La Marseillaise revendiquée comme « hymne révolutionnaire » est-elle légitime dans le cursus scolaire des élèves et les programmes officiels de l’Éducation nationale ? Sans rien changer à sa phraséologie d’origine, une Marseillaise « de gauche », populaire, autorise-t-elle à dénoncer comme une « récupération » la ferveur dont elle jouit à droite et à l’extrême-droite ? Cette option, régulièrement avancée chez les militants de gauche et, autant qu’on puisse en juger, dans un milieu enseignant qui a toujours fait preuve d’une solide complaisance pour les prescriptions officielles sur le sujet, met en avant le contexte historique de la composition de la Marseillaise, censé justifier, près de deux siècles et demi plus tard, son apprentissage obligatoire. Ce faisant, l’anachronisme n’est pas loin car chanter la Marseillaise en 2024 – surtout lorsqu’il s’agit d’une prescription administrative – ne peut pas avoir la même signification qu’en 1792.
De fait, si la Marseillaise a bien son origine dans un contexte révolutionnaire (1792), elle a radicalement changé de nature en devenant hymne national en 1879 dans une conjoncture qui n’avait plus rien de révolutionnaire, bien au contraire : les premières années de la 3e République voient effectivement la mise en place d’un régime politique, social et moral conservateur – terrorisé par le souvenir de la Commune – profondément imprégné de nationalisme, de racisme, de rejet de l’étranger, de sexisme également (les femmes ne doivent rien à la 3e République), un régime qui s’est fait un titre de gloire de coloniser toute une moitié de l’Afrique, restaurant sous une apparence « républicaine » une forme très classique d’esclavage. En toute bonne conscience. Et c’est bien un tel régime, obsédé par la revanche militaire sur l'Allemagne et dont l’horizon est davantage tourné vers la ligne bleue des Vosges que vers la liberté, l’égalité et la fraternité qui a fait de la Marseillaise un hymne national. A l’école, la Marseillaise comme hymne national est contemporaine des bataillons scolaires et non de la bataille de Valmy.
De quoi changer la perception de la Marseillaise à l’école : depuis les bataillons scolaires jusqu’au SNU (qui fait de la Marseillaise quotidienne son élément structurant), la Marseillaise obligatoire chantée par les élèves n’a jamais eu de signification révolutionnaire, encore moins émancipatrice. Restant par définition un hymne à la nation, édifié sur une prose datée et inintelligible à forte connotation guerrière, elle aboutit à sacraliser un régime politique dont l’objectif affiché – faire naître une conscience nationale – a nécessairement pour corollaire un conditionnement mental peu ouvert à l’esprit critique et à la tolérance. Aujourd’hui, favorisée par une méfiance irrationnelle pour les jeunes (surtout lorsqu’ils ont la peau sombre), la place extravagante occupée par la Marseillaise et les symboles nationaux (dans les programmes scolaires, sur la façade des écoles, à l’intérieur des salles de classe), la surenchère entretenue sur le sujet par la droite et l’extrême-droite, interdisent de rapporter à une origine « révolutionnaire » l’apprentissage scolaire d’un chant qui relève d’un bourrage de crâne.
Reste également, mais je conviens que l’argumentaire change ici de registre, que la référence à 1792 qui érigerait en symbole « révolutionnaire » un chant de guerre pour l’armée du Rhin, mériterait d'être relativisé ou, à tout le moins, replacé dans son contexte. En 1792, l’initiative de la guerre revient à la France (et à Louis XVI, toujours monarque en titre à cette époque) et non à ses voisins. Outre que l’armée de Valmy était constituée pour une bonne part de soldats de l’ancienne armée royale et non de volontaires, la guerre « révolutionnaire » va très vite se transformer en guerre de conquêtes – avec son cortège de pillages, de violences sur les populations civiles – qui ensanglanteront jusqu’en 1815 un continent européen où les illusions sur la France « révolutionnaire » ne dureront pas davantage que l'illusion révolutionnaire.
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