Dans la note ci-dessous, « droite » et « extrême-droite » sont employés comme synonymes, tant il est vrai que, tout spécialement sur le thème de l’éducation mais aussi sur beaucoup d’autres, rien ne les différencie vraiment. Considérer Retailleau comme un politicien d’extrême-droite n’est sans doute pas lui faire une insulte.
Devant la commission d’enquête Bétharram, en assimilant la gifle à un simple « geste éducatif », Bayrou – approuvé par toute une partie de la classe politique – a donné une légitimité inattendue à une violence éducative toujours très présente dans les fantasmes et les programmes politiques.
La déposition de Bayrou devant la commission d’enquête parlementaire, sans apporter de révélations fracassantes sur l’affaire Bétharram, a peut-être donné une inflexion nouvelle à la question de la violence éducative, en la déplaçant sur un terrain politique, dans une perspective qui, si elle accuse à juste titre le Premier ministre, dépasse sa seule personne. La question méritait d’être posée dès 1993 : comment un parent d’élève qui, en toute connaissance de cause, avait fait le choix de Bétharram pour ses propres enfants, avait-il pu être nommé à la tête de l’Éducation nationale ? Et ce choix personnel fondé sur l’acceptation de la violence comme principe éducatif peut-il être aujourd’hui détaché des responsabilités liées à la fonction de chef de gouvernement et de celles qu’il a choisie comme ministre de l’Éducation nationale ? Cette question est d’autant plus fondée qu’elle a été réactivée par le Premier ministre lui-même au cours d’une audition pendant laquelle, enferré dans ses dissimulations et ses mensonges, il a ouvertement donné son assentiment à la gifle comme « geste éducatif », ajoutant même un peu plus tard devant l’Assemblée : « Si quelqu’un ici pense qu’il n’a jamais donné une tape à un enfant… Je crois que beaucoup – s’ils sont honnêtes – pourront admettre qu’ils l’ont fait. Pour moi, ce n’est pas de la violence. […] Ce n’est pas conforme aux canons, mais c’est la vérité de la vie Il y a des moments d’énervement dans une famille, non ? Pas chez vous ? » Un « geste éducatif… une tape… ce n’est pas de la violence », c’est précisément ce genre de justification qui a permis que perdurent pendant des décennies des violences exercées en toute bonne conscience sur des générations d’élèves tout en bénéficiant de la complaisance jamais démentie d’un père de famille/ministre de l’Éducation nationale/Premier ministre.
De façon significative, alors que la droite et l’extrême-droite s’étaient jusque-là montrées particulièrement discrètes sur l’affaire Bétharram, la déclaration de Bayrou leur a donné l’occasion de montrer où elles penchaient. Chenu (RN) ressent « la nausée », non pas devant les sévices endurés par les élèves de Bétharram mais devant les accusations portées contre Bayrou dans ce qui ressemble, dit-il, à « un procès de Moscou ». Analyse aussi abjecte chez Marc Fesneau (Modem), un proche de Bayrou, assimilant le travail de la commission à du « stalinisme…un procès à charge ». « Il faut – insiste-t-il – qu’on arrête avec les commissions d’enquête » pour que les bons pères de Bétharram, de Riaumont et d’ailleurs puissent continuer leur œuvre éducative.
En réalité, la défense de Bayrou s’appuie sur les conceptions traditionnellement défendues par la droite et l’extrême-droite en matière éducative selon lesquelles l’école, lieu de socialisation, devrait être régie par des principes identiques à ceux qui fondent la société sur l’obéissance à l’autorité avec comme corollaire, la sanction de la désobéissance. De fait, l’école s’est historiquement construite sur un modèle où l’autorité de l’adulte conduit à la sujétion de l’élève et, en poussant un peu cette logique, à la soumission et à la violence dite éducative. Aujourd’hui encore peu interrogée, la punition, sanctionnant le non-respect des règles, reste très souvent la norme. Pour un enfant, rentrer de l’école avec une punition est d’une affligeante banalité.
Il n’est pas nécessaire d’être diplômé en psychologie pour savoir qu’entre la punition psychologique et la punition physique, la frontière est ténue, que les impératifs de correction conduisant rapidement à l’abus de pouvoir, on passe ainsi sans y prendre garde du « geste éducatif » de Bayrou aux sévices institutionnalisés de Bétharram. Si les deux ne sont pas de même intensité, ils sont de même nature, produisant des effets très voisins, notamment quand ils sont intériorisés par les élèves eux-mêmes comme éléments quasi naturels de leur éducation. Et parmi ces effets, ceux qu’Alice Miller a bien mis en avant dans ses analyses sur la « pédagogie noire » qui la conduisent à faire un lien entre la brutalité éducative (familiale et scolaire) courante dans l’ Allemagne du début du 20e siècle et l’émergence du nazisme : « Si l’enfant apprend à considérer les châtiments corporels comme des « mesures nécessaires » contre les « malfaiteurs », parvenu à l’âge adulte, il fera tout pour se protéger lui-même de toute sanction par l’obéissance et n’aura en même temps aucun scrupule à participer à un système répressif. Dans l’État totalitaire qui est le reflet de son éducation, un sujet de ce type sera capable de pratiquer n’importe quel mode de torture ou de persécution sans en éprouver la moindre mauvaise conscience. Sa « volonté » est pleinement identique à celle du gouvernement. » (1)
Si Bétharram n’est certes pas l’antichambre du nazisme, si les rapprochements anachroniques desservent l’intelligence d’un phénomène que l’on veut combattre – ici, la violence éducative – il n’en est pas moins indéniable qu’aujourd’hui encore, et tout spécialement en France, l’obéissance est au cœur du projet éducatif de la droite et de l’extrême-droite – et trop souvent de l’Éducation nationale – avec ses déclinaisons obligées : soumission, sanction, coercition, brutalisation. Pas moins indéniable non plus que cette tendance s’est singulièrement aggravée depuis le début du siècle sous l’action de divers facteurs, plus ou moins spécifiques à l’école, parmi lesquels une méfiance trop répandue dans la société envers une jeunesse globalement considérée comme dangereuse ou encore une sorte d’obsession morale et civique tendant à inculquer des principes (abusivement qualifiés de « républicains ») qui font l’objet d’une surveillance étouffante et dont la contestation ou le non-respect sont sanctionnés voire judiciarisés. « Tolérance zéro…on ne laisse rien passer », autant de formules chères au populisme éducatif (et à quasiment tous les ministres en poste), bien à tort considérées comme magiques, à forte connotation policière, qui détournent les règles indispensables à toute collectivité vers l’abus de pouvoir. Significative également, la promotion, dans les discours publics, de l’internat comme solution aux problèmes posés par les élèves englobés dans la catégorie fourre-tout de « perturbateurs » alors que le témoignage des victimes de Bétharram montre à quel point l’internat, en tout cas pour les plus jeunes, est générateur de violences et d’abus de toutes sortes (2).
« A l’école française, on ne discute pas l’autorité » : avec ce principe, ouvertement assumé par un ministre de l’Éducation nationale promu chef de gouvernement (pour cette fois-ci, il ne s’agit plus de Bayrou mais d’Attal…), on comprend que Bétharram n’est pas derrière nous et qu’il ne suffit pas de dénoncer la dimension sexuelle, pathologique, de la violence éducative pour en protéger les élèves.
De fait, depuis l’émergence de la violence éducative dans le débat public, force est de constater que les pouvoirs publics et la droite (extrême ou non) politique, loin de prendre la mesure du scandale Bétharram ont, tout au contraire, comme pour l’étouffer, multiplié les annonces visant non pas la violence de l’école et des adultes qui y sévissent mais les violences ponctuelles, largement amplifiées, attribuables à quelques élèves : fouille des sacs des élèves, rapport biaisé et malhonnête sur les armes blanches à l’école, autant d’opérations à grand spectacle commanditées par un ministre de l’Intérieur en campagne électorale, qui aboutissent le plus naturellement du monde à donner corps à un vieux fantasme de la droite pure et dure, l’abaissement de l’âge de la majorité pénale (plus exactement de la comparution immédiate, ce qui revient au même).
Tout programme politique d’extrême-droite se définit non pas par un contenu positif mais par la désignation d’adversaires à anéantir, de boucs émissaires, de perturbateurs à corriger : généralement les migrants, les étrangers mais aussi les jeunes, ces derniers vus à la fois comme une menace potentielle et comme une classe d’âge à mettre au pas. Le projet éducatif qui en découle tourne donc autour d’impératifs de surveillance et de soumission, un programme motivé également par le souci de détourner l’attention des véritables enjeux de l’éducation : en assimilant les désordres scolaires à des symptômes d’une « crise civilisationnelle », d’un « ensauvagement » des élèves, le ministre de l’Intérieur – qui n’a pourtant ni légitimité ni compétence dans ce domaine – définit en creux un programme scolaire limité à des préoccupations de maintien de l’ordre (obéissance, uniformes, visibilité des forces de l’ordre etc), d’inculcation d’une morale d’état (dite « républicaine » et « laïque ») qui ne tolère aucune dissidence, d’instruction limitée aux rudiments (abusivement dénommés « fondamentaux »). Autant de principes dont on est bien obligé de reconnaître qu’ils ont largement inspiré la conduite de l’Education nationale depuis un certain temps (3).
Car si l’extrême-droite peut se vanter d’avoir remporté la « bataille des idées », il est tout aussi juste d’admettre que, sur le champ de bataille, son projet éducatif brutal mais cohérent n’a jusqu’à présent rencontré que peu d’opposition, non qu’elle soit inexistante mais demeurée peu audible. Un contre-projet éducatif réellement alternatif et émancipateur, qui ne se cantonnerait pas aux revendications corporatives et/ou budgétaires, reste à construire. Dans un contexte résolument populiste où faits divers et futilités sont traités comme faits de société (le téléphone portable à l’école, le foulard à l’école, l’uniforme à l’école, les armes blanches à l’école etc) il y a urgence à recentrer le débat sur les finalités d’un système éducatif certes à bout de souffle mais qui, pour cette raison, ne doit pas être confisqué par les machinations électorales ou carriéristes.
(1) Alice Miller, C’est pour ton bien. Racines de la violence dans l’éducation de l’enfant, trad. française Aubier, 1984.
(2) Mentionné à de nombreuses reprises dans le rapport Sauvé, l’internat apparaît comme un cadre propice à l’exacerbation des violences et des abus de pouvoir : « On retrouve là les caractéristiques d’une institution « totale » […] qui met en contact un adulte auréolé d’un savoir/pouvoir et des enfants dans une position d’asymétrie forte (…) »
(3) Ce dont Marine Le Pen pouvait très sérieusement se réjouir dès 2017. Disons également qu’en son temps, Chevènement avait donné plus qu’une inflexion.
Pour prolonger : La république contre l'école : école et extrême-droite, un terreau favorable
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