« … on en arriverait presque à rêver d’un vrai service public d’éducation sans ministre de l’Éducation nationale. » La conclusion de ma dernière note de blog n’était pas une simple boutade. Le 5 décembre, Attal annonce une transformation brutale du système éducatif (redoublements, examen d’entrée en lycée, sélection précoce des élèves, manuels officiels etc), élaborée sans aucune concertation, dans le secret le plus total, mesures en contradiction avec les enseignements de l’enquête PISA parue le même jour. Mesures saluées par la droite et par l’extrême-droite (en 2017, déjà, Blanquer recevait le satisfecit remarqué de Le Pen), modérément critiquées à gauche et par une partie des syndicats d’enseignants. Comme d'habitude, l'hostilité de la mouvance pédagogique n'intéresse pas les médias.
En France, un politicien, dont les compétences et la légitimité en matière éducative sont nulles, peut donc, de sa seule autorité, sans aucun argumentaire sérieux, en balayant d’un revers de la main toutes les recherches conduites en France et à l’étranger sur l’école, tirer un trait sur une évolution historique majeure tendant vers une démocratisation (du moins comme objectif à atteindre) de l’école. Mais alors qu’en France plus qu’ailleurs les résultats scolaires sont étroitement corrélés au milieu social, la logique des mesures annoncées fait replonger l’école loin en arrière, à une époque où les enfants des milieux modestes se voyaient cantonnés dans le rabâchage des rudiments (abusivement qualifiés de « fondamentaux »), privés d’une ouverture culturelle sans laquelle l’école n’a pas de sens, avant une orientation précoce vers la voie professionnelle.
Si les annonces du 5 décembre se concrétisent, il s’agit là d’un véritable coup d’état éducatif, quelque chose qui, en fin de compte, passé le temps de la surprise, a manifestement à voir avec les gènes d’un système éducatif qui a gardé de ses origines napoléoniennes des habitudes de despotisme qui conduisent à privilégier l’injonction sur le dialogue, à considérer la contestation comme une faute professionnelle et la diversité comme une menace (au point de rendre l’école obligatoire…). Une école qui est l’antithèse de l’émancipation dans sa finalité et de la démocratie dans son fonctionnement : c’est la marque d’un système brutal et quasi totalitaire, dont il existe sans doute peu d’exemples dans le monde (en Europe en tout cas, Russie exceptée), où un ministre peut décider seul du quotidien de 13 millions d’élèves, des pratiques de 900 000 enseignants et de l’avenir d’une société.
Des sondages dithyrambiques peuvent bien conforter le ministre dans son sentiment de toute puissance. Il faut les prendre pour ce qu’ils sont : d’une part, traduction amplifiée par les biais inhérents à ce genre d’enquêtes et par une presse massivement complaisante, d’un populisme éducatif privilégiant les lieux communs et les souvenirs personnels le plus souvent fantasmés (quelle légitimité des sondés sur des questions comme les modalités d’attribution du DNB, les groupes de niveau, l’apprentissage de la lecture, la méthode de Singapour ?). Mais aussi, d’autre part, aboutissement d’une logique centralisatrice et autoritaire poussée jusqu’à l’absurde par un conditionnement, un harcèlement permanent des personnels qui met une administration et tout le service public d’éducation au service de la volonté, des caprices et/ou des ambitions personnelles du ministre. Tombée dans le champ des prérogatives régaliennes d’un chef de l’état hors de tout contrôle, l’Éducation nationale est à l’image d’une république plus absolutiste que démocratique. Reste à savoir si c’est avec l’assentiment de ses personnels et de ses usagers…
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