Comme c’est presque toujours le cas lorsqu’il s’agit de la justice des mineurs, la proposition de loi déposée par Attal n'a en réalité qu'un lointain rapport avec la réalité du problème qu'il prétend traiter. Partant d’une appréciation fallacieuse de la délinquance des mineurs – jamais étayée autrement que par des faits isolés dont se délectent les médias – la proposition met à mal l’ordonnance de 1945, déjà bien écornée par les multiples attaques dont elle a fait l’objet notamment depuis une vingtaine d’années : tout en restant mineurs, c’est-à-dire privés de tout droits civils et politiques, les mineurs en question, l’« excuse de minorité » supprimée, devraient être jugés et condamnés comme des majeurs. Cherchez l’erreur…
Pour comprendre ce qui est en jeu, en dehors de la méfiance viscérale pour les jeunes manifestée par la droite (extrême et/ou assimilée) et une large partie de la société, c’est le jeu trouble d’Attal qu’il faut dénoncer. Dans sa fulgurante promotion politique – secrétaire d’état (2018-2020) auprès du ministre de l’Éducation nationale (Blanquer), éphémère mais très agité ministre de l’Éducation nationale, Premier ministre – Attal s’est signalé par son obstination à faire des jeunes la victime expiatoire de son plan de carrière. Secrétaire d’état de Blanquer, il fut le promoteur acharné d’un SNU punitif et obligatoire, voulu comme un outil de mise au pas de toute une classe d’âge. Comme ministre de l’Éducation, outre la grossière régression pédagogique induite par le bien mal nommé « choc des savoirs », la politique d’Attal, recyclant le pire de l'extrême-droite, usant d'un populisme décomplexé, fait une large place à une forme de brutalisation de la population scolaire : internat punitif, collège obligatoire de 8 heures à 18 heures, conseil de discipline à l’école primaire (donc dès l’âge de 3 ans…), attribution des diplômes sur des critères disciplinaires, mention infamante sur les dossiers Parcoursup, sanctions pour les parents d’élèves « perturbateurs », échec scolaire amalgamé à la délinquance (et donc à traiter comme telle), assimilation de la religion musulmane à l’islamisme (et conséquemment des jeunes musulmans à de potentiels terroristes), « expérimentation » de l’uniforme scolaire, discipline scolaire réduite à l’obéissance indiscutée (« à l’école, on ne conteste pas l’autorité ») : autant d’annonces certes irrationnelles, provocatrices, quelque part entre Ubu et Kafka, mais qui font sens dans un contexte politique gangrené par les fantasmes de l’extrême-droite, où domine, à part égale avec la phobie des migrants, une défiance quasi pathologique d’une jeunesse qu’il faut mettre au pas.
De fait, Attal, qui n'a jamais fait mystère de ses minables ambitions carriéristes (le carriérisme, cancer de la politique), a trouvé avec cette peur irrationnelle des jeunes, le fil directeur d’une campagne électorale déjà lancée depuis plusieurs années. Parce qu’elles sont censées rapporter des points dans les sondages d’opinion, des mesures comme la prison pour mineurs ou la comparution immédiate s’inscrivent dans la logique du SNU, de l’uniforme scolaire ou de l’internement des élèves jugés difficiles et fondent un projet de société qui est celui de l’extrême-droite : surveiller et punir. D’une certaine façon, Attal, tout comme Bardella, c’est le visage jeune et policé de la vieille extrême-droite, celle qui entretient les peurs, les fantasmes et les combats contre d’imaginaires adversaires, une vieille extrême-droite dont le programme éducatif, qui est aussi un projet de société, confond autorité et soumission, ordre et abrutissement.
Dans un pays où un ancien président de la république peut se retrouver sous bracelet électronique (en attendant la suite…) tout en conservant une significative cote de popularité, un pays où, depuis 2017, 26 ministres ou proches collaboratrices ou collaborateurs de Macron sont impliqués dans des affaires politico-financières, un pays où la délinquance (attestée, contournée ou prescrite) n’a jamais freiné les carrières politiques, la proposition de loi Attal sur la justice des mineurs en dit finalement plus long sur ce pays lui-même et sur ses élites que sur les mineurs.
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