jeudi 27 mars 2025

Bétharram : l'indignation détournée

 

Utiliser le scandale Bétharram pour instruire le procès de l’enseignement privé ? D’aucuns n’ont pas tardé à s’y essayer, contribuant alors à occulter la question pourtant primordiale de la violence éducative.

Comme si le scandale Bétharram ne se suffisait pas à lui-même, il n’aura pas fallu longtemps pour l’instrumentaliser dans un  procès du « privé » réduit à sa caricature – truffé d’ensoutanés pervers – et, ce faisant, noyer la question de la violence éducative sous d’autres considérations, confusion dont le résultat le plus certain est d’en atténuer la gravité. 

Avec une bonne dose de duplicité, comme celle que l’on trouve sous le clavier du sénateur Ouzoulias (PCF) : « Je forme le vœu que ce mouvement de libération soulage les victimes et oblige l’Etat à revoir sa copie dans sa relation avec les écoles privées sous contrat. Nous étions trop seuls à le dire, accusés de vouloir raviver la guerre scolaire (…) »

Trop seuls à dire quoi ?  Que disait-il au juste le sénateur Ouzoulias ? Autant qu’on sache, la remise en cause de l’enseignement privé s’est toujours focalisée sur un statut considéré comme un privilège (« les privilèges du privé »), alimentant la concurrence avec l’enseignement public, sur son financement mais jamais sur la violence qu’ont pu subir certains élèves, violence dont la dénonciation est venue exclusivement des victimes elles-mêmes et jamais des contempteurs « historiques » du privé.

Il aura quand même fallu plusieurs décennies et des générations d’élèves violentés pour que l’Éducation nationale (en traînant les pieds) et l’Assemblée nationale se décident à enquêter sur des faits connus et abondamment documentés – notamment par la presse locale – depuis les années 90.

Et si l’Enseignement privé a fait l’objet l’an passé des investigations poussées de l’Assemblée nationale (le rapport Vannier-Weissberg), fallait-il vraiment que ses enquêteurs bornent leur curiosité et leurs critiques au financement et à l’administration des établissements privés, à la « possible rémunération d’heures fictives » ou aux heures de cours de 50 minutes ?

Le député Vannier peut bien aujourd’hui reprendre la tête d’une commission d’enquête sur Bétharram, c’est un peu tard eu égard à la gravité d’un problème qui dépasse très largement le cas de Bétharram, partie émergée d’un iceberg rarement pris en considération par les responsables politiques, celui de la violence scolaire, non pas la violence des élèves et les incivilités mis en avant par les politiques et les relais médiatiques mais la violence de l’école, violence systémique aussi ancienne que l’école.

Au demeurant, et pour s’en tenir à l’Enseignement privé, le dossier de la violence éducative était déjà largement instruit par la CIASE, dont les travaux, synthétisés dans le rapport Sauvé (2021), dévoilaient sans fard les violences et les mécanismes d’abus de pouvoir que l’on fait semblant aujourd’hui de découvrir à Bétharram ou dans quelques établissements de même nature.

Sur « l’abus scolaire », le rapport Sauvé apporte effectivement un éclairage qui, même s’il dérange parce qu’inhérent à toute structure éducative, devrait retenir l’attention des éducateurs : « Le statut d’enseignant, de "préfet de division", surveillant ou directeur, renforce dans ce type d’abus le pouvoir de l’agresseur et limite fortement les possibilités de résistance des agressés. Les abus scolaires s’inscrivent en effet dans un continuum de violences pédagogiques qui a pu caractériser la forme scolaire de socialisation (…) ».

Très significatif le fait que les violences trouvent dans les internats un cadre propice à leur exacerbation : « On retrouve là – poursuit le rapport – les caractéristiques d’une institution « totale » […] qui met en contact un adulte auréolé d’un savoir/pouvoir et des enfants dans une position d’asymétrie forte (…) »

Des réserves et des critiques qui, au passage, n’empêchent pas la question de l’internat de retrouver aujourd’hui dans l’agenda politique et dans les médias une place de choix en dépit de ses vices bien connus et de son inefficacité avérée : pas un parti politique, à droite ou à l’extrême-droite qui ne voit dans l’enfermement une solution miracle pour les « élèves perturbateurs ». A gauche, le PS préconisait encore en 2007 (campagne présidentielle de S. Royal), un « encadrement militaire » pour les jeunes en délicatesse avec la loi…

Dans le contexte actuel où le populisme et l’autoritarisme frappent l’école au premier chef, le scandale Bétharram devrait interpeller l’ensemble du système scolaire malmené par une communication, par des accusations, par une réglementation qui, par sa nature punitive, renforce les principes qui ont rendu possible Bétharram : une école coupée du monde, méfiante par principe ou par habitude devant la parole des élèves, une discipline qui peine à accepter les individualités, une morale civique/religieuse imposée comme un catéchisme, une école où, comme la rêve l’ex ministre de l’Éducation et Premier ministre Attal (avril 2024) « on ne conteste pas l’autorité… »

Alors que la violence éducative ordinaire est toujours un problème bien réel (la France n’a été que le 56e pays au monde à interdire – et encore avec réticences – les coups portés aux enfants), la récupération politicienne de Bétharram n’est pas le meilleur moyen d’y mettre fin. Il faut croire que ce n’est pas son objectif.

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