Même si l’arrogance et l’ambition carriériste d’Attal ne sont pas une découverte, il faut reconnaître que la brutalité des mesures qu’il a annoncées aujourd’hui atteignent un niveau qu’on ne croyait pas possible. Même après cinq années de Blanquer…
Parmi les classiques de la pensée éducative réactionnaire, on notera bien sûr le recours massif au redoublement et aux classes de niveau, pratiques massivement utilisées jusqu’à un passé récent, remises au goût du jour en dépit de leur échec notoire. Confisquer aux élèves une ou plusieurs années de leur scolarité n’a jamais constitué un gage de réussite ultérieure mais montre surtout l’incapacité (ou le refus) de l’institution à évaluer les progrès d’un élève autrement que par un « niveau » arbitraire au demeurant jamais défini, la progression par une multiplication des évaluations chiffrées aussi vides de sens que chronophages.
Dans cette logique, les annonces relatives au DNB résument à elles seules la pensée ministérielle : moindre importance accordée aux compétences (auxquelles, au passage, les programmes officiels de collège n’ont jamais accordé beaucoup d’attention) pour se concentrer sur des « savoirs », principalement déterminés par la capacité des élèves à les répéter. Mais surtout, avec l’interdiction de rentrer en lycée pour les élèves qui n’obtiendront pas le brevet, il s’agit en fait d’un véritable examen de passage en seconde, décidé sans aucune concertation (sinon, sans doute, celle d'un certain nombre d'enseignants de lycée...), un changement de paradigme majeur qui ramène très loin en arrière, avant les années 60 et la massification du second cycle, lorsque les études en lycée étaient réservées aux élites sociales. C’est bien de cela qu’il s’agit : sauf à s’aveugler sur le profil sociologique des élèves qui ne décrochent pas le DNB, il est clair que la classe « prépa-lycée » concoctée par Attal ressemblera fort, pour des élèves arrivant à 16 ans, à une classe préparatoire à l’apprentissage. De quoi satisfaire les électeurs dont on attend les suffrages… et sans doute quelques enseignants avec eux.
Déjà mis en avant par Attal pour le premier degré, le rabâchage des « fondamentaux », en réalité, des rudiments, fait une entrée en force en collège, au détriment de tout le reste, les élèves en difficulté, presque toujours les élèves issus des milieux modestes, se voyant privés de toute une ouverture culturelle sans laquelle la scolarité n’a plus de sens. Le fait que cette évolution intervienne alors que l’école est devenue obligatoire devrait interpeller au-delà des cercles habituels de l’instruction en famille…
Enfin, comme si ce n’était pas suffisant, Attal, digne héritier de Blanquer, confirme sa volonté d’imposer des manuels officiels, privant définitivement du peu de liberté et d’autonomie qui leur restaient des enseignants toujours plus soumis et infantilisés.
Bien sûr, cette politique fait sens : annoncée avant la publication du dernier rapport PISA, donc sans tenir des comptes des réalités complexes qui y sont décrites ni des préconisations qu’il suggère, ces annonces ont la forme bien plus d’un programme électoral que d’un projet éducatif. Pour un ministre qui passe le plus clair de son temps à plastronner sur les plateaux télé ou dans les studios de radio, il s’agit d’abord, en entretenant la nostalgie d’un passé scolaire qui n’a jamais existé, de flatter un électorat peu au fait des réalités de l’école et/ou résolument réactionnaire. Mais avec un système éducatif bâti autour d’une administration fonctionnant sur un strict principe hiérarchique, avec une école qui fait de l’obéissance à l’échelon supérieur son principe cardinal, on voit aisément à quelle catastrophe peut conduire la confiscation de pouvoirs quasi illimités par un politicien bien plus soucieux de son intérêt personnel que de l’intérêt général.
Pour terminer cette rapide note de blog, je m’en voudrais de ne pas citer les noms de quelques-uns des prédécesseurs d’Attal : L. Ferry, Darcos, de Robien, Fillon, Chatel, Blanquer (dont on aurait tort d’oublier qu’Attal fut le secrétaire d’État…). Tous, peu ou prou, ont fait de leur fonction un outil de communication au service de leur propre personne. Tous, surtout, ont usé jusqu’à la corde les fantasmes déclinistes sur l’effondrement de l’école, la chute du niveau etc, auxquels seul un recours aux « bonnes vieilles méthodes » pourrait porter remède. De bonnes vieilles méthodes élevées au rang de doctrine officielle par l’Éducation nationale depuis plus de vingt ans et dont les effets bénéfiques n’apparaissent toujours pas à la lecture de la dernière enquête PISA… à moins de considérer que l’échec scolaire et la sélection sociale qui l’accompagne soit l’un des objectifs de l’École. Et comme, en dépit de cet échec, c’est de cet héritage brutalement réactionnaire que se réclame Attal et que les résultats sont connus d’avance, on en arriverait presque à rêver d’un vrai service public d’éducation sans ministre de l’Éducation nationale.
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