mardi 4 avril 2023

La droite et l'école : l'autonomie des établissements, faux-nez de l'autoritarisme

A l’initiative des Républicains, le Sénat doit débattre prochainement d’une proposition de loi intitulée en toute modestie « pour une école de la liberté, de l’égalité des chances et de la laïcité ». Cette proposition, inspirée par l’expertise quasi exclusive de la Cour des comptes, déballe dans un fourre-tout grossièrement ficelé les traditionnelles et rudimentaires croyances de la droite sur l’école.


Le texte s’affiche en opposition à « toutes les réformes menées depuis 60 ans »… donc depuis les débuts de la 5e République… donc en opposition à toutes les réformes initiées le plus souvent par des gouvernements de droite.  Pas à une contradiction près et partant de de l’idée que ces réformes « n'ont eu pour objectif que d'aménager un système vertical, uniforme et oublieux des particularités des établissements », la proposition aboutit en réalité à renforcer le côté vertical, uniforme et oublieux des particularités des établissements.

De fait, cette proposition de loi que ses rédacteurs (Brisson, Grosperrin, Retailleau et quelques autres bien connus pour leur vision simpliste de l’école) vantent comme un document audacieux et novateur, limite ses ambitions à deux préoccupations érigées par la droite en totem : la nomination des enseignants (défense et illustration de l’autonomie des établissements) et la tenue vestimentaire des élèves ( défense et illustration de la laïcité). Lorsque la droite se penche sur l’école, derrière la « liberté, l’égalité des chances, la laïcité », c’est quand même tout autre chose qui se dessine.

Une école de la liberté… Liberté pour qui ?

Mesure-phare de la proposition, la création d’« établissements publics autonomes d'éducation, avec les collectivités territoriales volontaires et les recteurs » qui  auront la possibilité de passer un contrat portant notamment « sur l'organisation pédagogique et les dispositifs d'accompagnement des élèves, l'affectation des personnels, l'allocation et l'utilisation de moyens budgétaires et enfin le recrutement des élèves. » Traduction : avec la possibilité de choisir les enseignants et les élèves, le chef d’établissement disposerait de prérogatives qui sont aujourd’hui – du moins en théorie – celles de l’enseignement privé sous contrat… mais qui, sauf aux yeux de la droite, n’ont jamais montré d’effets positifs incontestables. Une prérogative également accordée aux directeurs des écoles maternelles et élémentaires qui se verraient ainsi confier une « autorité hiérarchique » dont la nature n’est pas précisée.

Derrière ce vieux serpent de mer de la droite, qualifié abusivement d’autonomie des établissements, se cache en réalité une tromperie de premier ordre : dans un système centralisé et autoritaire, la nomination codifiée et encadrée des enseignants leur assure aujourd’hui une forme d’indépendance et de sécurité (d’emploi notamment), garantissant d’une certaine façon une liberté pédagogique et/ou professionnelle (dont il faut bien reconnaître qu’ils ne font guère usage). Liberté que la nomination directe par le chef d’établissement viendrait sérieusement mettre à mal. Mais – c’est là qu’est l’arnaque – à partir du moment où le chef d’établissement tient lui-même sa nomination et son pouvoir d’un recteur qui est d’abord la voix et le bras armé du ministre (1), ce que la proposition de loi désigne sous le nom d’autonomie des établissements aboutit en réalité, en plaçant les enseignants dans une situation de sujétion directe, à renforcer le pouvoir de l’administration non seulement sur la carrière des enseignants mais aussi sur leurs pratiques, leur conception de l'éducation et sur la vie des établissements.

Quelle autonomie pour les établissements quand on ne remet en cause ni le carcan des programmes officiels, ni la surveillance infantilisante, tatillonne voire punitive des inspecteurs et de l’administration, ni le contrôle envahissant des savoirs et des compétences par des évaluations nationales biaisées et répétées ? Autant de données – inviolables parce que touchant à la substance de l'Education nationale – que la proposition de loi se garde bien d’évoquer. Tout à l’opposé d’une libéralisation à tort dénoncée, l’autonomie des établissements telle que conçue par la droite, aggrave en réalité la centralisation du système éducatif et renforce la toute-puissance de l’Etat dans un domaine où elle est déjà étouffante.

Une école de l’égalité des chances… A condition d’avoir de la chance.

De façon significative, si l’égalité apparaît dans le titre de la proposition de loi, elle est totalement évacuée de son contenu. Un oubli qui ne tient pas du hasard. Réduire les inégalités impliquerait en effet une remise en cause radicale d’un système éducatif fondé sur l’élitisme et la ségrégation sociale, remise en cause qu’à droite (et pas seulement à droite…) on se garde bien d’affronter. En France, l’influence du milieu social sur les performances scolaires est parmi les plus élevées des pays de l’OCDE, avec 20 % en France contre 13 % en moyenne (PISA 2018). Autrement dit, si les enfants des milieux aisés réussissent à l’école, les enfants des pauvres y échouent plus souvent. Les résultats des évaluations nationales montrent que les inégalités augmentent tout au long du primaire et du collège. « Si on prend les élèves les moins performants en CP, plusieurs années plus tard, en CM2, 60% des élèves de milieu défavorisés sont restés dans le groupe le plus faible contre 10% des enfants de milieu favorisé » (Café pédagogique, 07/12/2022). La publication de l’IPS (indice de position sociale) confirme d’ailleurs la force d’une ségrégation systémique à tous les niveaux de la scolarité, entre établissements privés et établissements publics mais également à l’intérieur des établissements publics.

Pas un mot sur ce sujet dans une proposition de loi qui, en revanche, fait resurgir, pour l’accentuer, la division ancienne entre primaire et secondaire, une division qui n’entre sans doute pas pour rien dans l’échec scolaire. Avec une formation des enseignants du primaire séparée de celle du secondaire et confinée dans ce qu’il qualifie de « savoirs fondamentaux », en réalité des rudiments, le document illustre la préférence pour une conception traditionnelle mais peu justifiée d’un système éducatif cloisonné en deux ordres historiquement fondés sur la ségrégation sociale. Une mesure qui n’est pas sans rappeler le projet de rétablir un examen d’entrée en 6e mis en avant par la même famille politique lors des dernières présidentielles.

Une école de la laïcité… sans rapport avec la laïcité.

Bien sûr, la droite ne serait pas la droite sans son inévitable couplet sur les « signes ostensibles d’appartenance religieuse ou communautaire » ou encore la tenue vestimentaire des élèves. En imposant l’uniforme scolaire, elle est à la hauteur de ses préoccupations et des idées suspectes de quelques vieux messieurs (et de quelques vieilles dames aussi, sans doute) qui ont réussi à noyer le principe de laïcité dans des obsessions vestimentaires. Un principe de liberté et de tolérance déshonoré en police des mœurs, une morale de talibans pour l’école et la société civile. Une exigence d’autonomie des établissements, de « liberté donnée aux écoles », qui ne voit pas de contradiction avec le fait de priver les établissements d’une responsabilité – la tenue vestimentaire des élèves – qui est aujourd’hui la leur, pour la transférer à une administration ou à un parti politique. Un cas sans doute relativement rare dans le monde…

Il faut vraiment avoir abandonné toute ambition éducative (et se moquer du monde) pour faire de l’uniforme scolaire le gage d’une « disposition d’esprit propice au suivi des enseignements ». Abandonné également toute préoccupation sociale pour voir dans l’uniforme l’assurance d’une « mixité sociale atténuant les inégalités en élèves ».

En réalité, l’idéal éducatif de la droite, tel qu’il ressort de cette proposition de loi se résume à réunir les enfants des riches en uniforme de riche dans des écoles de riches, les enfants des pauvres en uniforme de pauvre dans des écoles de pauvres. La liberté qu’elle met en avant comme un étendard dissimule mal une volonté de contrôle renforcé de l’administration sur le système scolaire.

Ce programme éducatif d’une droite décomplexée ne fait que rendre plus urgente l’élaboration d’un projet éducatif véritablement alternatif qui serait autre chose qu’un simple catalogue de mesures financières. A moins qu'on ne fasse le choix d'attendre que la société change avant de changer l'école. Ce qui risque de prendre un certain temps...

 

(1) Outre que la proposition de loi est particulièrement évasive sur la nature des prérogatives que le rectorat serait disposé à déléguer, on ne voit pas en quoi les attributions supplémentaires (notamment dans la gestion de la carrière des profs) concédées au politique - fût-il régional - pourraient être assimilées à une forme de privatisation.

 

L'uniforme scolaire, une obsession de droite. Sur ce blog :  

Égalité et uniforme scolaire : attention, arnaque ! 

La droite et l'uniforme : une école mise au pas

Un avatar du voyeurisme : l'uniforme scolaire

Entre fiction médiatique et arnaque politique : l'uniforme scolaire

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