dimanche 19 juin 2022

SNU : l'école au péril d'une mystique identitaire

Dans le flot d’images relayés sur le SNU par les médias, la plus marquante, parce que la plus diffusée, est celle de ces jeunes en uniforme, réunis au garde-à-vous chaque matin devant le drapeau pour chanter la Marseillaise. De fait, compte tenu de l’affligeante banalité des occupations quotidiennes qui font office de remplissage – quand elles ne tournent pas au ridicule (l'an passé,  en Moselle, les volontaires du SNU s’essayant à la traite des vaches sous le regard extasié du recteur d’académie ; aujourd'hui,  la mobilisation pathétique des personnels de l'Education nationale dans le rôle - raté - d'animateurs de colonies de vacances)  – et comme, d’autre part, il est difficile de prendre au sérieux l’impossible mission dite « d’intérêt général » – en réalité une coquille vide – censée prolonger le séjour dit « d’intégration »,  le SNU, c’est d’abord cela : la mise en scène d’une jeunesse militarisée et patriotique, disciplinée, un message adressé à une opinion publique nostalgique du service militaire, fantasmé comme le garant d’un ordre civique perdu.

Note de blog initialement parue le 02/07/2021

 

Dans un contexte de sacralisation de la république et des institutions politiques (et donc par voie de conséquence des dirigeants réputés les incarner), le SNU ne se réduit pas à un court moment dans la vie dont on pourrait après tout s’accommoder comme d’un rituel folklorique bien dans l’air du temps. Systématiquement mis en avant dans chacune de ses interventions publiques par Sarah El Haïry, la secrétaire d’état chargée du truc, le cérémonial matinal du lever des couleurs, répété inlassablement d’un jour sur l’autre, en conférant au SNU une dimension quasi religieuse, conduit à une confusion des genres aux conséquences malsaines.


Par sa nature, un cérémonial patriotique – lever des couleurs, hymne national, posture codifiée exigée des participants – n’est pas qu’un simple spectacle ; il contraint ses acteurs à se couler dans un moule, à proscrire toute forme d’individualité, toute expression de sa personnalité, dans une unanimité dont on attend qu’elle ne soit pas seulement de façade. Mais à la différence d’autres rituels, celui-ci, surtout lorsqu’il est imposé à toute une population ou à toute une classe d’âge, recèle un potentiel de manipulation mentale dont on ferait bien de mesurer toute la portée : cette cérémonie emblématique du SNU, destinée à devenir obligatoire, introduit dans la scolarité des élèves une forme de religiosité, de mysticisme, radicalement contraire aux principes d’émancipation, d’acquisition de l’esprit critique mis en avant par l’Education nationale dans ses programmes officiels mais surtout quand ça l’arrange.


Ici, une fois de plus, le problème s’appelle l’identité nationale, une notion indéfinissable exploitée jusqu’à la corde lorsqu’il s’agit de promouvoir des appartenances factices et par corollaire de désigner une menace potentielle : l’autre, l’étranger, le migrant, celui que le non-rattachement à la collectivité nationale fait regarder avec suspicion. L’identité nationale, dont la place extravagante dans le débat public occulte les enjeux autrement essentiels – menaces environnementales, sanitaires etc – et fait obstacle à la compréhension du monde. En entretenant la fausse sécurité des frontières nationales et d’une communauté artificielle rassemblée derrière ses chefs, dans un ordre politique et social qu’on feint de croire immuable, le SNU prend toute sa place dans un moment de l’histoire, qu’on espère provisoire, où le repli sur soi, la peur des différences, la méfiance tiennent lieu de projet politique… et éducatif. Est-ce vraiment le rôle de l’école d’entretenir des sentiments aussi négatifs, de consolider des représentations aussi potentiellement pernicieuses ? Avec le SNU, la solidarité s’efface derrière l’égoïsme national, l’esprit critique et la tolérance derrière l’obscurantisme et l’étroitesse d’esprit.


« On nous a appris l’ordre…on se sent encore plus fiers d’être français », explique un volontaire du SNU à l’issue de son séjour dit « d’intégration ». Mais de quel ordre, de quelle intégration s’agit-il ? Tel qu’il se montre aujourd’hui, le SNU ne peut pas cacher qu’il s’agit d’une période obligatoire d’endoctrinement, d’inculcation d’une morale d’état, dans une scolarité elle-même désormais obligatoire. Quelque chose qui, à ma connaissance, n’existe dans aucune démocratie. Adhésion forcée à une morale, éducation civique confondue avec la foi, bannières au vent, hymnes et chants de gloire : ce n’est pas sombrer dans l’anachronisme de rappeler que certains s’y sont déjà essayés. Pour le plus grand malheur de tous.

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