Les futurs enseignants recrutés sur leur obéissance, sur leur allégeance à un régime politique, sur leur soumission à une administration qui en fait un critère de choix éminent ? Avec les valeurs de la république, avec la laïcité, les concours de recrutement - qui forcent à choisir entre une éducation à la démocratie et la subordination à une morale d’état - piègent les candidats dans un dilemme qui disqualifie les organisateurs. La république à l’école, il est urgent d’en sortir.
Je fais remonter cette note du 22/10/2021.
« Si quelqu'un a un problème avec les valeurs de la République, ça peut être possible sur le plan démocratique, en tant que citoyen français, par contre ce n'est pas possible en tant que fonctionnaire de la République (…) Et si vous ne les transmettez pas et si même vous militez contre les valeurs de la République, éventuellement sortez de ce métier (…) » Priver les enseignants des droits habituellement rattachés à la citoyenneté : une formule choc exprimant la conception très particulière que Blanquer se fait, non seulement de sa fonction mais aussi des « valeurs de la république », référence obsessionnelle de tous ses discours. Si l’abus de pouvoir et la brutalité du ministre ont été à juste titre relevés et dénoncés, la formule - pourtant usée jusqu’à la corde - de « valeurs de la république » reste curieusement peu interrogée, comme s’il était convenu une fois pour toutes, que l’école publique ne puisse s’afficher que comme « l’école de la république », un régime sacralisé autour duquel s’organiserait sans contestation possible, l’éducation civique et politique de toute une population.
« La » république, mais quelle république ?
« La » république ? L’emploi imprudent de l’article défini occulte pourtant la diversité des significations possibles appliquées à une notion dont l’histoire n’est pourtant pas un long fleuve tranquille. Rien que pour se limiter à la France, il est pour le moins abusif et très anachronique de réduire à une définition unique la république de 1792, née de la réaction à un régime monarchique, celles de 1848, 1870, 1944, toutes issues d’une chronologie particulière avec leur spécificité propre ou encore la 5e République débarquée en 1958 dans les bagages des paras. Invoquer les valeurs d’une république sans référence au contexte qui l’a vue naître, une république sans historicité, n’apporte aux élèves aucune lumière, aucun élément de compréhension, sur un régime politique dont ils sont censés devenir les citoyens, les installant durablement dans l’image d’une république hors-sol, sans existence réelle, déconnectée du vivant. Une citoyenneté de papier, sans doute confortable, convoquée lorsqu’il s’agit de se donner bonne conscience, autour de principes déclinés comme un mantra, principes qu’on se gardera bien de confronter à la réalité, au quotidien des élèves et du monde dans lequel ils vivent. La confrontation serait alors trop cruelle.
Mais après tout, n’est-ce pas là l’objectif d’un objet d’enseignement qui consiste à donner aux élèves l’image d’un régime exemplaire, hors du commun et de ce fait, intouchable, exclu du champ de la critique ? Un régime politique lui-même abusivement rattaché, en dépit de sa brièveté, à l’histoire d’un pays qui, dela sorte, hériterait du même caractère d’exemplarité… toujours menacé par ses voisins ou d’invisibles ennemis intérieurs. Lorsqu’un ancien ministre de l’EN aujourd’hui passé à l’extrême-droite (Chevènement) insistait sur le rôle de l’école dans l’inculcation d’un « amour de la république » (sic), il était clair que cela ne pouvait se faire que par l’intermédiaire d’un culte obligatoire ne tolérant aucune déviance, aucune réserve, une forme d’endoctrinement protéiforme englobant des enseignements spécifiques (principalement l’EMC, l’histoire), allant jusqu’à imposer une période d’encasernement obligatoire à tous les élèves (le SNU), en passant par des règles de comportement estampillé comme « républicain », même quand ces exigences sont plus loufoques que civiques (la « tenue républicaine » rêvée par Blanquer…).En la matière, la confusion est la règle et l’amalgame facile : l’identification abusive entre citoyenneté et nationalité, entre des règles de vie collective et la croyance quasi religieuse en une collectivité imaginaire ouvre la porte à toutes les méfiances et toutes les discriminations. La république étant assimilée à la nation, seuls les Français de souche feront figure de bons républicains ; les autres auront des preuves à fournir. On ne se lassera pas de les leur demander ; à l’école tout spécialement.
Et quels ennemis ?
De fait, dans un système éducatif qui reste fondé sur l’autorité et l’obéissance, la république n’a pas d’existence en dehors d’un discours officiel balisé par des circulaires se répétant inlassablement du sommet de la hiérarchie jusqu’aux établissements, dans une mécanique qui, si elle tourne à vide quant aux principes affichés, n’en fait pas moins sens. Car la dernière déclaration (de guerre) de Blanquer ne se donne même plus la peine de dissimuler qu’à l’école, l’assourdissante rhétorique républicaine vise d’abord à désigner des ennemis, à les stigmatiser, à les éliminer. C’était déjà le sens de la loi censée « conforter les valeurs de la république » qui a fait l’objet, l’hiver dernier, d’un honteux débat parlementaire dans lequel l’école s’est une nouvelle fois trouvée en position d’accusé.
Une situation qui était en germe – on aurait tort de l’oublier – dans la dérive identitaire et sécuritaire qui a ciblé l’école depuis les attentats de 2015, notamment à travers la « grande mobilisation pour les valeurs de la république » lancée en janvier 2015 par Najat Vallaud Belkacem qui fixait alors la marche à suivre : « les comportements mettant en cause les valeurs de la république [seront] traités, systématiquement signalés au chef d’établissement avec, le cas échéant, une sanction disciplinaire. » Liberté, égalité, fraternité ? A mille lieux de sa devise officielle, la république à l’école met en avant l’obéissance, la conformité à une identité nationale jamais définie mais allant de pair avec une uniformité rêvée comme communauté, avec le rejet des différences, pourtant constitutives de la démocratie.
Dans ces conditions, la question de savoir qui a « des problèmes avec la république », pour reprendre la formule de Blanquer, n’a guère de sens, pas davantage que la dénonciation de l’« islamo-gauchisme », du « séparatisme », du « communautarisme », autant de formules adressées à l’électorat, comme le confirme la création par ce même ministre d’un groupe de réflexion dévoué à sa personne et à sa vision rabougrie de la république. L’ennemi, depuis plusieurs années, depuis que le foulard porté par quelques jeunes filles a commencé à affoler la république, c’est d’abord le musulman, objet de toutes les phobies chez ceux qui n’ont jamais accepté la visibilité nouvelle de l’Islam dans la société française. Puis, par extension, l’Arabe, le Maghrébin, l’Africain et aujourd’hui le migrant, tous peu ou prou figurant une insaisissable menace à laquelle seule l’allégeance à la république pourra mettre fin. En quelque sorte, une résurgence d’une république ouvertement raciste et colonialiste. Mais aussi une résurgence qui, à l’école croise la route d’une autre exigence – le renforcement de l’identité nationale – celle-là touchant l’ensemble des élèves et des enseignants. Ce que l’inquiétante diatribe de Blanquer met en évidence c’est un projet de mise au pas idéologique, d’endoctrinement à forte composante identitaire, un projet que l’impensable poussée de l’extrême-droite dans l’opinion publique n’oblige même plus à dissimuler, les deux s’entretenant mutuellement.
Education politique à dominante patriotique, période militaire, surveillance et contrôle à tous les étages, élimination des déviances : la voie dans laquelle s’engage l’Education nationale coupe les ponts avec les impératifs d’un système éducatif démocratique qui s’appuie par définition sur des principes indiscutables – débat, libre critique, respect des différences et des croyances – principes qui ne sont manifestement pas ceux de l’école dite de la république. Et même si l’école en question n’a jamais été par le passé un modèle de respect des personnes, les leçons de morale l’emportant largement sur la pratique de la morale, ses travers systémiques lui font prendre aujourd’hui un chemin dont on ne connaît d’équivalent dans aucun pays démocratique : mise en œuvre par un personnel pléthorique dont on attend avant tout obéissance – inspecteurs, formateurs, référents, enseignants etc – c’est une forme d’éducation politique de nature totalitaire qui attend l’ensemble de la jeunesse prise désormais dans les filets d’une scolarisation obligatoire dès l’âge de trois ans.
Au moment où Blanquer énonçait sa vision de la république, la sous-ministre chargée du SNU donnait sa définition tout autant personnelle de la laïcité : « La laïcité doit se vivre! Lorsque les jeunes sont 15 jours dans un séjour de cohésion, portent la même tenue, chantent la Marseillaise, partagent des repas, des ateliers et des débats sur ce thème, ils font de ce concept un vécu. C’est l’un des objectifs du Service National Universel ». République, laïcité : quand les mots n’ont plus de sens.
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