Dans le flot d’images relayés sur le SNU par les médias, la plus marquante, parce que la plus diffusée, est celle de ces jeunes en uniforme, réunis au garde-à-vous chaque matin devant le drapeau pour chanter la Marseillaise. De fait, compte tenu de l’affligeante banalité des occupations quotidiennes qui font office de remplissage – quand elles ne tournent pas au ridicule – et comme, d’autre part, il est difficile de prendre au sérieux l’impossible mission dite « d’intérêt général » – une coquille vide – censée prolonger le séjour dit « d’intégration », le SNU, c’est d’abord cela : la mise en scène d’une jeunesse militarisée et patriotique, disciplinée, un message adressé à une opinion publique nostalgique du service militaire, fantasmé comme le garant d’un ordre civique perdu.
Mais dans un contexte de sacralisation de la république et des institutions politiques (et donc par voie de conséquence des dirigeants réputés les incarner), le SNU ne se réduit pas à un court moment dans la vie dont on pourrait après tout s’accommoder comme d’un rituel folklorique bien dans l’air du temps. Systématiquement mis en avant par ses promoteurs, le cérémonial matinal du lever des couleurs, répété inlassablement d’un jour sur l’autre, en conférant au SNU une dimension quasi religieuse, conduit à une confusion des genres aux conséquences malsaines.
Par sa nature, un cérémonial patriotique – lever des couleurs, hymne national, posture codifiée exigée des participants – n’est pas qu’un simple spectacle ; il contraint ses acteurs à se couler dans un moule, à proscrire toute forme d’individualité, toute expression de sa personnalité, dans une unanimité dont on attend qu’elle ne soit pas seulement de façade. Mais à la différence d’autres rituels, celui-ci, surtout lorsqu’il est imposé à toute une population ou à toute une classe d’âge, recèle un potentiel de manipulation mentale dont on ferait bien de mesurer toute la portée : cette cérémonie emblématique du SNU, destinée à devenir obligatoire, introduit dans la scolarité des élèves une forme de religiosité, de mysticisme, contraire aux principes d’émancipation et d’acquisition de l’esprit critique constitutifs d’une société qui serait réellement démocratique, c’est-à-dire respectueuse des différences. Ce que n’a jamais été la société française, prompte à voir dans les différences la marque d’un communautarisme fantasmé.
Religiosité, mysticisme, foi : ces valeurs qui sont intrinsèquement légitimes quand elles résultent d’un choix personnel, ne le sont plus lorsqu’elles font l’objet d’un enseignement obligatoire mais aussi d’un détournement manifeste comme c’est le cas, par exemple, de la laïcité, vidée de sa signification d’origine et promue au rang de dogme absolu, protégé par un personnel dédié et une législation tatillonne et punitive (« les atteintes à… »). Très fière de l’héritage de Lumières qu’elle accapare bien indûment, l’Éducation nationale dénature ses exigences – notamment lorsqu’elles s’affichent comme morales et civiques – par une dimension véritablement irrationnelle qui la décrédibilise.
Ici, une fois de plus, le problème s’appelle l’identité nationale, une notion indéfinissable exploitée jusqu’à la corde lorsqu’il s’agit de promouvoir des appartenances factices et par corollaire de désigner une menace potentielle : l’autre, l’étranger, le migrant, le musulman, celui que le non-rattachement à une collectivité réputée comme "nationale" fait regarder avec suspicion. L’identité nationale, dont la place extravagante dans le débat public occulte les enjeux autrement essentiels et fait obstacle à la compréhension du monde. En entretenant la fausse sécurité des frontières nationales et d’une communauté artificielle rassemblée derrière ses chefs, dans un ordre politique et social considéré comme immuable, intouchable, le SNU prend effectivement toute son sens à un moment de l’histoire, qu’on espère provisoire, où le repli sur soi, la peur des différences, la méfiance tiennent lieu de projet politique… et éducatif. Avec le SNU, la solidarité s’efface derrière l’égoïsme national, l’esprit critique et la tolérance derrière l’obscurantisme et l’étroitesse d’esprit.
« On nous a appris l’ordre…on se sent encore plus fiers d’être français », explique un volontaire du SNU, à l’issue de son séjour dit « d’intégration ». Mais de quel ordre, de quelle intégration s’agit-il ? Tel qu’il se montre aujourd’hui, le SNU ne peut pas cacher qu’il s’agit d’une période obligatoire d’endoctrinement, d’inculcation d’une morale d’état, dans une scolarité elle-même désormais obligatoire. Quelque chose qui, à ma connaissance, n’existe dans aucune démocratie. Adhésion forcée à une morale, éducation civique confondue avec la foi, uniformes, bannières au vent, hymnes et chants de gloire : certains s’y sont déjà essayés. Mais l’histoire s’est mal terminée.
Dans quelques semaines, des lycéen.nes de Seconde devront intégrer le SNU contre leur gré, un premier pas vers l’obligation d’un dispositif qui, à ce jour, n’a suscité aucune contestation massive, aucune remise en cause significative. Ce qui, en soi, est déjà significatif…
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