samedi 28 décembre 2024

Sarkozy : l'éducation morale et civique, c'est juste bon pour les jeunes...

 

Pour apprécier à sa juste valeur la condamnation de Sarkozy, il faut remonter une vingtaine d’années en arrière, plus précisément à une époque où un ministre de l’Intérieur (de 2002 à 2004, puis 2005 à 2007) sans envergure ni compétences remarquables mais dévoré d’ambitions a commencé à percer dans l’opinion publique. Construite essentiellement sur la dénonciation de la délinquance et tout spécialement de celle des mineurs promue au rang de menace existentielle pour tout un pays, la fulgurante carrière politique de Sarkozy, généreusement étayée par les médias qui ont élevé ce thème au cœur de leur information, prend aujourd’hui tout son sens, un sens qui n’est guère à l’honneur de tous ceux qui ont fait d’un délinquant (sans doute multirécidiviste) un honorable chef d’état.

De fait, dans la décennie 2002-2012, un Sarkozy très agité a laissé sa trace à travers une prolifération de mesures ciblant une jeunesse réputée délinquante ou dangereuse (la « racaille ») qu’une législation toujours plus répressive était censée mettre au pas, législation où Justice et Intérieur rivalisaient d’imagination, favorisée par l’omniprésence décomplexée de Sarkozy dans les médias et la faveur dont ce thème de la délinquance des mineurs a toujours bénéficié dans une large partie de l’opinion. Si la décennie suivante fut celle de la grande peur du terrorisme, incontestablement les années 2002-2012, les années Sarkozy, avaient trouvé, avec les mineurs supposés délinquants, de quoi entretenir les fantasmes les plus divers et les intérêts politiques des démagogues. C’est, par exemple de cette époque (2002) que datent les centres éducatifs fermés (CEF), structures d’hébergement collectif pour les mineurs de 14 à 17 ans en délicatesse avec la loi. La paranoïa punitive culmine en l’an 1 du quinquennat Sarkozy avec le tristement célèbre rapport Varinard qui, partant d’un rajeunissement de la délinquance jamais démontré, en privilégiant le punitif sur l’éducatif, prenait le contrepied de l’ordonnance de 1945, et prévoyait, entre autres facéties, la possibilité d’incarcérer des enfants de 12 ans ou encore envisageait le plus sérieusement du monde une incarcération sur le week-end après la semaine d’école…

Car cette grande peur des jeunes, alimentée par le refus de toute analyse un peu sérieuse vue comme une « culture de l’excuse » (je ne sais pas si Sarkozy est l’inventeur de la formule mais c’est lui qui l’a popularisée) devait inévitablement trouver un débouché sur l’école sommée d’appliquer la doctrine de « tolérance zéro » à tous les troubles de la vie quotidienne, cette expression d’origine policière les assimilant peu ou prou à une forme de délinquance ou à une première marche vers la délinquance. Une dérive qui aura la vie longue si l’on en juge par l’assimilation, aujourd’hui assumée sans complexe par un dernier chef de gouvernement (Attal, avril 2024) entre « échec scolaire » et « prédélinquance »…

C’est dans cette logique qu’étaient créés (2010) les établissements dits de réinsertion scolaire (ERS) destinés à accueillir des collégiens jugés perturbateurs, donc possiblement délinquants dans la pensée sarkozienne. Quoique tournant rapidement au mauvais gag, Sarkozy n’était pas moins très fier (« l’ERS, c’est un peu mon bébé… », 2011) d’une initiative qui ne dépassera pas l’année 2014.

Pour extravagante que paraisse cette rhétorique, construite sur des fantasmes inlassablement relayés dans une opinion publique plus sensible aux mouvements du menton qu’aux analyses, elle n’en a pas moins marqué durablement le paysage éducatif jusqu’à nos jours, faisant des jeunes – avec les migrants – une classe à surveiller plus qu’une composante naturelle de la société et de l’école le lieu de tous les dangers. La vision délibérément anxiogène et punitive de Sarkozy n’est sûrement pas étrangère à cette tendance, très forte ces dernières années, à faire de l’école un lieu d’enfermement et de l’obligation scolaire un outil de contrôle de toute une classe d’âge.

Le respect des règles et des lois, de la morale civique, de la simple honnêteté, exigé du commun des mortels comme fondement de toute éducation, se retourne donc aujourd’hui contre un politicien arrivé aux plus hautes fonctions en dépit d'un mépris constamment manifesté pour les règles, les lois, la morale civique et la simple honnêteté… tout en conservant dans l’opinion publique une cote de confiance et de popularité qui tranche singulièrement avec le profil du personnage mais qui dit sans doute quelque chose sur le rapport entretenu entre le monde des adultes et les jeunes, entre les principes éducatifs et moraux claironnés par les premiers lorsqu’ils s’adressent aux jeunes  et la facilité avec laquelle ils s’en libèrent pour leur propre gouverne. Et de fait, dans tout programme politique touchant à l’école et à l’éducation, notamment dans sa version EMC (éducation morale et civique), il n’est pas rare de trouver la marque d’une forme d’imposture, celle de l’adulte pris à son propre piège de professeur de morale, bien incapable de s’appliquer à lui-même les règles qu’il prétend imposer aux plus jeunes, la marque, également, d’un président délinquant.

Il y bientôt un siècle (1929), Janusz Korczak écrivait des choses très justes sur ce sujet :

"Nous dissimulons nos défauts et nos plus viles actions. Sous peine de grave offense, les enfants ne peuvent ni nous critiquer ni même s’apercevoir de nos faiblesses, de nos travers, de nos ridicules. Nous posons aux êtres parfaits et défendons nos secrets, nous, le clan au pouvoir, nous, la caste des initiés investis des tâches élevées. L’enfant, tout le monde peut le dénuder impunément, le mettre au pilori.

Tricheurs professionnels, nous jouons contre les enfants avec des cartes truquées en abattant sous les as de nos qualités les petites cartes de leurs faiblesses. Nous nous arrangeons toujours de manière à opposer ce qui est le plus précieux en nous à ce qui est le pire en eux.

Où sont donc nos insouciants et nos étourdis, nos goinfres et nos paresseux, nos imbéciles, nos bambocheurs, nos aventuriers, nos ivrognes et nos voleurs ? Et notre brutalité, nos crimes notoires ou cachés ? Que de discordes, de ruses, de jalousies, de médisances, de chantages ; que de mots qui blessent, d’actes qui déshonorent ; que de sordides tragédies familiales dont les premiers martyrs sont les enfants !

Et nous avons l’audace de les accuser ?"

Janusz Korczak, Le droit de l’enfant au respect, trad. française Unesco, 1979, Robert Laffont.

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