jeudi 3 avril 2025

Service de défense et de sécurité académique : cherchez l’ennemi !

 

Le « service de défense et de sécurité académique » : cette dernière initiative, après d’autres, aggrave une orientation manifeste de l’Éducation nationale vers une criminalisation des élèves.

Par une curieuse instruction en date du 19 mars 2025, l’Éducation nationale, qui ne manque ni d’imagination ni de services, bureaux et directions en tout genre, trouve indispensable d’en créer un nouveau – le service de défense et de sécurité académique (SDSA) – chargé, notamment, de traquer « les atteintes aux valeurs de la république ». Curieux car, si par la forme comme sur le fond, cet arrêté semble tout droit sorti d’un bureau du ministère des Armées ou de l’Intérieur, il porte en réalité les signatures de la ministre de l’Éducation nationale et de sa collègue des Sports Jeunesse et Vie associative.

Les missions des SDSA ratissent large, jusqu’à un mélange des genres qui interroge : « Les SDSA coordonnent la mise en œuvre des politiques de défense, de sécurité ainsi que de lutte contre les atteintes aux valeurs de la République. » Dans cette optique, il s’agit d’une part de coordonner et de mettre en œuvre « la politique de défense, de sécurité, de vigilance, de prévention de crise et de réponse aux situations d'urgence », ce qui peut se comprendre mais, de l’autre, de « coordonner la mise en œuvre des politiques de respect des valeurs de la République à l'École, en lien notamment avec la direction générale de l’enseignement scolaire (Dgesco) », ce qui est beaucoup moins légitime.

Organisés au plan local autour du recteur et du directeur académique des services de l’éducation nationale (Dasen), les SDSA se voient attribuer, à côté de missions purement sécuritaires (préparation et gestion d’« événements graves »), la tâche de lutter « contre les atteintes aux valeurs de la République, en particulier les atteintes à la laïcité, lutte contre les séparatismes, la radicalisation et les dérives sectaires ».

Les valeurs de la république étant, du moins en théorie, constitutives du quotidien scolaire, le glissement règlementaire vers des préoccupations « de défense et de sécurité » de ce qui relève normalement des programmes officiels n’est pas sans signification. D’autant que les valeurs en question, incantations transcrites dans une sorte de catéchisme administratif et politique auquel nul ne peut échapper, permettent toutes les manipulations et tous les abus de pouvoir. Au demeurant jamais définies –  quelles valeurs ? quelle république ? – déconnectées du vécu des élèves à l’intérieur de l’école comme à l’extérieur, faisant l’objet de leçons normalisées (et d’une inénarrable évaluation au DNB en fin de collège) qui interdisent de fait tout regard critique, elles tiennent lieu de morale officielle, de morale d’état, autour d’un vocabulaire qui tourne à vide au profit d’un régime politique et social sacralisé.

A la chasse aux « atteintes à… », les SDSA ne devront pas forcer leur nature pour fondre sur leurs victimes : non pas les cogneurs et violeurs d’élèves rémunérés en toute bonne conscience par l’Éducation nationale, non pas un système éducatif socialement et ethniquement discriminatoire renforçant un séparatisme légal qui décrédibilise toujours plus la république mais plus sûrement les jeunes filles portant foulard ou robe un peu longue, celles et ceux qui auront l’insolence, l’imprudence ou la maladresse de remettre en cause telle ou telle partie de l’enseignement ou qui peinent à comprendre comment la laïcité, à l’origine principe de liberté et de tolérance, a pu devenir une sorte de religion officielle régie par une police des mœurs. Car pour cet arrêté, les atteintes aux valeurs de la république sont à chercher en particulier dans « les atteintes à la laïcité, lutte contre les séparatismes, la radicalisation et les dérives sectaires »… et nulle part ailleurs.

En réalité, la création de cette nouvelle police scolaire – définie par un arrêté de nature policière – après beaucoup d’autres, marque une étape supplémentaire dans la criminalisation des conduites et des personnalités juvéniles jugées déviantes au sein d’un espace de moins en moins tolérant, qui s’enferme inconsidérément dans une posture de forteresse assiégée. Jusqu'à la caricature avec l'annonce, suggérée par la ministre, de doter tous les enseignants d'un bipeur...

Mise à jour (03/04/2025) :

Interrogé par la commission d’enquête sur le sujet des agressions sexuelles dans les établissements publics, le chef du Service de défense et sécurité, reconnaît être incapable d’assurer le suivi des signalements :

« L’organisation du ministère ne permet pas aujourd’hui d’assurer un tel suivi, ni l’organisation, ni d’ailleurs la façon dont fonctionne la seule application dont on dispose, l’application “faits établissements”. »

On ne saurait dire plus clairement que la défense et la sécurité des élèves ne sont pas une priorité du Service de défense et de sécurité…

 https://www.mediapart.fr/journal/france/020425/un-professeur-vise-par-une-enquete-pour-agression-sexuelle-enseigne-au-college-prive-notre-dame-de-sion

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