mercredi 10 juillet 2024

Des enseignants contre l'extrême-droite : bien mais peuvent mieux faire...

 

A la veille des élections, un collectif d’enseignants dénonçant la menace qu’une victoire de l’extrême-droite ferait peser sur l’école : une démarche certes opportune à un moment où cette menace n’a jamais été aussi forte. Mais comme un malaise à la lecture de cet appel.

« Instiller des idées et des débats nauséabonds (…) des candidats (…) englués dans des considérations ethniques et racistes » : si l’extrême-droite n’a effectivement jamais fait mystère de ses objectifs, le contre-argumentaire manque de poids en ne prenant pas ses distances avec une rhétorique qui est précisément celle que l’on prétend dénoncer.

Dans un texte relativement court, 16 occurrences pour « France », 8 pour « français », 20 pour « république », sont autant de références, de concessions plus ou moins conscientes à un imaginaire qui est celui de l’extrême-droite.

« Nous profs de France » : répétée à quatre reprises, cette formule malheureuse enferme une profession, une fonction et d’une certaine façon tout un service public dans un collectif fantasmé – la nation – qu’on s’interdit de remettre en question et dont le caractère exclusif (français/étranger) constitue le fondement de la pensée d’extrême-droite.

Tout comme cette curieuse injonction « faites honneur et respectez l’histoire de France », qui s’enferre dans la contradiction consistant à dénoncer l’extrême-droite tout en reprenant à son compte un des instruments préférés de la mouvance identitaire : le roman national.

 

Est-il possible de faire société sans se référer au cadre arbitraire, jamais défini, historiquement ouvert à toutes les dérives – orgueil national, xénophobie, racisme – de la nation ? Un questionnement qui semble totalement étranger à cette tribune, comme, il est vrai, à un système éducatif qui s’est égaré ces dernières années dans la promotion forcée de la nation comme réponse à une supposée menace communautariste, quand bien même la nation n’est jamais qu’une forme de communautarisme. En cette période trouble, la (re)lecture de Suzanne Citron reste encore la meilleure thérapeutique : 

« Notre « crise d’identité », vraie ou supposée est, à bien des égards, une crise de l’imaginaire historique et de la vision de la chose publique. Quelle histoire commune et plurielle permettrait ici et là de lutter contre les fanatismes, les haines ou la simple désaffection ? » (1).

« La jeunesse de notre république (…), ne trahissez pas l’esprit de la république (…), nous profs de France, exigeons le respect de la République » : même avec une majuscule, la république mérite-t-elle vraiment l’exigence de respect ? Ici encore, la question est évacuée comme elle l’est à travers la liturgie des « valeurs de la république » qui tient lieu d’éducation morale et civique dans le cursus obligatoire des élèves. Une république déconnectée de toute historicité (de quelle république parle-t-on, de la Première, de la Cinquième ?), sacralisée par les programmes scolaires et la surveillance pathologique des élèves (les « atteintes aux valeurs de la république »…), une république qui exige allégeance et conformisme, peut-elle être réellement considérée comme une réponse possible à une extrême-droite qui peut s’en revendiquer sans crainte d’être démentie ?

Comprenons bien : l’objet de cette note de blog n’est pas d’intenter un procès à des enseignants qu’inquiète à juste titre l’effarant programme éducatif de l’extrême-droite. Plus simplement, quel que soit le résultat des élections, l’école ne passera pas à côté d’un effort d’introspection et de remise en cause d’un certain nombre de « valeurs » considérées comme autant d’évidences parce que jamais interrogées : d’une part la nation imposée comme seul mode de sociabilité possible et qui ne tient que par une adhésion forcée quasi religieuse ; d’autre part une république confondue avec l’état et qui n’a jamais été émancipatrice, surtout pas à l’école. Si la république a perdu aux yeux de beaucoup d’élèves une bonne partie de sa crédibilité et de sa légitimité, c’est plus par une accumulation d’indignités que par un défaut d’enseignement.

C’est aussi le refus de poser ces questions qui ouvre la porte à l’extrême-droite.

 

(1) Suzanne CITRON, Le mythe national, l'histoire de France revisitée, Les Éditions de l'Atelier, 2017.

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