mercredi 7 août 2024

Wolfgang Amadeus, l'élève au centre...

 

Un brin d’anachronisme dans cette note de blog ? Sans doute mais pas tant que ça. Après tout, même à deux siècles et demi de distance, l’enfance de Mozart garde encore une dimension de mystère à laquelle l’inépuisable (et inutile ?) controverse entre l’inné et l’acquis n’est pas près de mettre fin. Comment devient-on Mozart ? L’auteur de ces lignes n’ayant ni les compétences ni la prétention pour répondre à la question, laisse ici la parole à Marianne Mozart, la grande sœur – la Nannerl des chroniques – ainsi qu’à Andreas Schachtner, trompette à la cour de Salzbourg et ami de la famille. Avec surtout, en filigrane, la présence du père, Léopold, musicien reconnu, le seul maître du petit Wolfgang pendant ses années d’apprentissage, Léopold, que d’aucuns, aujourd’hui, auraient tôt fait de considérer comme un irresponsable « pédagogiste »…


« Wolfgang était âgé de trois ans lorsque son père commença à apprendre le clavecin à sa fille âgée de huit ans. Et tout de suite l’enfant révéla le talent extraordinaire qu’il avait reçu de Dieu. Souvent il se divertissait pendant des heures à rechercher des tierces au clavecin, avec un plaisir ingénu à entendre l’agréable harmonie qu’il produisait chaque fois. Dans sa quatrième année, son père commença à lui enseigner au clavecin, pour ainsi dire par jeu, quelques menuets et autres pièces : étude qui coûtait si peu de peine aussi bien au père qu’à l’enfant, que ce dernier apprenait une pièce entière en une heure et un menuet en une demi-heure, de façon à pouvoir les jouer sans aucune faute, avec la mesure et la netteté les plus parfaites. Il faisait de tels progrès qu’à cinq ans lui-même composait déjà de petites pièces qu’il jouait au clavecin devant son père et que celui-ci transcrivait ensuite sur le papier (...) Jamais il ne fallut le contraindre pour composer ou pour jouer ; au contraire, il fallait toujours l’en distraire. Autrement, il serait resté jour et nuit assis au piano ou à composer (...) Il avait le désir d’apprendre tout ce qu’il voyait. Il montrait beaucoup de dispositions pour le dessin et pour le calcul ; mais il était trop absorbé par la musique pour pouvoir manifester ses talents en toute autre branche. » (Marianne Mozart, Mémoire à la maison Breitkopf, décembre 1799*)

Quelques mois après la mort de Mozart, Andreas Schachtner raconte dans une lettre à Marianne en quelles circonstances, Wolfgang, alors âgé de six ans, fit voir à son père sa première composition :

« ... son papa lui prit le papier et me montra un brouillon de notes de musique, dont la plupart étaient écrites sur des taches d’encre étalées (car le petit Wolfgang, par inexpérience, plongeait sa plume chaque fois jusqu’au fond de l’encrier, d’où il en résultait, à chaque fois qu’elle touchait le papier, un gros pâté qu’il étendait alors résolument avec la paume de la main pour le sécher, après quoi il écrivait par-dessus). Nous commençâmes par rire de ce qui paraissait un véritable galimatias ; mais votre papa se mit ensuite à examiner l’essentiel, la musique, la composition. Un long moment il se tint tout raide et muet devant la feuille de papier ; enfin deux larmes d’admiration et de joie coulèrent de ses yeux. » (Andreas Schachtner,  lettre à Marianne Mozart, Salzbourg, avril 1792*)

Un enfant qui se divertit pendant des heures devant son instrument, une étude qui coûte si peu de peine aussi bien au père qu’à l’enfant, un enfant qu’il n’a jamais fallu contraindre pour le mettre au travail, qui sait composer avant de savoir écrire, un père extraordinairement présent mais respectueux, qui examine l’essentiel sans s’attarder sur les taches d’encre, qui enseigne par jeu, un enfant qui n’a jamais connu l’école : l’enfant – ou l’élève – au centre en quelque sorte.

Anachronisme ou histoire ? Dans l’histoire de l’éducation, les réalités d’une époque viennent bousculer les certitudes/habitudes d’aujourd’hui. Une histoire qui rencontre celle de la musique, quand l’apprentissage de la composition, de la pratique instrumentale, du chant n’était pas le fait de conservatoires ou d’écoles de musique mais était assuré par des pratiques familiales ou collectives (1) qui pouvaient trouver leur meilleure expression dans l'enfance de Mozart, dans des dynasties de musiciens (Bach, Couperin…) ou encore dans le cadre d’institutions très spécifiques comme les psallettes (ou maîtrises) d’enfants de chœur (2) dont les pensionnaires étaient en mesure, du moins pour les plus doués, de développer très jeunes de réelles compétences musicales  (et nécessairement intellectuelles) sans passer aux yeux des contemporains pour des génies en herbe. Au 18e siècle, l’apprentissage, pas uniquement musical, qui reposait sur la trilogie voir-écouter-faire, était regardé comme une formation tout autant légitime que la scolarisation proposée, dans le cas de la France, par les petites écoles ou les collèges mais qui finira pas imposer son hégémonie au 19e siècle.

Lire-écrire-compter ? Écouter-jouer d’un instrument-composer ? Finalement, l’enfance de Mozart, c’est aussi une histoire de fondamentaux où les traditionalistes et conservateurs d’aujourd’hui, prompts à enjoliver un passé qu’ils ne connaissent pas, auraient sans doute du mal à retrouver la justification de leurs fantasmes.

 

* Les extraits ci-dessus sont tirés de Jean et Brigitte MASSIN, Wolfgang Amadeus Mozart, Fayard, 2e éd., 1990.

(1) Xavier BISARO, Chanter toujours, Plain-chant et religion villageoise dans la France moderne (XVIe-XIXe siècle), Presses universitaires de Rennes, 2010. 

 (2) Bernard DOMPNIER (dir.) Maîtrises et chapelles aux XVIIe et XVIIIe siècles, Presses universitaires Blaise Pascal, 2003.

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