samedi 9 avril 2022

Marseillaise à l'école : une Education décidément trop nationale

 « Qu’un sang impur abreuve nos sillons ! » Scandée avec exaltation, la Marseillaise est la conclusion obligée de tous les meetings de droite et d’extrême-droite, à peine plus discrète à gauche où les symboles nationaux ont fait depuis quelques décennies un malencontreux retour en force qui coïncide – comme c’est curieux – avec la poussée électorale de l’extrême-droite. Un retour en force dans lequel l’école a tenu une place toute particulière, contribuant, à coup d’injonctions administratives répétées, à légitimer les fantasmes identitaires chez les jeunes générations et dans une large partie de l’opinion. Sans jamais être particulièrement interrogé, encore moins remis en cause par les enseignants…


Petit retour sur 40 années de Marseillaise à l’école. 



Injonctions et surenchère identitaire


1985, 1995, 2005, 2008, 2015… 2019 : depuis près de 40 ans, la Marseillaise inscrit sa marque dans les programmes scolaires, quelle que soit la majorité politique : de Chevènement à Blanquer, chacun a tenu à laisser son nom, dans la promotion de la Marseillaise, un domaine dans lequel le quinquennat 2012-2017 s’est particulièrement illustré. Peu de temps après sa prise de fonction (04/2012) Vincent Peillon fixait la marche à suivre : « Nous devons aimer notre patrie (…) apprendre notre hymne national me semble une chose évidente ». C’est à ce même Peillon que l’on doit la présence du drapeau tricolore dans les écoles (et du drapeau européen, certes, mais pas avec la même ferveur ; certaines écoles, curieusement, ne se donnent même pas la peine de le déployer). Mais c’est l’attentat contre Charlie et l’injonction à "être Charlie" qui devaient donner le signal d’un déferlement patriotique sans précédent ciblant l’école, jugée coupable d’un laisser-aller moral et antinational directement responsable du terrorisme (« à l’école, on a laissé passer trop de choses », Valls). Face au péril communautariste, il était urgent d’ériger un rempart à base de leçons de morale, d’enseignement civique, de préceptes laïques, de valeurs de la république, toutes choses censées s’incarner à merveille dans une nation éternelle identifiée aux yeux des enfants par le drapeau et la Marseillaise.


Dans la foulée des attentats, en décrétant l’année 2016 « année de la Marseillaise », Hollande offrait l’école à la nation, un peu comme, autrefois, on offrait la France à la Vierge. Car il s’agit bien d’un culte organisé par une circulaire officielle (3 février 2016), touchant de multiples aspects des apprentissages scolaires (chorales scolaires, cours d’histoire et d’EMC, commémorations… Fête de la musique ! etc)


Il faut croire que ce n’était pas suffisant, les parlementaires, dans un même élan d’enthousiasme, faisant feu de tout bois pour renforcer toujours plus la présence des symboles nationaux à l’école ; les propositions de loi fleurissent : institution d’une « journée du drapeau » à l’école, texte de la Marseillaise affiché dans toutes les classes (finalement effectif en 2019) etc. Une imagination débridée pour la promotion de la nation.


Le sang impur dans les sillons de l’école


Cette fixation pathologique sur la Marseillaise à l’école renvoie à la question, rarement posée, de la signification et de la légitimité des symboles nationaux dans la formation des élèves. Sur le sens que peut bien avoir l’hymne national aux yeux d’élèves souvent très jeunes, l’inintelligibilité des paroles et surtout leur violence ont déjà fait l’objet de débats qui ramènent au contexte historique : syntaxe et vocabulaire datés rendant le texte incompréhensible mais surtout une rhétorique ambigüe que la référence au moment révolutionnaire n’éclaire guère et surtout justifie encore moins. Les thuriféraires d’une Marseillaise « de gauche », sociale, révolutionnaire, ont beau expliquer que le « sang impur » était en réalité celui des aristocrates oppresseurs du peuple, que la France était en guerre (en oubliant de préciser que c’est elle qui l’avait déclarée…), que la fin justifie les moyens, il n’empêche que dans une salle de classe aujourd’hui, l’injonction à verser le sang impur, à déshumaniser l’autre pour pouvoir l’éliminer sans scrupules, la manie de s'inventer des ennemis, tout cela fait tache dans le cadre d’un système scolaire qui élève le respect de l’autre au rang de priorité éducative.


De son origine guerrière, la Marseillaise a conservé ses accents brutaux et belliqueux que des tentatives pour lui donner de nouvelles paroles, notamment à l’école, ont à plusieurs occasions tenté de gommer. Sans beaucoup de résultats, les enseignants n’étant guère ouverts au débat à propos d’un sujet sur lequel, il est vrai, une étroite surveillance limite drastiquement leur liberté pédagogique. Une tendance qui s’est encore renforcée depuis 2015, le refus de chanter la Marseillaise à l’école étant considéré, le plus officiellement du monde, comme une « atteinte à la laïcité » et devant être dénoncée comme telle aux autorités ! Dans un pays où « l’outrage aux symboles nationaux » constitue un délit passible de six mois de prison et de 7500 euros d’amende (!), l’attachement aveugle à la nation et à ses oripeaux, protégé par la menace et la coercition, fait davantage que la raison.


Identité nationale ou identité collective ? L’école prise au piège


Indépendamment de ces considérations, le débat sur la place de la Marseillaise à l’école – trop souvent réduit à des lieux communs, aux affirmations de gros bon sens – laisse trop de choses en suspens parce que n’interrogeant jamais sa finalité : un hymne national restant par principe un hymne à la nation, il paraît curieux que cette dernière ne soit jamais interrogée (ou rarement), considérée comme allant de soi, toute forme de communauté non-nationale se voyant disqualifiée par l’accusation de « communautarisme ». De fait, depuis ses origines, l’école républicaine s’attache comme à un dogme indéfectible à la nécessité de faire émerger chez l’enfant une « conscience nationale » ; par l’apprentissage de l’hymne national, comme par l’enseignement de l’histoire, l’école s’affiche comme le creuset d’une identité collective qui ne s’imagine pas autrement que nationale, en dépit de la faible assise – historique, philosophique, sémantique – de la notion d’identité nationale (1). Il faudrait quand même davantage que les homélies des apôtres de l’identité nationale pour convaincre que l’identité collective devrait, par principe, se réduire à la nation, une invention récente dans l’histoire de l’humanité, pas plus légitime ni indiscutable que n’importe quel autre artifice par lequel le pouvoir politique a cherché à asseoir sa domination sur la société. Le sentiment national, n’a rien de naturel, notamment chez les enfants, « il n’est spontané que lorsqu’il a été parfaitement intériorisé ; il faut préalablement l’avoir enseigné » (2). Cette conception limitative et tendancieuse des relations humaines est aujourd’hui encore pour une bonne part, quoiqu’on en dise, dominante dans l’histoire scolaire, notamment à l’école élémentaire, où elle reste marquée par le « mythe national » analysé par Suzanne Citron (3), cette « mise en scène du passé » imaginée par les détenteurs du pouvoir, monarchique comme républicain, dans le but de conforter une autorité que la nation permet de sacraliser.


Porteur d’une identité réductrice et historiquement peu fondée, le sentiment national à l’école n’a rien perdu de sa composante guerrière, agressive, entretenant l’idée une menace étrangère protéiforme, aux multiples visages – selon les périodes Allemands, Anglais, barbares, aujourd'hui migrants, musulmans – perpétuellement revenue. C’est cet élément qui est mis en avant dans la Marseillaise. Loin d’être rassembleur, l’hymne national enferme les individus dans un commun artificiel et attise les peurs. Que son renforcement dans les programmes scolaires depuis plusieurs décennies aille de pair avec l’éruption des délires identitaires dans le débat politique et la montée du vote d’extrême-droite est dans la logique des choses. La Marseillaise a nécessairement à voir avec l’atmosphère de forteresse assiégée qui gangrène la société et le débat politique. « Nous » aurions des « valeurs », à défendre, quelque chose d’unique au monde. Mais qui est ce nous ? Quelles valeurs à défendre et contre qui ?


Des élèves en uniforme au garde-à-vous, convoqués chaque matin au pied du drapeau pour une Marseillaise obligatoire : l’extrême-droite en rêvait ; avec le SNU, c’est l’Education nationale qui le fait, entretenant une confusion des valeurs qui disqualifie ses prétentions civiques et morales.





(1) Marcel DETIENNE, L’identité nationale, une énigme, 2010.

(2) Anne-Marie THIESSE, La création des identités nationales, Le Seuil, 2001.

(3) Suzanne CITRON, Le mythe national, l’histoire de France revisitée, Les Editions de l’Atelier/Editions ouvrières, Paris, 2017.

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