mercredi 18 septembre 2024

L'uniforme scolaire : pas un simple détail de la rentrée

 

Une rentrée en uniforme aux accents de l’hymne national : ce qui était considéré comme inconcevable ou tout simplement ridicule il y a encore quelques années a pris corps – celui des élèves, plus précisément – non en Corée du nord mais en France, à Denain dans une école élémentaire de la ville.

Une seule école, quelques dizaines dans toute la France (sur un total d’environ 60 000 établissements) à s’être pliées au caprice du gouvernement : un détail, une bagatelle, une broutille ? Mais quand ces établissements attirent en masse des médias dont la curiosité malsaine sur ce sujet tient du voyeurisme, quand l’actualité éducative de la rentrée se trouve à ce point phagocytée par une histoire de fringues, quand, en outre, le sang impur qui abreuve les sillons fait office de chant de rentrée (et d’accueil pour les élèves de CP aux dires de la directrice !) d’enfants en uniforme, il ne s’agit plus alors d’un détail, d’une bagatelle, d’une broutille mais d’un symbole. Mais de quoi est-ce le symbole ?

Sans chercher à revenir une nouvelle fois sur la signification que peut revêtir aux yeux des enfants un hymne sacralisant la nation, sur l’adhésion forcée à une communauté qui exclut par principe les différences et entretient l’intolérance, sur la grossière mystification de l’uniforme considéré comme symbole d’égalité ou comme facteur d’intégration au groupe, il est incontestable que la médiatisation de la rentrée à l’école Michelet de Denain et dans quelques autres établissements, n’est neutre ni dans son origine ni dans ses effets potentiels.

Porté par la droite et l’extrême droite (que par ailleurs rien ne différencie en matière éducative) qui ont depuis vingt ans multiplié les propositions de loi sur le sujet, le thème de l’uniforme, relayé avec une complaisance jamais démentie par des médias racoleurs, est le vecteur d’un projet éducatif dominé par des préoccupations d’obéissance et de conformisme. Ses défenseurs se nomment Le Pen, Zemmour, Ciotti, Attal, Macron et toute une famille politique qui n’a jamais manifesté pour la jeunesse d’autre souci que sa mise au pas. A l’opposé de la Grande-Bretagne où l’uniforme, tradition ancienne, résulte du libre choix des établissements, en France, il ne s’est imposé que par la décision arbitraire du seul chef de l’état, relayée par son gouvernement et par une administration, l’Éducation nationale, qui a décidément la fâcheuse tendance à confondre le service public d’éducation et le service du prince.

Ce faisant, en autorisant l’« expérimentation » de ce qu’on peut considérer comme un marqueur politique de la droite et de l’extrême-droite, la directrice de l’école Michelet de Denain, les autres établissements partants, l’administration, contribuent à banaliser ce qui n’a jamais existé, à légitimer toujours davantage un projet éducatif et donc politique qui n’est ni neutre ni innocent : sélection précoce des élèves sous de multiples formes (évaluations répétées, examens de passage, abaissement de l’âge de l’apprentissage), fin de la liberté pédagogique (il est vrai mise à mal depuis de longues années), surveillance tatillonne des élèves soumis à un ordre moral considéré comme intouchable (laïcité etc). L’uniforme, c’est la partie la plus voyante, la vêture si l’on peut dire d’un programme de contrôle renforcé de l’appareil éducatif, des élèves comme des personnels.

La directrice de l’école de Denain peut bien s’extasier devant la tenue de ses élèves – « ils sont beaux ! » (alors que, soit dit au passage, on ne pouvait pas faire plus moche ni plus inadapté à des enfants) – il faut un singulier aveuglement ou une réelle complaisance pour ne pas voir la véritable dimension idéologique de l’uniforme scolaire. Dans le contexte politique qui voit un chef de gouvernement adoubé par l’extrême-droite, les 90 établissements qui ont accepté le principe de l’uniforme, alors qu’ils n’y étaient pas obligés, sont comme les alliés objectifs d’un programme éducatif brutal – celui de l’extrême droite – dont on ne voit pas aujourd’hui qui pourrait s’y opposer.

Banalisation de l’uniforme scolaire par les médias, banalisation de l’extrême droite dans l’opinion publique : même s’il ne s’agit évidemment pas du seul élément à prendre en compte, la coïncidence entre l’introduction de l’uniforme dans un système éducatif où il n’a jamais existé et la nomination d’un Premier ministre sous la coupe de l’extrême droite n’est pas qu’une simple coïncidence. Elle dit quelque chose du moment présent… et de l’école comme terreau favorable à l’extrême droite.

Une question qui mériterait de la communauté éducative (si elle existe) une autre réponse qu’une simple réprobation toute platonique. Et dont l’écho, cette semaine était d’ailleurs singulièrement assourdi.

Je n’ai certes plus l’âge des lycéen.nes mais que les jeunes de Châteaurenard aient pu se soumettre aussi facilement à cette pitrerie glorifiée par le président de la région PACA laisse songeur. Tout comme l’absence de contestation des profs, des organisations lycéennes dites représentatives ou des parents. Par pudeur, on n'ajoutera rien sur le fait que le proviseur du lycée d'Ormesson à Châteaurenard est un syndicaliste du SNPDEN UNSA...L’école, terreau favorable à l’extrême-droite ? On y est : « L’extrême-droite, une menace pour l’école ? Certes mais bien plus qu’une menace hypothétique ou future, il est plus exact de dire que, dans ses pratiques, comme, d’une certaine façon, dans ses principes, l’école dite de la république anticipe largement les fantasmes éducatifs de l’extrême-droite. »

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