mercredi 29 janvier 2025

Janvier 2015 - janvier 2025 : l'école, victime expiatoire de Charlie

 

En janvier 2015, l’attentat contre Charlie avait trouvé son coupable : l’école, où, selon la malheureuse formule du Premier ministre de l’époque, « on a laissé passer trop de choses… ». Avec l’injonction à être Charlie, l’école tombait dans un piège d'où, dix ans plus tard, elle ne s’est pas relevée.

Souvenir, célébration, récupération, manipulation : la commémoration de l’attentat contre Charlie sera tout cela à la fois. Entre images d’archives complaisamment ressorties pour la circonstance et envolées politiques venues de tout bord, le dixième anniversaire des attentats de janvier 2015 s’annonce comme une opération à grand spectacle dans laquelle les arrière-pensées ne se cachent même plus. Elles ne se cachaient d’ailleurs pas il y a dix ans, notamment lorsqu’il s’était agi de dénoncer les responsabilités d’un événement perçu comme un symbole, non pas de l’impéritie policière et de l’incompétence des dirigeants, mais d’une improbable perte de non moins improbables valeurs dont il fallait chercher l’origine… à l’école, où, pour reprendre la formule du Premier ministre de l’époque, « l’on a laissé passer trop de choses… ». Ce chef de gouvernement, déjà à l’époque remarqué pour son absence de scrupules, sa nervosité et son incompétence, cherche  aujourd’hui, après un bref passage au conseil municipal de Barcelone, à relancer sa carrière sur le dos des Mahorais qui n’avaient pas besoin de ce nouveau cataclysme.

Dix ans, c’est à la fois lointain et très proche mais c’est peu dire que cette injonction à être Charlie, cette prise en otage de l’école dans un psychodrame qui ne la concernait pas, aura laissé des traces durables dont elle n’a pas fini de payer le prix. En janvier 2015, dans un pays tétanisé, l’école, assimilée peu ou prou à un foyer potentiel de terrorisme, était mise sous surveillance avant d’être mise au pas. Lorsque, le 29 janvier 2015, un écolier de 8 ans, suspecté d’apologie du terrorisme par ses propres enseignants soutenus par leur syndicat, était arrêté par la police avec l’approbation de la ministre de tutelle, c’était bien le signe – mais qui n'avait pas été perçu comme tel – que l’école mettait le pas dans un engrenage dont elle ne sortirait pas indemne.

La présente note de blog reprend sans rien y changer quelques-unes des notes que j’avais rédigées du 8 au 14 janvier 2015, donc dans l’émotion du moment, pour un blog alors hébergé par Rue89, blog disparu avec Rue89… mais dont une copie est toujours accessible sur un autre blog confidentiel que je tenais alors (on n’est jamais trop prudent) : http://journaldecole.canalblog.com/archive/2015-01/

Le déroulement de la seconde partie du mois de janvier 2015 fera l'objet d'une autre livraison...conduisant en ligne directe jusqu'à 2025. 

 

8 janvier 2015 : Une minute de silence : discours et réalité

On n’y aura évidemment pas échappé, à la sentencieuse lettre de la ministre aux enseignants, couplée à la non moins solennelle minute de silence sans lesquelles un drame national n’en serait pas un. Mais ce rituel, régulièrement imposé aux établissements scolaires sommés de faire pour la circonstance bonne figure, laisse perplexe.

« L’attentat meurtrier contre Charlie Hebdo – écrit Najat Vallaud-Belkacem – a atteint notre république au cœur. » Effet de style, raccourci commode : car si c’est bien Charlie Hebdo qui était visé, l’amalgame rapide entre l’hebdomadaire et un régime politique que ses journalistes ne portaient pas spécialement dans leur cœur a toutes les allures d’une récupération abusive ; comme, soit dit en passant, ce drapeau tricolore malencontreusement planté devant l’entrée du journal. On voudrait tuer deux fois Cabu et ses copains qu’on ne s’y prendrait pas autrement. Comme d’habitude lorsqu’il s’agit de faire la morale, la référence aux supposées « valeurs de la république » tient une place de choix dans la lettre ministérielle, dans une formulation qui tourne à l’incantation : « l’école éduque à la liberté (…), l’école éduque à l’égalité et à la fraternité (…), l’école doit plus que jamais porter l’idéal de la république. » Certes, pourquoi pas ? Mais on ne peut s’empêcher d’observer que si les politiques usent et abusent de ces formules oratoires lorsqu’ils en ont besoin, les « valeurs de la république » seraient sans doute de plus de poids si l’on s’efforçait de les faire vivre au quotidien dans la société comme à l’école. Et même si l’injustice sociale et l’échec scolaire n’ont sans doute qu’un lointain rapport avec l’attentat contre Charlie Hebdo et plus généralement avec le terrorisme, la république tant prisée des discours officiels serait vraisemblablement plus à même de jouer son rôle de cohésion, de solidarité, plus légitime également, en travaillant à mettre ses actes en conformité avec ses principes affichés. La république « forte » demande quand même autre chose qu’un claquement de doigt ou qu’un mouvement du menton.

Suite : http://journaldecole.canalblog.com/archives/2015/01/08/31281598.html

 

13 janvier 2015 : Les valeurs de la république à l'école ? Un discours à côté de la plaque

C’était attendu : partant des difficultés rencontrées – ou créées ? - dans un certain nombre d’établissements par une malencontreuse minute de silence, medias et politiques, sous la houlette d’un Premier ministre jouant les matamores, ont trouvé les responsables de l’épisode terroriste de la semaine écoulée : l’école.  13 millions d’élèves transformés en autant de terroristes potentiels sous les yeux d’enseignants déboussolés, effrayés par un tel ensauvagement. Remercions Europe 1 de nous ouvrir les yeux sur cette vérité accablante : « l’école capitule ».

Informer son public sans chercher à s’informer au préalable ? C’est une posture courante dans le milieu journalistique, notamment lorsqu’il s’agit de questions complexes comme l’est par exemple l’éducation. Dans le cas présent, il est trop facile d’extraire de leur contexte des paroles d’élèves, de pointer des comportements, de généraliser des cas particuliers, pour finalement dénoncer une situation qui n’a rien à voir avec la réalité.  Des élèves musulmans choqués par les caricatures de Mahomet ? En quoi est-ce illégitime ? Et pourquoi faudrait-il leur interdire d’exprimer leurs sentiments ? Les enseignants sont ici parfaitement dans leur rôle d’éducateur lorsqu’ils laissent libre la parole, la canalisent, mais la reprennent à leur tour pour amener l’élève à comprendre que le problème posé n’est pas celui de la caricature mais de l’assassinat programmé du dessinateur. On n’est certes pas ici dans le registre de la leçon de morale surplombante et des élèves au garde-à-vous mais dans un travail patient et de longue haleine pour aider l’élève à se construire progressivement une conscience morale personnelle. Un travail qui ne s’arrête pas comme magiquement jeudi sur le coup de midi mais  un travail de tous les jours, repris inlassablement tout au long de la scolarité.

Vue sous cet angle, la minute de silence règlementaire s’avère ici au mieux dérisoire, au pire contreproductive. Une nouvelle fois, l’Education nationale oublie à qui elle s’adresse : non pas à des élèves enfermés dans une identité religieuse indépassable mais à des adolescents portés naturellement à la contestation, à la dérision, à la provocation. Et, de fait, c’est une évidence souvent constatée que les minutes de silence officielles, comme les autres rituels imposés par voie administrative ont souvent été mal reçus, plus spécialement peut-être en collège qu’au lycée ou à l’école primaire, quel que soit d’ailleurs le motif du jour : de ce point de vue, il n’y a guère de différence entre les réticences relevées jeudi dernier et le faible investissement marqué par les élèves au cours de temps de recueillement artificiellement construits, par circulaires interposées, autour d’un séisme en Haïti ou de tsunamis meurtriers. Ce n’est pas des morts qu’on se moque, juste un besoin maladroit de se faire valoir aux yeux des copains, aux yeux du prof. Parce qu’à 13 ou 14 ans, on est comme ça.

Suite : http://journaldecole.canalblog.com/archives/2015/01/13/31310897.html

 

14 janvier 2015 : Police de la pensée et répression : c'est l'école qui trinque

Dérapages incontrôlés hier à l’Assemblée nationale avec l’école en ligne de mire.

Passons sur cette Marseillaise hystérique lancée par Serge Grouard, député UMP d’Orléans dont il faut quand même rappeler le titre de gloire : ce prototype de la droite dure s’était signalé en 2008 avec un dépôt de  plainte contre un blog satirique qui le mettait en cause. C’est cet ardent défenseur de la liberté de la presse et des journalistes (morts) qui aura donc entraîné derrière lui la représentation nationale unanime dans l’indécence.

Pour ce qui touche à l’école, le pire est venu du Premier ministre, dans un discours d’une rare violence – les commentateurs parlent de « courage politique » - et d’une insigne malhonnêteté intellectuelle : la responsabilité des tueries de la semaine dernière n’est pas à rechercher dans l’incompétence de services de police (et du ministre de l’intérieur de 2012 à 2014) qui ont laissé se promener librement dans la nature des terroristes pourtant dûment répertoriés mais dans le laxisme de l’école « qui a laissé passer trop de choses. » Trop de choses ? Comme par exemple le fait que « dans certains établissements, on ne puisse plus enseigner la shoah. » Cette critique récurrente, ce poncif véhiculé par la droite au cours de toutes ces années, prend une signification toute particulière dans le contexte actuel : car dans la bouche d’un chef de gouvernement, établir un lien entre le refus d’une malencontreuse minute de silence et la négation de la shoah est profondément irresponsable. En stigmatisant ainsi toute une population, au risque d’attiser les tensions, mais aussi les enseignants jugés incapables de faire leur travail, Valls montre surtout que sa défense affichée de la communauté juive a bien des arrière-pensées, à commencer par la promotion de sa petite carrière personnelle. Vu sous cet angle, il a bien mérité les applaudissements chaleureux de toute la droite.

Mais était-il indispensable que la ministre de l’Education nationale se laisse à son tour entraîner dans ce jeu pervers ? Devant les recteurs rassemblés en urgence, elle se livre à un exposé schizophrénique : d’un côté, en conformité avec l’image qu’elle a donnée jusque-là, une analyse honnête sur l’échec scolaire, les discriminations, l’injustice sociale ; mais de l’autre ? Des réponses dérisoires balançant entre leçons de morale et répression :

- à la rentrée prochaine, une heure hebdomadaire de catéchisme laïque pour tous les élèves, triste traduction de la laïcité, réduisant les impératifs du vivre-ensemble à une triste heure de cours.

- la distribution dans les établissements d’un « livret opérationnel de prévention » (sic), kit de repérage de l’élève déviant, sans doute inspiré par l’initiative pourtant largement dénoncée de l’académie de Poitiers il y a quelques mois.

- toute la hiérarchie de l’Education nationale « mobilisée »  à tous les échelons pour traquer l’hérésie et faire remonter les incidents au plus haut niveau.

- et bien sûr, signe d’une administration si peu assurée de ses valeurs, le recours à la sanction saura convaincre les plus rétifs : conseils de discipline, travaux d’intérêt général et – plus inquiétant – le Premier ministre annonçait hier qu’une quarantaine de situations avaient été transmises « aux services de police, de gendarmerie et aux parquets. » C’est bien vrai que, pour la police, il est plus facile d’arrêter un collégien qu’un poseur de bombes.

On en est là : il y a huit jours, deux fanatiques éliminaient toute une rédaction. Encouragé par une surexposition médiatique éhontée de l’événement, le pouvoir politique le récupère à son profit de la façon la plus brutale qui soit, visant tout spécialement l’école : incapable de traiter les problèmes à leur source – pas un mot de Valls sur la misère sociale, les ghettos scolaires, les discriminations racistes – le gouvernement fixe le cap pour l’école : répression et police de la pensée.

Reviens Charlie, ils sont devenus fous.

[nota du 02/01/2025 : je n’avais pas prévu que Charlie deviendrait fou…]

 

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