samedi 15 mars 2025

A l'école, l'indiscipline comme un délit

 

Violence de l’école ou violence des élèves ? Si peu sensibles au drame vécu par des générations d’élèves à Bétharram et ailleurs, plusieurs initiatives publiques récentes renversent les responsabilités : à l’école, le danger vient d’abord des élèves.

En plein scandale Bétharram, avec un à-propos et un sens du timing qui n’échapperont à personne, l’Éducation nationale se lance dans une nouvelle campagne de communication dont elle a le secret : la violence à l’école. Non pas la violence de l’école,  celle des surveillants cogneurs et des directeurs violeurs, celle qu’ont subie des milliers d’élèves victimes des abus d’un ordre scolaire étayé par une forme d’autorité trop souvent confondue avec l’obéissance ou la soumission, qui n’accepte qu’à reculons la parole d’un élève qui doit attendre l’âge adulte pour oser s’exprimer, le temps pour les adultes abuseurs de bénéficier d’une miraculeuse prescription (« Dieu merci, ces faits sont prescrits », comme le disait le cardinal Barbarin…). Non, l’Éducation nationale et ses responsables, si discrets quand il s’agit de Bétharram et d’autres établissements où la violence dite éducative ordinaire a pu s’épanouir, préfère donner le change avec une thématique tellement plus facile à gérer auprès de l’opinion publique : les sauvageons, les « perturbateurs », qui hantent le cerveau des politiciens sans doute davantage que les salles de classes.

En la matière, ces politiciens sont d’une imagination sans limites. Un peu dans la lignée du rapport Varinard qui, à la belle époque du sarkozysme pénal (2008) préconisait l’emprisonnement des mineurs pendant le week-end pour les renvoyer à l’école le lundi matin, Lisnard, le très droitier maire de Cannes, admirateur de Retailleau avec qui il affiche une « vraie proximité politique et humaine » (traduisez : une vraie phobie pour les Arabes et pour les jeunes), annonce l’expérimentation de TIG (travaux d'intérêt général) pour les élèves « indisciplinés » : sur temps de vacances, les dits élèves seront mis gratuitement au service de monsieur le Maire (nettoyage de rues, espaces verts, etc, emplois habituellement réservés à un personnel municipal dédié dont on n’a toujours pas entendu la réaction).

Caprice d’un élu en quête de notoriété dans une région rongée par l’extrême-droite ? Peut-être mais pas seulement : cette initiative n’aurait pas été possible sans l’accord de la DSDEN (direction des services départementaux de l'EN)  des Alpes-Maritimes ni celui des chefs d’établissement qui ne manqueront pas de la mettre en œuvre, en toute bonne conscience et dans le total mépris du droit. Car il faut rappeler que les TIG, par leur nature sanction pénale, ne peuvent être prononcés que par un tribunal, en l’occurrence par le juge des enfants, après une procédure contradictoire au cours de laquelle l’enfant/élève a le droit à une défense équitable assurée par un avocat. Mais les principes du droit sont bien la dernière préoccupation de ce maire et d’une Éducation nationale qui en a toujours refusé l’application aux élèves dans le cadre scolaire où l’arbitraire et le non-droit sont la norme, un état de fait en totale contradiction – ce dont bien peu s’émeuvent – avec les très réglementaires et très formelles leçons d’EMC. Élève indiscipliné/élève perturbateur/élève délinquant : cette  confusion des genres avait donné naissance, dans la même académie de Nice, à la création évidemment médiatisée (avril 2024) d’un internat pour élèves « décrocheurs » … ou « prédélinquants », les deux termes étant considérés comme synonymes par Attal alors Premier ministre.

« Face à l’indiscipline récurrente de certains élèves dans les collèges et lycées, il est nécessaire et urgent de sanctionner. C’est indispensable pour lutter contre le sentiment d’impunité qui génère le délitement civique et parfois la délinquance (…) » Lisnard peut bien plastronner mais se rend-il compte que « la nécessité et l’urgence de sanctionner » seraient sans doute plus crédibles si elles s’appliquaient à l’ensemble de la société et non à quelques cibles jetées en pâture à l’opinion publique (les jeunes, les migrants…), si, également, elles visaient ses collègues d’un petit monde politico-médiatique où les délinquants, d’Alain Bauer à Sarkozy, ont construit leur carrière et leur fortune sur la dénonciation pathologique de la délinquance des jeunes et, pour ce qui les concerne, sur un indécent « sentiment d’impunité ».

Dans un même ordre d’idées, E. Borne a annoncé que les sacs des collégiens et des lycéens pourraient être fouillés à l’entrée des établissements par des gendarmes ou des policiers qui n’ont sans doute rien de plus sérieux à faire. Une annonce à grand fracas qui tranche avec la discrétion de la même ministre dans le scandale Bétharram, ramené à un complot contre Bayrou… Se basant sur quelques faits hors normes, absolument pas représentatifs de la réalité ni du quotidien de l’école mais outrancièrement mis en avant, elle s’inscrit dans un souci de communication en direction de médias racoleurs chargés de fournir à l’opinion publique les images rassurantes d’un ordre scolaire sous contrôle. Partant d’une question légitime – école et violence – largement documentée par la recherche historique, sociologique, pédagogique, on la réduit à une mise en scène aussi futile que malsaine mais qui fait sens aux yeux de ses promoteurs : après le vote récent d’une loi durcissant une nouvelle fois la justice des mineurs, la rhétorique bruyante autour de la violence à l’école vise surtout à conforter les traditionnelles frayeurs populaires autour de quelques boucs émissaires.

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