Comme si le meurtre d’une lycéenne à Nantes ne se suffisait pas à lui-même, son exhibition médiatique aura servi de support à un emballement populiste dont l’école est la cible habituelle. Et comme à son habitude, Retailleau ne pouvait passer à côté de l’occasion.
L’attaque au couteau dans un lycée privé de Nantes, la mort d’une lycéenne : comme si ce drame ne se suffisait pas à lui-même, sa traditionnelle exhibition médiatique aura servi de support au non moins traditionnel déballage d’opinions politiques aussi bruyantes que vulgaires, sans vraiment de rapport avec la nature du sujet. L’important, comme à chaque fois qu’un fait divers a pour décor un établissement scolaire, n’est pas de le contextualiser, d’essayer d’en saisir la substance et si possible de trouver une solution, mais de voir quel profit on peut en tirer. Dans cette posture de charognard (« exploiteur impitoyable des malheurs des autres », le Petit Robert, éd. 2014), Retailleau se montre d’une constance incomparable.
Qu’importe que le meurtrier soit un ado suicidaire souffrant d’une lourde pathologie mentale (on a mentionné son admiration pour Hitler), que le juge saisi de l’affaire ait fait le choix de l’hospitaliser plutôt que de le placer en garde-à-vue, qu’importe que l’établissement (privé) ne soit pas entaché d’une réputation de laxisme, ouvert à tous les vents wokistes, qu’importe que les personnels de l’établissement dénoncent la grande misère de la santé scolaire et les difficultés de prise en charge d’élèves manifestement en souffrance, qu’importe la complexité du monde réel, Retailleau, lui, est venu, toutes affaires cessantes, n’a rien vu, rien entendu, ne connaît rien du lycée ni du lycéen en question mais il a son opinion. Comme sur tout, sur les fumeurs de joints, sur les migrants, sur l'Algérie, sur la fin de vie... Attirant les micros et les caméras comme le vinaigre attire les mouches, il se lance dans une attaque exaltée contre…le système scolaire coupable selon lui, d’avoir armé le bras du lycéen. « Je pense, dit-il – car il pense – qu’il y a une société à reconstruire, des repères à rebâtir, une hiérarchie à rétablir, une autorité à restaurer. »
Indifférent à la souffrance des victimes, des familles, des élèves et des personnels, dans le geste fou d’un adolescent déséquilibré, en souffrance, il voit la marque d’une école sans repères, sans hiérarchie, sans autorité. Faire passer un fait divers pour un fait de société : Retailleau est coutumier de cette instrumentalisation sordide de l’actualité, la tordant dans le sens qui l’arrange, quel que soit le sujet. Une agression visant un juif est un fait de société (l’antisémitisme, cancer des banlieues) mais l’assassinat d’un fidèle dans une mosquée est un fait divers (l’islamophobie n’existe pas)… Alors qu’on n’a pas entendu de Retailleau la moindre dénonciation de la violence éducative ordinaire érigée en système à Bétharram et dans d’autres établissements qui partagent probablement la même conception que lui des « repères », de la « hiérarchie », de l’ « autorité », au contraire, tout incident touchant de près ou de loin l’école et ses 12 millions d’élèves sert immanquablement de support à une communication éhontée émanant d’un ministre qui fait passer sa carrière politique avant tout le reste. Avec une indécence, une absence de scrupules qui laissent sans voix. Car l’autre jour, à Nantes, la parole du ministre de l’Intérieur ne s’adressait pas à un lycée accablé mais à la partie de l’opinion publique dont il attend les suffrages pour les prochaines élections. Des suffrages qui se gagnent en entretenant et en attisant les peurs et les fantasmes autour de deux boucs émissaires : les jeunes et les migrants.
Ces dernières années, la mise en scène impudique de faits hors norme où se mêlent calculs politiciens et voyeurisme médiatique, notamment lorsqu’elle cible l’école et l’actualité scolaire, a pris des proportions qui rendent impossible toute approche rationnelle (1). Le Premier ministre, à qui il a fallu plusieurs décennies pour reconnaître la réalité des violences à Bétharram – encore lui a-t-on forcé la main – exige des réponses et des solutions « sous quatre semaines », réponses et solutions qui seront aussi vaines et caricaturales que l’analyse des problèmes auxquelles elles sont censées répondre et qui se traduiront par d’inévitables « annonces », évidemment médiatisées, qui tiennent lieu de politique éducative. On sait déjà que dans quatre semaines, Bayrou, flanqué de son ministre de l’Intérieur à la triste figure et d’une ministre de l’Education cantonnée dans la fonction de faire-valoir du précédent, dévoileront à grand renfort de publicité leur nouveau « plan » (on ne les compte plus dans l’histoire de l’Éducation nationale) sur la sécurité à l’école, à base de portails blindés, de fouilles, de punitions. Un plan qui, comme tous les précédents, tournera à vide parce qu’inspiré par un souci de communication politique et parce qu’on ne confie pas à un ministre de l’Intérieur à la chasse aux voix de l’extrême-droite, la charge d’inspirer une politique éducative.
Accessoirement, on se permet d’ajouter que Retailleau fait furieusement penser à son prédécesseur au même poste il y a vingt ans, un petit nerveux dénué de scrupules qui avait bâti sa carrière sur une rhétorique anti-jeunes aussi grossière que stérile : la racaille dont on allait débarrasser les banlieues, l’ordre qu’on allait rétablir à l’école (les élèves qui se lèvent lorsque l’enseignant entre en classe, le vouvoiement, l’internat pour élèves difficiles etc). Que, depuis vingt ans, ce genre de préconisations n’ait en rien contribué à améliorer le climat scolaire, il faut peut-être en prendre conscience.
(1) Eric DEBARBIEUX, Une histoire politique de la violence à l'école, Les liens qui libèrent.
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