat qui aime son fusil, l’instituteur aura perdu son temps. » L’École de la république, c’est celle qui soumet à un endoctrinement intensif des générations d’élèves dont près d’un million et demi trouveront la mort dans les tranchées de la Première Guerre mondiale. Un meurtre de masse à porter au débit de l’école de la république.

Jaurès peut bien affirmer que « la République n’enseigne aucun catéchisme fût-il républicain », toute l’histoire de l’école républicaine montre le contraire, depuis les bataillons scolaires jusqu’au SNU dont l’Éducation nationale est aujourd'hui la promotrice. Plus d’un siècle après Jaurès, la République à l’école est plus que jamais objet d’un culte, diffusant une croyance irrationnelle mais obligatoire, avec ses textes canoniques – les valeurs de la république, la laïcité – son personnel dédié, ses symboles  (drapeau au fronton des écoles et dans les salles de classe, Marseillaise placardée sur les murs), ses rituels patriotiques de plus en plus forcés, ses sanctions contre d’improbables « atteintes aux valeurs de la république » érigées en délit.  

L’École de la république, c’est celle qui affiche avec brutalité son mépris pour la liberté de conscience des individus, élèves, parents, personnels éducatifs, censés plier sans aucune critique possible devant une morale d’état (qui s’exprime aujourd’hui par l’intermédiaire de cours d’éducation dite « morale et civique », gangrenée par une vision identitaire de la vie en collectivité, une éducation dans laquelle les « valeurs de la république » ont surtout pour objet – à travers un bourrage de crâne pluriannuel – de conforter un ordre politique et social indiscuté, tabou, parce que « républicain », des valeurs dont il est bien précisé qu’elles doivent être « partagées » par tous les élèves…) Lorsqu’un ministre (de gauche... septembre 2012), appelant à un « redressement intellectuel et moral », explique à qui veut l’entendre que « la morale laïque, c’est (…) distinguer le bien du mal. (…) Il faut assumer que l’école exerce un pouvoir spirituel dans la société (…) », c’est bien au projet d’une religion d’état qu’il se réfère. Avec toutes les contraintes, toutes les violences qui vont avec.

L’École de la république, c’est encore celle à qui s’est constamment refusée à aborder la question de la mixité sociale, longtemps réticente à remettre en question la répartition des élèves en deux ordres scolaires – primaire et secondaire – correspondant à un ordre social inégalitaire assumé sans état d’âme. De ce point de vue, est-il exagéré de dire que le principe d’un examen d’entrée en lycée décidé par Attal ou le rétablissement du redoublement s’inscrivent dans la longue histoire scolaire d’un régime – la république – qui n’a jamais fait de l’égalité sociale autre chose qu’une formule inscrite au fronton des mairies ?

L’école n’a rien à gagner à se réfugier derrière l’image d’un régime politique au demeurant jamais défini, image historiquement aussi diverse, aussi troublée que les circonstances qui l’ont engendrée (la 5e République, débarquée dans les bagages des paras…) et dont la finalité a plus souvent visé à sa propre conservation qu’à l’émancipation de la société.

 

 

Cette note de blog n’est pas une critique de Philippe Meirieu pour qui j’ai beaucoup d’estime et de respect ; juste l’expression d’une divergence d’analyse sur un sujet qui, à mes yeux, n’est pas suffisamment pris en compte dans les débats sur l’école. 

 

Pour prolonger sur ce blog : A l'école, la république pour surveiller

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