« Une politique de justice sociale », plastronne un leader RN. Justice sociale ? Il faut arrêter l’escroquerie : dans le programme RN, pas un mot sur la justice sociale et un programme économique qui colle au plus près des desiderata du patronat. Sans doute pour la première fois dans l’histoire de l’Europe, la prise du pouvoir par l’extrême-droite ne résulte pas d’une crise sociale, économique ou politique mais est l’aboutissement d’une violente campagne idéologique construite autour d’un bouc-émissaire : l’étranger ou celui qui est réputé tel, surtout lorsqu’il est jeune. Les électeurs du RN ne se sont pas prononcés contre le chômage, les inégalités, l’injustice sociale, contre la précarité mais, contre la visibilité des migrants (et du foulard) dans les rues, pour le bouclage des frontières, pour une justice expéditive, pour des pouvoirs illimités à la police. Un projet social ?
Ce qui est affolant dans la période actuelle, c’est de voir des millions de gens qui, certes n’ont jamais été totalement immunisés contre le racisme, les vieilles lubies identitaires et l’autoritarisme – on le savait – verser sans la moindre hésitation dans une attitude irrationnelle faite de bêtise, de crédulité, d’admiration béate pour des tribuns haineux qui n’ont rien d’autre à proposer que la peur et la brutalisation du corps politique et social. Voter pour un projet, c’est un principe démocratique mais voter contre quelqu’un, de quoi est-ce le nom, sinon celui du racisme et de l’exaltation nationale qui en est une composante.
Est-ce surprenant ? A vrai dire, le vote du 30 juin ne vient pas de nulle part, il est plutôt comme la réactivation exacerbée d’un orgueil national partagé bien au-delà de la stricte mouvance d’extrême-droite. L’agitation hystérique des drapeaux n’est jamais anecdotique ni sans conséquences : en dépit de son côté irrationnel, lorsqu’elle est perçue comme principe de base de la vie en société et imposée comme tel, la nation porte en elle le germe de la discrimination et de l’exclusion. Jusqu’à la bêtise : quand une ancienne ministre se voit mise en cause non pour son action mais pour sa double nationalité, quelle différence entre la préférence nationale et le racisme primaire ? Mais cette ancienne ministre – ce n’est pas lui manquer de respect que de le rappeler, encore moins tempérer la faute de son stupid eaccusateur – aura sans doute été bien imprudente ou bien mal conseillée lorsque, comme ministre de l’Éducation nationale (2014-2017), elle plaçait la promotion de l’idée nationale au cœur de la formation morale et civique des élèves, entretenant et amplifiant une tendance lourde, ancienne, dont on ne peut pas faire abstraction pour comprendre la prégnance de certaines thématiques d’extrême-droite dans les mentalités.
On retrouve là la question de savoir comment la préférence nationale peut prendre une telle importance dans les choix électoraux, pourquoi le concept fumeux d’identité nationale efface toutes les autres formes d’identité, pourquoi toute une partie de l’électorat peut se lancer aveuglément dans un choix dont elle ne tirera aucun avantage et même dont il y a fort à parier qu’il se retournera contre elle. Par principe, la nation permet de faire abstraction de toute autre forme d’environnement, elle ne demande pas de réfléchir, de comprendre, juste de croire et d’obéir. C’est, au moins pour partie, ce qui explique son succès mais qui rend difficile, auprès de ses adeptes, une prise de conscience.
Dans ses conditions, il est très imprudent de ne voir dans l’arrivée au pouvoir de l’extrême-droite qu’un accident de l’histoire auquel les échecs attendus en matière économique et sociale viendraient rapidement mettre fin. Très significatif le fait que, surtout dans les derniers moments de sa campagne, le RN ait exclusivement mis en avant les thèmes identitaires et sécuritaires, son ADN. Il est effectivement plus simple de construire des prisons, d’instaurer des peines-plancher, d’abaisser l’âge de la majorité pénale, d’expulser des migrants, d’interdire le voile sur l’espace public, de mettre les élèves en uniforme et de leur faire chanter la Marseillaise etc, que de faire baisser le chômage, de réduire les inégalités ou d’améliorer la vie quotidienne*. Et quand les difficultés viendront à s’accumuler, il sera toujours temps de réactiver des sujets comme la peine de mort ou la sortie de l’UE, qui pourraient pour l’instant, effaroucher une partie de l’électorat. Pour l’instant, car la force de l’habitude aidant…
* Et je ne parle même pas de la question environnementale, totalement absente des préoccupations de l’extrême-droite. Ce qui, en soi, est déjà un programme…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire