Un projet éducatif de droite, on sait de quoi il retourne : sélection précoce des élèves, contrôle renforcé de l’administration sur les enseignants (sous couvert d’autonomie des établissements), abandon de toute ambition culturelle au profit d’un recentrage sur les rudiments, bref un projet de classes. Un projet éducatif de gauche, comme alternative crédible à un projet de droite, on n’en a toujours pas vu la couleur.
Un programme rédigé à la hâte sur un coin de table, un programme bâclé qui témoigne surtout du peu d’intérêt manifesté par Macron pour l’école. Une indifférence qui explique sans doute, au moins pour une part, la liberté totale laissée pendant cinq ans à son ministre de l’Education, sauf lorsque le mécontentement devenait trop visible. Un désintérêt qui fait relativiser la portée idéologique trop rapidement prêtée à ce quinquennat à travers la dénonciation d’un libéralisme – curieusement qualifié de néolibéralisme – dont on peine à trouver la couleur dans la surveillance tatillonne imposée par Blanquer à l’école : cinq années de contrôle renforcé, d’autoritarisme, de mépris, pour finalement ne pas changer grand-chose à la nature d’un système scolaire infantilisant à force d’injonctions, sclérosé, qui ne tient debout que par ses habitudes. Et ce ne sont pas les annonces rapidement lancées en direction de l’électeur qui devraient faire bouger les choses : la multiplication des évaluations et leur publication, mesure phare du candidat Macron, loin de libérer les initiatives, de responsabiliser les acteurs, aura surtout pour effet d’accroître le pouvoir de l’administration sur la marche de l’enseignement ; les élèves travaillant pour l’évaluation, les profs évaluant pour être payés, la rémunération comme outil d’assujettissement, ce n’est pas un tournant qui attend l’EN, plutôt l’aggravation d’une vieille tendance.
Chez les autres candidats de droite ou d’extrême-droite, l’humeur est franchement réactionnaire et les programmes, très proches, affichent sans complexe une volonté de revenir loin en arrière : examen d’entrée en 6e, sélection précoce, enseignement limité aux rudiments (abusivement qualifiés de « fondamentaux »), il s’agit de tirer un trait sur 60 ans de massification (réussie) et de démocratisation (à la traîne) qui ont prolongé la scolarisation des élèves issus des milieux modestes cantonnés jusque-là… aux rudiments. Il y a une logique certaine dans le programme Pécresse où le blocage des élèves en fin de CM2, la réduction au strict minimum des programmes de l’école élémentaire portent en germe le retour à une époque où les études secondaires, d’ailleurs payantes jusque dans les années 30, étaient réservées à un petit nombre d’élèves appartenant quasiment tous aux milieux privilégiés. Partant du constat qu’aujourd’hui, des élèves trop nombreux peinaient à suivre une scolarité sereine au collège, Pécresse fait le choix de leur en interdire l’accès : plutôt qu’adapter le collège aux élèves, ce sont les élèves qui devront s’adapter au collège, quel qu’en soit le coût. Un projet résolument réactionnaire qui, reconnaissons-le, n’est pas sans rencontrer un certain écho dans les salles de profs…
Face à cette déferlante conservatrice ou réactionnaire, les projets dits « de gauche », ne brillent ni par leur courage ni par leur pertinence, semblant considérer qu’une augmentation des moyens attribués à l’Education nationale suffirait comme par magie, par une sorte de « ruissellement », à assurer la réussite des élèves. Si les enseignants sont notoirement sous-payés, si les classes sont souvent trop chargées (quoique pas toutes), il est très illusoire de croire qu’une amélioration portée sur ces seuls points suffirait à régler définitivement le problème de l’échec scolaire, encore moins à changer le visage de l’école. Vue sous cet angle, la campagne électorale est d’une consternante indigence :
Aucune réflexion sur les rythmes scolaires, conçus le plus souvent en fonction de l’intérêt des lobbies ou des adultes (semaine de quatre jours, vacances d’hiver etc), surtout quand les contraintes environnementales exigeraient des initiatives audacieuses en termes de constructions scolaires et d’adaptation des activités au changement climatique.
Alors que la droite fait une fixation sur les si mal nommés fondamentaux, rien, à gauche, ne vient remettre en question une forme scolaire (et arbitraire) des savoirs construite autour de programmes lourds, inadaptés, décalqués de disciplines savantes le plus souvent héritées du passé et qui peinent à justifier leur place dans le cursus des élèves autrement que par la tradition ou par la formation à dominante disciplinaire reçue en amont par les enseignants. Une inadaptation flagrante lorsqu’on impose à des enfants de 11 ans quittant l’école élémentaire pour rentrer au collège un saut cognitif qu’aucun argument rationnel – sinon, là encore la tradition ou l’histoire du système scolaire – ne peut décemment justifier et qui ne compte sans doute pas pour rien dans les difficultés de tous ordres rencontrées par les élèves. Dans cette optique, on peut trouver aberrant que des politiques qui s’affichent de gauche n’aient toujours pas pris en considération le fait que l’échec scolaire touchait majoritairement les enfants des milieux défavorisés ; faut-il alors croire que, pour la gauche, la justice sociale devrait s’arrêter à la porte de l’école ?
Toujours à gauche, même absence remarquable de curiosité sur le fonctionnement centralisé, vertical, autoritaire jusqu’à la brutalité, d’une administration à qui un siècle et demi de république n’a pas fait perdre ses relents napoléoniens, une administration où le respect de la hiérarchie passe avant la responsabilisation de ses agents. Apologie de la transmission des savoirs par le maître, renforcement du caractère national des programmes scolaires (comme si les programmes actuels n’étaient pas déjà nationaux…), suppression du contrôle continu aux examens, pouvoirs accrus accordés au corps d’inspection : le changement dans l’école ne passera pas par Mélenchon, pas davantage que par les autres candidat.e.s de gauche, focalisés sur des considérations budgétaires peut-être légitimes mais largement insuffisantes.
De fait, la gauche commet une sérieuse erreur d’appréciation en laissant la droite monopoliser et surtout instrumentaliser à sa guise le débat sur des questions comme la liberté d’enseignement ou l’autonomie des établissements. Car, outre que la droite en donne de son côté une définition très sélective – la liberté comme moyen d’échapper au service public, l’autonomie comme un pouvoir accru du chef d’établissement et donc de l’administration sur les personnels – on peut au contraire penser que ces deux outils pourraient à peu de frais servir de levier pour délivrer le service public d’enseignement de son autoritarisme systémique. Il suffirait juste d’un peu de courage et d’imagination. Comme par exemple : plutôt que de confier la nomination des enseignants au chef d’établissement – une mesure par bien des côtés irréaliste – faire en sorte qu’un chef d’établissement nouvellement nommé vienne présenter et faire discuter son projet par les conseils d’école et d’établissement, engageant ainsi les deux côtés, instituant une autonomie fondée non pas sur le pouvoir de l’un sur l’autre mais sur la responsabilité de l’ensemble. De la même manière qu’un assouplissement conséquent des programmes et des procédures d’évaluation des élèves ne serait pas synonyme de rupture d’égalité entre les élèves, à moins, comme c’est le cas chez les thuriféraires des programmes nationaux ou chez les adversaires acharnés du contrôle continu, de confondre égalité et uniformité. Un malentendu dialectique qu’on est gêné de voir si répandu à gauche.
Un service public délivré de sa chape administrative rigide, des acteurs responsables, libérés dans leurs initiatives, est-ce vraiment un projet de droite ? Le service public d’éducation ne peut-il être par principe que monolithique, redoutant et violentant les différences ou au contraire doit-il les accepter comme une composante naturelle de toute société démocratique ? L'état doit-il être seul éducateur ? La droite est-elle libérale lorsqu’elle soumet les personnels, les élèves, les familles, à une surveillance toujours plus étroite ? Lorsque, supprimant la liberté d’instruction, elle traite comme des délinquants, comme des terroristes en puissance, des parents qui, à un moment donné, font le choix de prendre directement en charge l’éducation de leur enfant ? Autant de questions qui, cette année encore, ne sont pas posées dans le cadre d’une campagne électorale véritablement calamiteuse. Entre une droite résolument réactionnaire et une gauche conservatrice, il n’y aurait donc pas d’alternative ?
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