lundi 18 avril 2022

Pour faire barrage à l'extrême-droite : abroger la loi contre le séparatisme

Exaltation de l’identité nationale, refus des différences, besoin pathologique de s’inventer un ennemi (l’immigré, le musulman, l’Arabe, mieux encore lorsqu’il s’agit des trois à la fois…) : si les fondamentaux de l’extrême-droite ne changent pas, il est souvent difficile d’accepter l’idée qu’ils sont partagés sur un espace politique et culturel beaucoup plus large, entretenant une forme de confusionnisme dont on n’a pas fini de payer le prix. Un des exemples les plus saisissants reste la loi réputée lutter contre le séparatisme - officiellement « confortant le respect des principes républicains » - votée en février 2021 à l’issue d’un débat public bruyant et indécent au cours duquel tous les poncifs habituels de l’extrême-droite se sont trouvés légitimés sur les bancs du Parlement comme à travers les médias. Une loi tout entière visant la population de confession musulmane, érigée en ennemie publique, considérée comme une menace qu’il convenait en urgence d’éradiquer. Une loi se donnant comme objectif d’apporter une solution (finale ?) au « problème musulman », comme en d’autres temps, on se focalisait sur la « question juive »…


Cette loi, lancée par Macron à la surprise générale quelques mois plus tôt, répondait en réalité à un objectif électoraliste qui sautait aux yeux : détourner de l’extrême-droite une partie des électeurs. Ce fut tout le contraire qui arriva. En toute logique d’ailleurs : si les musulmans, si les immigrés constituent une réelle menace, autant reporter sa confiance sur ceux qui les désignent comme tels depuis toujours. Logique partagée par les 11 millions d’électeurs qui, le 10 avril 2022, ont apporté leur suffrage à l’extrême-droite…


Cette loi contre le séparatisme restera comme l’une des erreurs (morales et politiques) majeures du quinquennat, directement responsable, mais pas toute seule évidemment, d’une situation qui conforte la place de l’extrême-droite dans le débat public. Dans ces conditions, s’il s’agit le 24 avril de « faire barrage à l’extrême-droite », le barrage serait sans doute plus résistant si l’on voulait bien reconnaître que l’on s’est trompé, que l’on ne lutte pas contre l’extrême-droite en reprenant les armes de l’extrême-droite et qu’il est peut-être temps d’en tirer toutes les conséquences, par exemple en abrogeant cette loi de la honte. Il y a même urgence. 

 

L’école, objet de toutes les suspicions, compte parmi les victimes collatérales de cette loi séparatisme. C’est l’objet de cette note de blog en date du 18/01/2021 que je fais remonter aujourd’hui : L’école, malade de la république.

 

2657 amendements ! En se jetant avec frénésie dans l’examen du projet de loi gouvernemental « confortant le respect des principes républicains », les députés, dans le contexte d’une crise sanitaire inédite, manifestent une curieuse conception de l’urgence. Cette loi, censée lutter contre un hypothétique séparatisme assimilé au terrorisme, cible pour une large part l'école considérée comme la source du mal ; coupable, lorsqu’elle laisse se développer l’instruction en famille (IEF) mais coupable également lorsqu’en son sein, elle oublierait ce qui, aux yeux des parlementaires, constituerait sa mission sacrée : former de bons Français ou de bons républicains, les deux termes (citoyenneté = nationalité) étant ici définitivement et abusivement confondus.


Sur ce second point (qui fait l’objet de cette note de blog), les députés, à travers leurs amendements, font preuve d’une imagination sans limite, quoiqu’à vrai dire pas nouvelle, réactivant pour la circonstance, toutes leurs vieilles rengaines.


L'école de la république par l'uniforme, le drapeau... et le cours magistral


Le voile, bien sûr, confirme sa place dans les obsessions politiques : parmi beaucoup d’autres, l’amendement 96 entend interdire « le port des signes ou tenues par lesquels les parents accompagnateurs volontaires de sorties et voyages scolaires manifestent ostensiblement une appartenance religieuse ». Dans l’école mais également hors de l’école, comme le suggère, entre autres, l’amendement 911 : « nul parent ou tuteur légal ne peut autoriser à son enfant [sic] ou à celui dont il a la charge le port de signes ou tenues manifestant ostensiblement une appartenance religieuse dans l’espace public. »


Dans le même registre – la citoyenneté par les fringues – on n’est pas surpris de voir resurgir au détour de plusieurs amendements la vieille lubie de l’uniforme scolaire : « Le port d’un code vestimentaire unique est rendu obligatoire au sein des établissements (…) Celui-ci (…) doit garantir une tenue républicaine à tous les élèves » (amendement 231). Une formulation burlesque – « tenue républicaine » - que l’on doit au ministre de l’EN en personne dont on connaît les obsessions sur le sujet.


La formation morale et civique (des jeunes, bien sûr, pas celle des parlementaires qui ont passé l’âge) donne lieu à une débauche de propositions dont chacun pourra apprécier la pertinence. En vrac :


  • L’amendement 1290 demande l’organisation d’une « Journée de la Citoyenneté » (majuscules d’origine).
  • Attention à ne pas confondre avec la « journée nationale de la Fraternité » au cours de laquelle seront organisées des « actions éducatives visant à assurer la transmission des valeurs de la République » (amendement 498). De la même veine, on a échappé de peu à un amendement de Corbière (FI), finalement jugé irrecevable, visant à faire du 20 septembre (bataille de Valmy) un jour férié...
  • L’EMC étant une chose sérieuse, l’amendement 1398, constatant « l’effroyable recul des principes républicains chez certains élèves », recommande d’organiser, « pour le module d’enseignement moral et civique, un cours magistral en lieu et place d’un débat ». Ses auteurs (parmi lesquels Ciotti, Genevard, Abad…) croient bon de mettre en rapport l’assassinat de Samuel Paty avec le débat que ce dernier avait organisé autour des caricatures de Mahomet : « il semble ainsi nécessaire de mettre fin à cette forme de débat sous laquelle ce module est dispensé et de revenir à un cours magistral plus traditionnel, afin de dispenser cet enseignement dans les meilleures conditions possibles pour les élèves comme pour les enseignants. » Cet amendement nauséabond, à l’image de ceux qui le soutiennent, oublie simplement que Samuel Paty n’a pas été assassiné par ses élèves et que, dans ces conditions, faire porter à ces derniers la responsabilité d’un meurtre est tout simplement abject.
  • D’une inventivité débridée, les députés proposent également (amendement 1602) de dispenser aux enfants de maternelle des « enseignements dédiés à l’éveil républicain ». Avec un « programme ludique » qui pourrait prendre la forme de « jeux interactifs expliquant les insignes et valeurs républicains » ou encore de « pauses citoyennes mettant en scène des grands médecins ou auteurs, modules d’égalité femme/homme : poupées dédiées… » L’amendement ne précise pas si la pause-pipi doit être comptée comme pause citoyenne.


Il aurait été surprenant que ce débat ne soit pas l’occasion d’une surenchère identitaire dont l’Ecole ne voit décidément pas la fin. Quoique la Marseillaise fasse l’objet à travers les programmes officiels d’un véritable bourrage de crâne, ce n’est manifestement pas suffisant pour les auteurs de l’amendement 1017 exigeant « l’enseignement et la pratique régulière de l’hymne national dans les établissements »… L’amendement 367 demande, lui, d’organiser à chaque rentrée scolaire « un serment à la Constitution et au drapeau pour l’ensemble de la communauté éducative ». Débordant le cadre strictement scolaire mais dans une veine liturgique très proche, on veillera également à ce que « chaque fédération ou club sportif, professionnel ou amateur, organise une cérémonie de levée des couleurs, hymne national suivi de salut au drapeau, avant toute manifestation ou compétition sportive » (amendement 375).


En uniforme, au garde-à-vous, biberonnés aux symboles nationaux, les élèves seront alors sans doute tenus à l’abri du « délit d’incitation à la haine de la France » (amendement 641) passible d’une peine d’un an d’emprisonnement et/ou de 45 000 euros d’amende.


Une république punitive pour l'école


Interdictions, obligations, dénonciations, répression, prison… S’il s’agit de conforter les valeurs de la république, il faut pourtant convenir qu’avec ce projet de loi, la république se fait toujours plus punitive, toujours plus castratrice. Sur le registre incantatoire qui est la norme dès qu’il est question de civisme et de république à l’école, la loi confirme et aggrave une orientation, impulsée depuis plusieurs années par des politiques qui se donnent bonne conscience à peu de frais en se déchargeant de leurs propres responsabilités sur le système scolaire : se réfugier dans les symboles, dans la pensée magique, plutôt que se confronter à la réalité du terrain. Pour les parlementaires, l’enfer a souvent le visage de l’école.


Liberté ? Mais quelle liberté dans un système scolaire corseté, toujours plus étroitement surveillé, dans un cursus obligatoire commençant à 3 ans (sous peine de prison pour les parents) pour se terminer à 16 ans par une période d’encasernement également obligatoire (le SNU) ? Quelle liberté quand l’éducation dite morale et civique vise à l’adhésion forcée à un régime politique qui érige en délit toute remise en cause ? (Significatif, à cet égard, l’amendement 1403 : « tout irrespect à l’encontre [des enseignants] provenant des élèves eux-mêmes, ou de leur famille, est une marque d’irrespect envers l’institution républicaine elle-même »). Comment revendiquer l’héritage des Lumières dans une république en réalité obscurantiste qui fait de l’obéissance et du conformisme les vertus cardinales de l’éducation ?


Egalité ? Quelle égalité quand l’école de la république, perpétue et entretient sans état d’âme les déterminismes sociaux, comme le montrent toutes les enquêtes internationales ? Dans un système éducatif qui persiste à confondre égalité et uniformité ? Qui préfère le centralisme autoritaire à l’autonomie et à la responsabilité des personnes ?


Fraternité ? Quelle fraternité dans une école où le retour fracassant et mortifère du culte national et de considérations identitaires d’un autre âge dresse des barrières entre les individus et alimente les haines ? Comment l’exigence de se sentir « français d’abord » a-t-il pu, en quelques années, gangrener l’école sans susciter, il faut bien le reconnaître, beaucoup d’opposition ?


Les « valeurs de la république » » font déjà à l’école l’objet d’un matraquage dont on ne connaît pas d’équivalent dans le système éducatif d’un pays démocratique. Avant de les conforter, ce qui est l’objet de cette dernière loi, peut-être faudrait-il d’abord songer à les concrétiser dans l’action politique, ce qui n’est pas le cas. A l’école, l’éducation morale et civique élaborée autour de ces valeurs privilégie le conformisme et l’obéissance à un ordre politique que le qualificatif de républicain met à l’abri de toute critique. A force de se rattacher, par habitude et sans beaucoup de discernement, à une république illusoire, l’école s’embourbe dans des compromissions, des contradictions, dans une impasse, qui rendent improbables les évolutions pourtant nécessaires et ne peuvent que la décrédibiliser un peu plus.


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