Dans le contexte électoral actuel où l’extrême-droite se voit honorée de toutes les légitimités, dissimulant derrière un discours prétendument social ses fondamentaux racistes et xénophobes, dans un moment où une partie de la classe politique semble davantage préoccupée de régler ses comptes avec Macron plutôt que de préparer sérieusement l’avenir, où l’europhobie de Le Pen rencontre l’europhobie d’une certaine gauche, où la critique des institutions politiques tourne à l’attaque contre la démocratie, où les si mal nommés antifas relancent leur traditionnelle campagne de défoulement urbain, dans cette conjoncture délétère donc, la (re)lecture de Zeev Sternhell (première édition : 1983) vient à point nommé rappeler une vérité historique : la France est une terre d’élection du fascisme. La collusion d’une certaine gauche avec une certaine droite n’est donc, dans ce pays, ni une surprise ni une chose nouvelle.
Extraits :
« C’est ainsi qu’en ce début de 20e siècle la France est un véritable laboratoire d’idées où se forgent les synthèses originales de notre temps. C’est en France aussi que se livrent les première batailles qui mettent aux prises le système libéral avec ses adversaires. Ainsi, c’est en France que se fait cette première suture de nationalisme et de radicalisme social que fut le boulangisme. C’est là encore qu’on voit apparaître tant les premiers mouvements de masse de droite comme la Ligue des patriotes, la Ligue antisémitique ou le mouvement jaune, que ce premier gauchisme, représenté par un Hervé ou un Lagardelle, qui finira par mener ses militants aux portes du fascisme. Produits d’une crise du libéralisme, l’une des plus profondes qu’ait connues la conscience européenne, ces courants de pensée qui se combattent et s’entrecroisent finissent par se rencontrer à la veille de la guerre. L’esprit fasciste atteint alors sa maturité. C’est en France enfin que va se manifester, avec une ampleur comparable seulement à celle de l’Italie d’avant 1918, un phénomène sans lequel l’intelligence du fascisme n’est pas possible : le glissement à droite d’éléments socialement avancés mais fondamentalement opposés à la démocratie libérale.
Car en France, le fascisme prend ses sources, et ses hommes, aussi bien à gauche qu’à droite, très souvent beaucoup plus à gauche qu’à droite […] Nulle part comme en France on n’enregistre de revirements aussi nombreux, aussi spectaculaires et aussi naturellement logiques. La lignée est longue et continue depuis les radicaux d’extrême-gauche au temps du boulangisme, à Déat et Doriot et les milliers de militants socialistes qui gravitent autour d’eux […] Nul autre parti communiste ne perd en faveur d’un parti fasciste un tel nombre de membres de son Bureau politique que le PCF. Du boulangisme à la collaboration, la gauche française n’a cessé d’alimenter les formations de droite et d’extrême-droite, les mouvements préfascistes ou déjà pleinement fascistes. C’est là une des constantes de la vie politique française ainsi que l’un des éléments essentiels de l’explication de la genèse et de la nature du fascisme en France.
La volonté de rupture de l’ordre libéral est le fil conducteur qui unit la révolte boulangiste des blanquistes, anciens communards et radicaux d’extrême-gauche, à celle, fascisante ou déjà pleinement fasciste, des néo-socialistes, des frontistes ou des hommes du parti populaire français. Pour les uns comme pour les autres, ce qui compte véritablement, ce n’est pas la nature de la révolution, mais le fait révolutionnaire. Pour les uns comme pour les autres, la nature du régime qui succédera à la démocratie libérale importe beaucoup moins que la fin de cette même démocratie libérale. »
Zeev Sternhell, Ni droite ni gauche, L’idéologie fasciste en France, Gallimard, 2012.
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