mardi 13 décembre 2022

La droite et l'uniforme : une école mise au pas

Le 14 décembre, l’Assemblée nationale débat le plus officiellement du monde et sans état d’âme particulier d’une proposition de loi du RN sur l’uniforme scolaire. Une proposition d’extrême-droite visant à mettre toute la jeunesse en uniforme, c’est bien en France que cela se passe – et nulle part ailleurs – et nous sommes bien en 2022…

L’exposé des motifs ne convaincra personne, en particulier  dans sa prétention affichée de lutter contre les « marqueurs sociaux », objectif émanant d’un parti qui ne s’est jamais illustré dans la défense de la justice sociale – il est d’ailleurs significatif que cette proposition ne concerne pas les établissements privés. A peine plus crédible la dénonciation des « tentatives répétées d’imposer dans les établissements publics des tenues à caractère religieux ou ethnique » qui aboutirait à faire porter à 8 millions d’écoliers et de collégiens le poids du non-respect de la loi de 2004 par quelques dizaines d’élèves, que, d’ailleurs, un uniforme n’empêcherait pas de contourner… Si cette proposition de loi s’inscrit effectivement dans le contexte de la lancinante croisade identitaire menée par la droite et l’extrême-droite contre la présence et la visibilité des musulmans en France, elle peut également se comprendre comme l’expression d’une volonté de contrôle s’appliquant à l’ensemble de la population scolarisée, un contrôle dont l’uniforme serait le symbole.

Il faut distinguer ici entre l’uniforme librement choisi et l’uniforme imposé. Dans le premier cas (adhésion à un mouvement de jeunesse, une association sportive, un ordre religieux etc), il résulte de la décision autonome et personnelle de rentrer dans une collectivité, un groupe, dont on partage les valeurs. Tout autre est la signification de l’uniforme imposé de force par une autorité extérieure – ici l’Etat sollicité par un parti politique – à une population contrainte, comme c’est présentement le cas, les premiers concernés – élèves, familles, établissements scolaires – étant tenus à l’écart d’une décision venue de l’extérieur. On ne peut même pas invoquer l’exemple de la Grande-Bretagne où la tenue vestimentaire des élèves ne résulte pas d’une décision politique mais d’un choix propre à chaque établissement dans un contexte éducatif radicalement étranger à la centralisation autoritaire qu’on connaît en France.

De fait, dans un pays qui n’a jamais connu par le passé l’uniforme scolaire, c’est d’abord sous la pression de la droite et de l’extrême-droite que, depuis une vingtaine d’années, un sujet, pourtant aussi futile au regard des enjeux éducatifs, a pu s’imposer dans des médias complaisants : rien qu’à l’Assemblée nationale, une dizaine de propositions de loi déposées depuis 2015, toutes émanant des mêmes rangs, témoignent  d’une étrange et scabreuse obsession pour un objet qui, jusque-là, était resté totalement étranger au débat éducatif. Une obsession qui en dit bien davantage sur les politiques que sur les élèves : derrière le faux-semblant de l’exposé des motifs, c’est bien une méfiance profonde pour les jeunes et une volonté de contrainte, de mise au pas, de ces derniers que la revendication de l’uniforme scolaire met à jour. Dans une école rendue obligatoire par des préoccupations d’ailleurs très voisines, la tenue vestimentaire obligatoire est une étape de plus dans la mise en conformité des jeunes avec un ordre politique et moral - hâtivement qualifié de républicain, (étiquette tellement galvaudée qu'elle ne signifie plus rien) - sacralisé. D’une certaine façon, l’uniforme scolaire vient conforter les fantasmes déjà à l’œuvre avec le SNU (et sa généralisation ?) et le climat délétère autour d’une école vue comme une forteresse assiégée : mais des élèves en uniforme, au garde-à-vous devant le drapeau aux accents de l’hymne national, ce rituel organisé et imposé par l’Education nationale avec la complicité d’une partie de ses agents, dans quel genre de régime politique voit-on cela ?

Aujourd’hui, il faut se demander comment un sujet aussi dérisoire que l’uniforme scolaire a pu à ce point s’imposer dans l’espace public – quoique restant en grande partie étranger aux établissements scolaires, ce qui n’est pas le moindre des paradoxes. Incontestablement, c’est le signe qu’en matière éducative, la droite est maîtresse du calendrier, comme elle l’a montré avec les cinq années Blanquer… des années qui s’inscrivent dans la continuité des années Darcos (lui-même chaud partisan de l’uniforme), Fillon, de Robien, L Ferry etc, marquées par une régression brutale de la pensée sur l’école et la pusillanimité de la gauche sur le même sujet : la contestation des valeurs éducatives de la droite et de l’extrême-droite – ne rêvons même pas de l’émergence d’une école émancipatrice – demande quand même un peu plus d’imagination et de courage qu’un simple catalogue de mesures budgétaires. 

 

Même si l'on a du mal à le croire, la photo d'illustration a été prise au lycée O. Guichard à Guérande (44) en juin 2019.

 

Mise à jour (15/12/2022, 19h)

L’école, « une citadelle assiégée (…) l’institution scolaire, territoire conquis de l’islamisme (…) l’uniforme instaure une rigueur qui permet à l’élève d’être directement conditionné au savoir, à la hiérarchie. Nous pouvons enfin tendre vers le retour de l’ordre » : le débat devant la commission de l’éducation confirme qu’avec l’uniforme c’est bien d’une mise au pas qu’il s’agit…

 

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