mardi 24 septembre 2024

Contre la droite (extrême ou non) : l'autonomie de l'école

 

Dans un contexte politique délétère, remettre en cause le principe d’une Éducation nationale centralisée et autoritaire, loin de conduire à la privatisation du système public d’éducation, pourrait au contraire éloigner la perspective de le voir tomber dans le giron de l’extrême-droite.

L’école peut-elle encore échapper à la droite, à l’extrême-droite (dans cette note de blog, les deux termes – droite/extrême-droite – sont interchangeables tant les programmes éducatifs le sont également) ? Même si la question n’est pas nouvelle, elle se pose encore davantage dans le contexte politique actuel avec une gauche minée par d’éternelles querelles de chapelle ou d’ego qui rendent peu probable pour l’école une alternance politique positive.

Certes, la gauche n’est pas la seule fautive : la France est historiquement un pays conservateur – les références aux épisodes révolutionnaires servant plus souvent à alimenter l’orgueil national qu’à inspirer la politique du moment – et lorsque par extraordinaire les élections lui donnent la majorité, il est rare que la pratique du pouvoir réponde aux espérances attendues.

C’est tout spécialement vrai dans le domaine éducatif : depuis 1981, l’histoire de la gauche et de l’école est celle des occasions ratées, pour des raisons qui peuvent être conjoncturelles mais qui viennent plus souvent de l’incapacité de la gauche à définir ce qui serait une véritable alternative à la droite. Pour ne rien dire de cette tendance récurrente en son sein (Chevènement, Valls…) à récupérer quelques-uns des marqueurs de l’extrême-droite : autorité du maître, transmission de savoirs pétrifiés, morale civique dénaturée dans un sens identitaire et autoritaire, plus généralement, un vieux fond de méfiance pour les jeunes indissociable de l’idée d’une école « sanctuaire » coupée du monde.

Ici, une certaine gauche n’est pas étrangère au succès dans une partie de l’opinion des tendances les plus réactionnaires développées sans complexe par la droite depuis plus de vingt ans : de fait, pour les futurs historiens de l’éducation, 2002 apparaîtra sans doute comme une date charnière, point de départ d’une sorte d’hiver pédagogique/éducatif, mis en route, au moins au niveau de l’administration par des ministres comme Darcos, de Robien, Fillon, Blanquer, Attal… et dont le succès est assuré non par les résultats sur le terrain mais par un retentissement médiatique soigneusement orchestré, comme l’a encore illustré la dernière rentrée scolaire et la mise en avant de questions aussi futiles que « l’expérimentation » de l’uniforme dans 70 établissements ou des casiers à portables. Questions certes futiles mais dont l’ordonnateur – au gré des circonstances, le ou la ministre, le Premier ministre, le président – attend toujours un bénéfice dans les sondages d’opinion.

Dans ce contexte – une droite sûre de ses fantasmes éducatifs, une gauche pusillanime – faut-il continuer à attendre indéfiniment un projet, un programme sorti clés en main d’une campagne électorale, qui trouveraient miraculeusement leur traduction sur le terrain ? Ou plutôt, changer d’échelle en prenant comme point de départ non pas des circulaires ministérielles aussi inconstantes que les ministres en titre mais les initiatives venues de la base, des établissements ?

Dans un pays où le pouvoir politique du moment s’arroge le droit (et ne se trouve pas ridicule) de dire aux enseignants comment ils doivent accueillir en classe leurs élèves (« que les élèves se lèvent quand l’enseignant entre en classe… »), d’imposer leur tenue vestimentaire à treize millions d’élèves ou encore une méthode exclusive d’apprentissage de la lecture et le manuel qui va avec, ce serait là un changement de paradigme. Si la pensée conservatrice, si la droite sont aujourd’hui en position de force, malgré leur échec patent, c’est aussi parce que, depuis plus de deux siècles – l’école dite de la république s’étant coulée sans difficultés dans le moule napoléonien – le fonctionnement autoritaire et pyramidal du système éducatif rend impossible ou, en tout cas, difficile toute contestation d’une mesure, même la moins fondée, venue du cabinet du ministre.

En réponse à un mode de gouvernance toujours arbitraire et qui réduit les personnels au rôle de simples exécutants – une tendance qui s’est singulièrement aggravée depuis Blanquer – laisser aux établissements une réelle liberté pédagogique définie par un projet collectivement débattu pourrait rendre plus légitime et plus efficace un système éducatif que rend malade sa dépendance aux caprices du politique.  Remettre en cause le carcan des programmes officiels, le contrôle effréné des savoirs et des compétences par des évaluations nationales biaisées, envahissantes et qui tournent à vide, la surveillance infantilisante, tatillonne voire punitive du corps d’inspection et de l’administration, la prétention à imposer par le haut une morale civique officielle : mieux qu’une hypothétique « autonomie des établissements », vieux serpent de mer de la droite qui vise en réalité, en mettant les enseignants sous la coupe d’un petit chef, à renforcer le pouvoir de l’administration centrale, une forme d’autogestion pédagogique pourrait au contraire contribuer à faire advenir un véritable service public d’éducation délivré  de la tutelle étouffante et inconséquente de l’Education nationale... et libéré de la menace de l'extrême-droite.

Blanquer, Pap Ndiaye*, Attal, Oudéa-Castéra, Belloubet, dans l’attente de  Genevard, Bellamy… après avoir échappé de justesse à Chudeau : est-ce une fatalité qu’un service public digne de ce nom soit continuellement dépendant des fantaisies, des lubies, des exigences d’un responsable politique tranchant selon son bon vouloir, l’humeur du jour ou le sens du vent des sondages d’opinion, sur des questions fondamentales touchant à l’avenir de millions de jeunes et même plus simplement à leur vie quotidienne ?

Apprentissage de la lecture, méthode de Singapour, « choc des savoirs », examen d’entrée en lycée, classes de niveau, cours d’empathie, drapeau dans les salles de classe, uniformes, casiers à portables, nouvelle réforme de la formation des profs (en attendant la suivante), etc : par les vertus d’une fonction publique dévoyée, un inventaire à la Prévert, des annonces aussi incohérentes dans leurs attendus que brutales dans leurs effets, se posent en politique éducative officielle avec obligation pour les personnels de la mettre en œuvre sans discuter.

Remettre en cause le monopole d’état, la brutalité avec laquelle l’état exerce sa fonction éducative, son déficit démocratique, ne procède pas d’une quelconque dérive libertarienne et ne conduit pas davantage à la privatisation du service public d’éducation ; tout au contraire, en favorisant l’émergence de « structures éducatives désenclavées » (Suzanne Citron), il pourrait alors retrouver une cohérence, une légitimité qu’il n’a plus et qui le mettraient plus sûrement à l’abri des aléas électoraux qui ne sont pas, au moins à brève échéance, à son avantage.

*Intégré dans la chronologie mais je fais quand même une différence entre Pap Ndiaye et le reste de la liste...

 

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