dimanche 29 janvier 2023

1933 - 2023...


De Berlin, où il est un jeune magistrat stagiaire, Sebastian Haffner observe avec effroi les événements qui se déroulent en Allemagne au cours des premiers mois de 1933 : avec une rapidité sidérante, la mise en place d’un régime de terreur qui ne ressemble à nul autre. Une terreur qui vise les opposants réels ou potentiels (à ce moment, Hitler, quoique chancelier depuis le 30 janvier, n’est pas majoritaire en Allemagne) mais surtout un groupe humain. Si l’antisémitisme n’est pas une invention allemande, le nazisme a su lui donner une dimension proprement systémique, institutionnelle et juridique ce dont Haffner a parfaitement conscience. Haffner n'est pas historien – juste un témoin lucide et intuitif ; il quittera l’Allemagne en 1938 – mais le nazisme ne porte-t-il pas une dimension qui échappe, par certains côtés, aux canons de l’analyse historique ? Ce qu’a déjà remarqué Alice Miller lorsqu’elle met en relation le sort des juifs avec l’éducation reçue par leurs bourreaux.

Dans ce court extrait, Sebastian Haffner analyse avec une perspicacité que la suite de l’histoire viendra confirmer les ressorts d’une haine – purement raciale ou simplement identitaire ? – qui réussira à déshumaniser tant de braves gens. L’Europe de 2023 n’est certes pas celle de 1933 mais à 90 ans de distance, est-ce tomber dans l’anachronisme que de mettre en garde contre la résurgence un peu partout des vieilles lunes identitaires ? 

 

« … plus personne ou presque ne doute aujourd’hui que l’antisémitisme nazi n’a pratiquement rien à voir avec les juifs, leurs mérites et leurs défauts. Les nazis ne font désormais plus mystère de leur propos de dresser les Allemands à pourchasser et exterminer les juifs dans le monde entier. Ce qui est intéressant n’est pas la raison qu’ils en donnent, et qui est une absurdité si manifeste qu’on se dégraderait en en discutant fût-ce pour la combattre. L’intéressant, c’est ce propos lui-même, qui est une nouveauté dans l’histoire universelle , la tentative de neutraliser, à l’intérieur de l’espèce humaine, la solidarité fondamentale des espèces animales qui leur permet seule de survivre dans le combat pour l’existence ; la tentative de diriger les instincts prédateurs de l’homme, qui ne s’adressent normalement qu’aux animaux, vers des objets internes à sa propre espèce et de dresser tout un peuple, telle une meute de chiens, à traquer l’homme comme un gibier. Une fois que ces penchants meurtriers fondamentaux et permanents à l’égard des congénères ont été éveillés et même transformés en devoir, changer leur objet n’est plus qu’une formalité. On voit bien déjà qu’il est facile de remplacer « les juifs » par les « Tchèques », « les Polonais » ou n’importe quoi d’autre. Il s’agit d’inoculer systématiquement à un peuple entier – le peuple allemand – un bacille qui fait agit ceux qu’il infecte comme des loups à l’égard de leurs semblables ou qui, autrement dit, déchaîne et cultive ces instincts sadiques que plusieurs millénaires ce civilisations se sont employés à réfréner et à éradiquer. » 

 

Sebastian Haffner, Histoire d’un Allemand, Souvenirs 1914-1933, trad. française Actes Sud, 2002.

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