mercredi 8 mai 2024

Ecole et extrême-droite : une solution finale au problème musulman

La proposition de loi déposée par le RN visant « à exclure définitivement des établissements ordinaires (sic) les élèves convaincus de menées islamistes », est une étape de plus dans la surenchère populiste ciblant l'école, cette proposition d'extrême-droite s'inscrivant dans la logique de la politique gouvernementale.

Le principe de la surenchère, c’est de ne jamais s’arrêter. Avec un chef de gouvernement qui reprend à son compte et sans complexe la totalité du programme éducatif de l’extrême-droite, il était inévitable que l’extrême-droite à son tour cherche à marquer son territoire dans un domaine – l’éducation – où les initiatives les plus extravagantes rentrent dans les mœurs avec une facilité déconcertante.

Partant de l’idée que « l’école de la République fait l’objet, depuis des décennies, d’attaques systématiques de la part de l’islamisme radical, frériste, wahhabite et salafiste », la proposition de loi (2494) de Roger Chudeau et de ses collègues RN vise « à exclure définitivement des établissements ordinaires (sic) les élèves convaincus de menées islamistes ». Qu’est-ce qu’un élève convaincu de menées islamistes ? Le RN ne fait ni dans la nuance ni dans la finesse, assimilant dans une même dénonciation les robes des filles, la façon de se nourrir, une indéfinissable « contestation comportementale » synthétisée sous le nom de « Ramadan », la critique de l’état d’Israël (antisionisme) confondue avec l’antisémitisme, le refus de la mixité, de certains enseignements, de la laïcité etc. Autrement dit, pour le RN, tous les élèves musulmans sont peu ou prou (« franges extrêmes mais non marginales …) « convaincus de menées islamistes ». Menées dont les assassinats de S. Paty et de D. Bernard sont en quelque sorte l’aboutissement naturel : derrière l’élève musulman, un terroriste en puissance.

Les sources sont sommaires autant que l’analyse. Les parlementaires s’appuient exclusivement sur quelques auteurs dont le succès médiatique est inversement proportionnel au sérieux méthodologique : Bernard Rougier, « un chercheur conquis par la fièvre identitaire », Bernard Ravet, retraité de l’EN, membre de la LICRA, qui dans une même formule pleine de délicatesse met en parallèle les filles portant un foulard et « des petites pustules de l’herpès », l’islam et un « virus », une rhétorique dont on comprend qu’elle fascine l’extrême-droite. Sans oublier Jean-Pierre Obin, dont les obsessions sur la laïcité en font depuis plus de vingt ans un incontournable invité des plateaux télé. Le tout étayé par quelques sondages censés conforter dans l’opinion une vision apocalyptique de l’école, tenaillée par « un climat de peur et d’angoisse ».

Cette analyse tout en subtilité conduit les députés RN à proposer une mesure visant à « écarter définitivement ces élèves des établissements ordinaires du service public de l’enseignement », mesure qu’on peut comprendre, compte tenu de l’exposé des motifs, comme une sorte de solution finale au problème musulman dans les écoles.

Dans ce but, il s’agira donc de mettre en place, dans chaque département, un « centre de réinsertion et d’orientation scolaire » (CROS) regroupant les élèves de 11 à 16 ans considérés comme « radicalisés, perturbateurs récidivistes de l’action éducative ». Après avis d’un « conseil académique de discipline », la décision « définitive » sera prise par le recteur chargé de l’inscription / incarcération des élèves/détenus jusqu’à la fin de leur scolarité observatoire.

Élèves « radicalisés » et/ou « élèves perturbateurs », pouvoirs de justice et de police confiés au recteur en dehors de tout contrôle judiciaire : semblable texte qui, il y a encore peu de temps, aurait été dénoncé comme l’expression d’une dérive kafkaïenne de l’école, s’inscrit aujourd’hui parfaitement dans la logique défendue par Attal d’une criminalisation des déviances scolaires et d’une suspicion de principe des élèves musulmans. Les CROS de l’extrême-droite sont en quelque sorte une variante de l’internat inauguré en grande pompe par Attal confondant dans une même formule décrochage scolaire et prédélinquance, prédélinquance et visibilité de la pratique religieuse (musulmane, les autres religions ne faisant évidemment pas l’objet de pareil opprobre).

Cette proposition de loi, bien dans l’esprit du temps, illustre la banalisation des idées d’extrême-droite dans la société avec l’école comme terrain d’expérimentation. Une banalisation alimentée dans un tourbillon sans fin par la corruption de l’idée laïque qui entraîne à son tour l’école dans une posture de forteresse assiégée. En dénonçant un « climat de peur et d’angoisse », l’exposé des motifs use d’une formulation que la surexposition médiatique des désordres scolaires et la focalisation sur l’Islam ont rendues crédibles aux yeux d’une large partie de l’opinion effrayée par une mise en scène catastrophiste (« 100 000 enseignants menacés », selon BFMTV…) de l’actualité. Une mise en scène à laquelle participent activement l’Éducation nationale et une partie de ses personnels (1) qui ont repris à leur compte sans beaucoup d’esprit critique la vision identitaire de la laïcité et finalement d’un ordre scolaire dont l’extrême-droite fait son miel.

De quoi l’extrême-droite tire-t-elle aujourd’hui sa force sinon d’une imprégnation lente et continue de la société par des valeurs et des fantasmes qui ont trouvé dans l’école un terrain idéal d’expérimentation. La peur et plus spécifiquement la peur de l’autre sont les moteurs du vote d’extrême-droite : en se fabriquant l’image d’un ennemi imaginaire, l’école – c’est bien elle et elle seule qui, en 1989 à Creil, a lancé la chasse au foulard – entretient un climat toxique dont le paysage politique est, d’une certaine façon, l’expression.

 

(1) Tout spécialement ces enseignants suffisamment inconscients pour se former à des cours d’autodéfense devant les caméras de BFMTV. A défaut de formation pédagogique…

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