mardi 28 novembre 2023

Minute de silence, hommage administratif, émotion obligée : Kafka maître d’école

 

605 sanctions, dont 85 exclusions définitives prononcées à l’encontre d’élèves dont l’attitude avait été jugée non conforme avec les prescriptions attendues lors de l’hommage à D. Bernard, le mois dernier. Des sanctions qui interpellent (ou plus précisément qui auraient dû interpeler) autant sur le fond que sur la forme.

On en sait toujours aussi peu sur les motifs retenus par les conseils de discipline, une instance dont les habitudes de secret et d’arbitraire sont ici renforcées par les pressions d’un ministre obsédé par son souci de la communication : « Ces sanctions, c'est d'abord un engagement tenu. Celui que j'avais pris devant les Français de ne rien laisser passer, au nom de la mémoire de Dominique Bernard et de Samuel Paty, et de l'indispensable respect de l'autorité à l'école. » Devant le conseil de discipline, avec un chef d’établissement aux ordres, des enseignants baissant la tête, l’élève est condamné à l’avance dans une parodie de justice qui n’en fait que mieux ressortir l’écart entre les principes du droit mis en avant dans les programmes officiels d’EMC et la réalité scolaire qui présente assez systématiquement le visage du non-droit.

Autant qu’on puisse en juger – les délibérations des conseils restant confidentielles – la disproportion entre les procédures mises en œuvre et la nature des reproches adressés aux élèves disqualifie les sanctions prononcées et délégitime le principe d’ « autorité de l’école » vanté par le ministre. Les « incidents » remontés par les médias dans la cadre de l’hommage à D. Bernard et scrupuleusement relevés par une administration tétanisée, appartiennent dans la plupart des cas au registre de la provocation adolescente et devraient être considérés comme tels, plutôt que de se retrouver classés dans la catégorie fourre-tout d'"apologie du terrorisme" qui  permet tous les abus de pouvoir. Dans le cadre d’un établissement scolaire, quand des « ricanements » ou des sourires en coin pendant une minute de silence en arrivent à faire l’objet d’un signalement au procureur (« systématiquement », demande Attal), c’est indubitablement le signe que, dans une dérive kafkaïenne, le principe d’ « autorité de l’école » est en train de changer de nature, transférant au judiciaire et au punitif ce qui relève du domaine éducatif. 

De fait, depuis 2015, l’école s’est vu imposer une forme de prise en charge de l’émotion collective censée confirmer et solenniser aux yeux de tous sa culpabilité dans une succession de violences et d’attentats dont elle est en réalité davantage victime que responsable. A vouloir faire croire que le terrorisme serait la conséquence d’une identité nationale insuffisamment cultivée par l’école et que l’assassinat de deux enseignants découlerait naturellement de la présence d’un certain nombre d’élèves en défaut d’intégration, on en arrive effectivement à chercher des solutions dans des procédures aussi aberrantes que contreproductives (et profondément immorales) dont la minute de silence administrative constitue un cas exemplaire. Alors que, même pour de nombreux adultes, la signification d’une minute de silence n’a rien d’une évidence, que peut-elle signifier pour de jeunes élèves qui vont potentiellement la vivre comme une obligation règlementaire de plus, une exigence de conformité dont le non-respect débouchera sur une sanction ?

Est-ce vraiment rendre hommage à D. Bernard et à S. Paty que contraindre des élèves à simuler une émotion qu’après tout, ils ne sont pas censés ressentir, une émotion réduite à une posture ? Dans cet hommage obligatoire qui n’est pas un hommage, dans cette émotion imposée qui n’est pas une émotion, dans cette opération de surveillance collective, se retrouvent quelques-uns des principes propres aux idéologies totalitaires et dont on peut à juste titre s’effrayer de retrouver la marque dans un établissement scolaire...en France, en 2023. À défaut d’un ressenti authentique, on ne récoltera pour  nombre d'élèves qu'une apparence de conformisme ou de soumission mais pour d'autres, un mélange d’humiliation, de frustration, de colère rentrée, autant de sentiments, dans l'un comme dans l'autre cas, dont on peine à voir la valeur éducative, morale ou civique. Il vrai qu’avec le SNU comme aboutissement d’une éducation prétendument morale et civique, avec ces élèves en uniforme au garde-à-vous devant le drapeau,  le service public d’éducation s’enferre dans une voie sans issue.

 

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