dimanche 11 août 2024

Aux JO comme à l'école, en finir avec la Marseillaise

 

Avec les JO, drapeaux et hymnes nationaux agités et clamés jusqu’à l’overdose. Comme une évidence, comme s’il n’existait pas d’autres moyens de manifester sa joie collective. Comme si le bonheur d’être ensemble ne pouvait s’exprimer qu’à travers l’image du sang impur qui abreuve les sillons. Comme si toute société, pour faire du commun, n’avait jamais rien imaginé de plus approprié que le recours forcené à une identité nationale dont l’histoire est effectivement celle du sang versé...inutilement.

La présence étouffante de la Marseillaise dans les manifestations sportives n’est évidemment pas sans rapport avec son apprentissage précoce et obligatoire à l’école, un apprentissage qui fait l’objet – notamment depuis une dizaine d’années – d’une surenchère entretenue par un flot aussi brutal que surréaliste d’injonctions politiques et administratives (« année de la Marseillaise » sous Hollande, affichage du drapeau et des paroles de l’hymne nationale dans toutes les salles de classe, Marseillaise quotidienne au pied du drapeau dans le cadre du SNU etc).

Le caractère péremptoire et réglementaire des programmes officiels de l’Éducation nationale est un obstacle à tout questionnement sur la signification et la légitimité des symboles nationaux dans la formation des élèves. L’inintelligibilité des paroles pour de très jeunes élèves (voir plus bas), leur violence également, ont déjà fait l’objet de débats qui ramènent au contexte historique : syntaxe et vocabulaire datés rendant le texte incompréhensible mais surtout une rhétorique ambigüe que la référence au moment révolutionnaire n’éclaire guère et justifie encore moins. Les thuriféraires d’une Marseillaise « de gauche », populaire, révolutionnaire, ont beau expliquer que le « sang impur » était en réalité celui des aristocrates oppresseurs du peuple, que la France était en guerre (en oubliant de préciser que c’est elle qui l’avait déclarée…), que la fin justifie les moyens, il n’empêche que dans une salle de classe aujourd’hui, l’injonction à verser le sang impur, à déshumaniser l’autre pour pouvoir l’éliminer sans scrupules, la manie de s'inventer des ennemis, tout cela n’est guère compatible avec les prétentions  officiellement affichées d’une éducation basée sur le respect de l’autre, la tolérance et le refus de la violence.

De son origine guerrière, la Marseillaise a conservé ses accents brutaux et belliqueux que des tentatives pour lui donner de nouvelles paroles, notamment à l’école, ont à plusieurs occasions tenté de gommer. Mais sans réussir à s’institutionnaliser, ni même à pousser les portes des écoles où l’apprentissage de la Marseillaise fait l’objet de la part des enseignants d’une incontestable complaisance, renforcée par le fait qu’aujourd’hui le refus de chanter la Marseillaise est promu comme une « atteinte à la laïcité » et dénoncée comme telle aux autorités.  Il est vrai que dans un pays où « l’outrage aux symboles nationaux » constitue un délit passible de six mois de prison et de 7500 euros d’amende (!), l’attachement aveugle à la nation et à ses oripeaux, protégé par la menace et la coercition, fait davantage que la raison.

Indépendamment de ces considérations, le débat sur la place de la Marseillaise à l’école – trop souvent réduit à des lieux communs, aux affirmations de gros bon sens – laisse trop de choses en suspens parce que n’interrogeant jamais sa finalité : un hymne national restant par principe un hymne à la nation, il paraît curieux que cette dernière ne soit jamais interrogée (ou rarement), toute forme de communauté non-nationale se voyant disqualifiée comme « communautariste ». Depuis ses origines, l’école républicaine s’attache comme à un dogme indéfectible à la nécessité de faire émerger chez l’enfant une « conscience nationale » ; par l’apprentissage de l’hymne national, comme par l’enseignement de l’histoire, l’école s’affiche comme le creuset d’une identité collective qui ne s’imagine pas autrement que nationale.  L’impossibilité épistémologique de définir la nation (1), son invention récente dans l’histoire de l’humanité ne l’autorisent pourtant pas à se considérer comme l’unique expression d’identités collectives par nature plurielles : elle n’est pas plus légitime ni indiscutable que n’importe quel autre artifice par lequel le pouvoir politique a cherché à asseoir sa domination sur la société. Le sentiment national, n’a rien de naturel, notamment chez les enfants, « il n’est spontané que lorsqu’il a été parfaitement intériorisé ; il faut préalablement l’avoir enseigné » (2). Mais précisément, l’enseignement de l’histoire, notamment à l’école primaire, reste aujourd’hui encore marqué par le « mythe national » analysé par Suzanne Citron (3), cette « mise en scène du passé » imaginée par les détenteurs du pouvoir, monarchique comme républicain, dans le but de conforter une autorité que la nation permet de sacraliser.

Et de fait, la Marseillaise obligatoire à l’école appartient davantage au registre religieux qu’à celui d’une éducation qui se prétend laïque et rationnelle. Faire chanter par des enfants de 7 ans « contre nous de la tyrannie l’étendard sanglant est levé » (sic) n’a pas d’autre signification que celle que pouvait avoir aux yeux des fidèles la messe en latin d’avant Vatican II : il ne s’agit pas de comprendre mais de croire, d’obéir, la seule différence – mais elle est de taille – étant que la religion de la patrie est une religion officielle qui n’accepte pas la dissidence.

Porteur d’une identité réductrice et historiquement peu fondée, le sentiment national conserve aujourd'hui encore de ses origines sa composante guerrière, agressive, ciblant une menace étrangère protéiforme, aux multiples visages – selon les périodes Allemands, Anglais, barbares, migrants aujourd’hui – perpétuellement revenue. C’est cet élément qui est mis en avant dans la Marseillaise. Loin d’être rassembleur, l’hymne national enferme les individus dans un commun artificiel et attise les peurs. La Marseillaise a nécessairement à voir avec l’atmosphère de forteresse assiégée qui gangrène la question scolaire, le débat politique et, plus généralement, une société aujourd’hui majoritairement réceptive aux antiennes identitaires. « Nous » aurions des « valeurs », à défendre, quelque chose d’unique au monde. Mais qui est ce nous ? Quelles valeurs à défendre et contre qui ?

 

(1) – Marcel DETIENNE, L’identité nationale, une énigme. Gallimard, 2010.

(2) - Anne-Marie THIESSE, La création des identités nationales, Le Seuil, 2001.

(3) - Suzanne CITRON, Le mythe national, l’histoire de France revisitée, Les Editions de l’Atelier/Editions ouvrières, Paris, 2017.

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