samedi 2 septembre 2023

A l’école, une laïcité infantilisante et punitive

 

« L’École de la République a pour mission de former des citoyens libres, éclairés, dotés des mêmes droits et devoirs, et conscients de leur égale appartenance à la société française… » Ne pas en être persuadé « doit être sanctionné disciplinairement… » Fidèlement retranscrites de la note de service du 31/08/2023, ces propositions traduisent mieux qu’un long commentaire l’absurdité d’une posture dans laquelle s’est enferrée l’Education nationale à propos de la laïcité. Posture irrationnelle peut-être mais finalement pas tant que ça, tellement la responsabilité de l’EN paraît depuis trop longtemps engagée.

A la veille de la rentrée scolaire, quelques centaines de jeunes filles affolant un Etat, un gouvernement, les médias, la plus grosse partie de l’opinion. Mettant en branle, toutes affaires cessantes, à tous les étages, les rouages (qui peuvent être monstrueux) de la machine Education nationale. Quelques centaines de jeunes filles – sur un total de 12, 5 millions d’élèves – mettant à elles seules en péril l’école de la république et la république avec elle. Le symptôme de ce mal absolu : une poignée de jeunes filles qui, avec leur robe longue, portent atteinte à la laïcité.

Une robe comme atteinte à la laïcité ? Une atteinte qu’on aurait du mal à trouver dans l’histoire de la laïcité comme dans son texte fondateur ; après des siècles de religion d’état et de persécutions religieuses, la loi de 1905 énonçant ce principe tout simple : « l’Etat assure la liberté de conscience ». Un principe tout simple et qui aurait dû le rester, s’il n’avait été galvaudé par des exigences qui l’ont détourné sur une voie – la laïcité « à la française » - qui la vide de son sens, qui la défigure : symbole à l’origine, de tolérance et de liberté, elle tourne aujourd’hui à la police des mœurs, tout spécialement à l’école où des millions d’élèves font l’objet d’une surveillance soupçonneuse de leurs fait et gestes comme de leur tenue vestimentaire.

Une robe comme symbole du communautarisme, comme menace du vivre ensemble ? Encore faudrait-il dire de quel vivre ensemble il s’agit, avec un système éducatif vecteur d’inégalité, qui considère comme une fatalité que les résultats des élèves et donc leur orientation soient étroitement corrélés à leur milieu social ; une école qui, dans un même service réputé public d’éducation (enseignement privé y inclus), entretient l’entre-soi à travers la permanence de ghettos scolaires étroitement cloisonnés. « Ne rien laisser passer » (Macron et les thuriféraires de la laïcité à la française) avec les robes de quelques jeunes filles mais laisser passer tout ce qui mine en profondeur l’école de la république et la société, laisser passer les « fiascos de la république » (Suzanne Citron)…



Cette note de service qui met sur le pied de guerre, à la veille de la rentrée, comme s’il n’y avait pas d’autres priorités, toute la hiérarchie de l’EN pour traquer l’ennemi, n’est pas seulement ubuesque. Par sa formulation, elle met en lumière une constante de l’Education nationale dans son rapport à la société civile (et donc aux élèves). Car si l’abaya, pour se limiter à cet objet qui sème la terreur, n’est porté que par défi par certaines élèves, la publicité qu’on lui offre ne fera que conforter ces dernières dans leur attitude (il faut avoir oublié ses 15 ans pour penser le contraire). Mais – plus grave – si cette robe est, pour celle qui la porte, la marque d’une profonde conviction religieuse, il faut alors considérer le harcèlement administratif qui la cible comme une forme de persécution religieuse. Ce qui nous fait retomber bien bas, bien loin, à une époque pré laïque, lorsque, par exemple, en révoquant l’édit de Nantes, le roi très chrétien sommait les protestants de faire baptiser leurs enfants et de les élever dans la foi catholique sous peine de les leur enlever et d’envoyer le père aux galères. Certains émigraient, beaucoup se convertissaient mais que valait cette conversion forcée ?

En condamnant les récalcitrantes à une « sanction disciplinaire » (sans préciser d’ailleurs laquelle…) l’Education nationale est en totale contradiction avec les principes moraux et civiques (former des citoyens libres, éclairés, former à l’esprit critique etc) qu’elle met en avant dans ses programmes officiels, en particulier ceux d’EMC qui, vus sous cet angle, apparaissent ici comme des instruments de stigmatisation de toute une partie de la société française d’aujourd’hui : d’un côté la France des Lumières, la France des droits de l’Homme, de l’autre toute une population d’origine immigrée censée manifester obéissance et gratitude pour les bienfaiteurs qui lui ont apporté la civilisation mais sans doute pas vraiment persuadée que les Lumières et les droits de l’Homme aient toujours conduit l’histoire de France. Déguisées en SNU, au garde-à-vous devant le drapeau, ces jeunes chanteront peut-être la Marseillaise mais leur consentement n’aura pas plus de sens que tous ceux qui sont arrachés par la contrainte et l’humiliation. 

Et si l’image de la soumission peut rassurer momentanément ceux qui l’exigent, l’humiliation, chez ceux qui la subissent, est rarement bonne conseillère. Comme l'ont montré les émeutes du début de l'été...

Incapacité à dire la morale et le civisme autrement qu’à travers l’injonction et la rhétorique surplombante ; refus de la diversité – combiné à un incorrigible orgueil national – toujours perçue comme une menace ; refus du dialogue assimilé à de la faiblesse : c’est une conception infantilisante et par certains côtés totalitaire de la laïcité – en réalité une négation de la laïcité – que l’Education nationale cultive pour l’école. Avec une obstination et un aveuglement dont on serait bien inspiré de mesurer les effets : depuis 1989, avec « l’affaire du foulard » de Creil, lancée à l’initiative de quelques enseignants bien mal avisés et de leur chef d’établissement, affaire régulièrement relayée par d’autres du même genre et par les relevés kafkaïens des « atteintes à la laïcité », en se complaisant dans une posture de forteresse assiégée, l’Education nationale n’est sans doute pas pour rien dans l’entretien d’un climat de peur, de méfiance irrationnelle qui fait le lit du racisme.

Mais il est tellement plus confortable de faire la morale aux enfants des écoles que de se remettre soi-même en question.

Reste également que cette imposture qui consiste à faire naître de toutes pièces un invraisemblable psychodrame autour d’une rentrée scolaire devrait faire s’interroger sur la nature du système scolaire français. Comment concevoir que la communication d’un ministre réussisse à noyer les véritables enjeux éducatifs sous des futilités vestimentaires érigées au rang de priorités ? Parmi les éléments de réponse, on pourra mentionner à nouveau le caractère fortement autoritaire, non démocratique, d’une institution où la parole du ministre, ses caprices, sont immédiatement relayés à tous les échelons, sans contestation, par une administration aux ordres. Avec un empressement qui parfois confine à la servilité et qui aboutit à placer le service public d’éducation au service des ambitions personnelles du ministre. Avec la chasse à l’abaya, le ministre a, paraît-il, gagné des points dans les sondages. Mais l’école, qu’y a-t-elle gagné ?

 

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