vendredi 2 août 2024

Corporatisme et enseignement de l'histoire (Suzanne Citron)

 

Dans un article publié en 1977 (1), Suzanne Citron s’intéresse aux réflexes corporatistes qui caractérisent la Société des professeurs d’histoire et de géographie de l’enseignement secondaire (SPHG, fondée en 1910, devient en 1975 Association des professeurs d’histoire et de géographie, APHG), une tendance forte qui conduit à des compromissions politiques (non remise en cause du colonialisme, par exemple) et à un blocage pédagogique, une résistance aux changements initiés ou souhaités notamment par Jean Zay ou, à la Libération, par Langevin-Wallon.

Presqu’un demi-siècle plus tard, cette analyse de Suzanne Citron trouve sans difficulté son prolongement dans la constatation d’une persistante inhibition autour du fétichisme des programmes scolaires ou de la formation des enseignants.

Extraits :

« Dans l'enseignement secondaire, la positivité de l'histoire s'inscrit dans une vulgate : les programmes matérialisent l'histoire, discipline scolaire, et les horaires objectivisent dans l'institution bureaucratisée l'importance de la discipline à côté des autres matières d'enseignement. Les horaires sont ainsi la pierre de touche de l'identité des spécialistes de l'histoire, face à des enseignants rivaux. Leur importance sanctionne la valeur que reconnait l'institution aux historiens-géographes ; du volume d'heures impliqué, du nombre de postes nécessaires, dépendent l'avancement et la carrière ; sens de la dignité et intérêts professionnels se rejoignent dans la défense des horaires. Convaincus par le positivisme que la science intronise une élite, les spécialistes de l'histoire et de la géographie, investis par leurs diplômes de la connaissance scientifique, exigent que le droit leur soit reconnu d'enseigner leur spécialité.

Programmes, horaires, enseignement de l'histoire et de la géographie par les spécialistes, place de l'histoire et de la géographie dans les concours et les examens, le corporatisme initial, dans la Société des professeurs d'histoire, n'est que variation autour de ces thèmes. Sa cohérence repose sur la conjonction d'une démarche positiviste qui sacralise la discipline et le savant et d'une institution bureaucratique qui quantifie en heures la positivité de cette discipline et l'identité du savant […].

Ainsi, qu'elle soit de droite ou de gauche, toute réforme qui ne garantit pas une place suffisante à l'histoire et à la géographie doit être, par principe, combattue. Par principe et par définition : l'option corporatiste, ciment de la Société de spécialistes, ne tient compte que des disciplines. Et la Société pour se perpétuer doit à son tour garantir la permanence de ses présupposés, base nécessaire à son identité collective : positivisme, cloisonnement des spécialités, fétichisme de la discipline, représentation traditionnelle et univoque de l'histoire. Ceci débouche sur un blocage de nature épistémologique : la conception positiviste qui fétichise chaque discipline sans souci de la totalité sociale est l'indispensable substrat du discours corporatiste. Et le positivisme, cristallisé par le corporatisme, véhicule en même temps l'historiographie des années 1880, habillage « historique » de l'histoire-vérité. »

 

(1) Suzanne Citron, Positivisme, corporatisme et pouvoir dans la Société des professeurs d'histoire, Revue française de science politique, XXVII, 1977


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