samedi 18 novembre 2023

Laïcité à la niçoise (à la française) : la nausée

 

Tir groupé des médias, locaux comme nationaux, effroi dans les salles de rédaction, fureur des politiques. Bombardements sur Kherson ? Sur les hôpitaux de Gaza ? Nullement : à Nice, des élèves de CE2 « surpris en pleine prière » pendant la récré, « les signalements se multiplient », peut-on lire dans 20 minutes. Et les politiques et les médias de s’emballer dans une sainte fureur au côté de l’Éducation nationale. Estrosi, toujours à l’affut lorsque la république est menacée (sauf un soir de 14 Juillet sur la Promenade des Anglais), dénonce les « graves atteintes à la laïcité », affirmant, dans un communiqué commun avec la rectrice d’académie : « notre République laïque que nous défendons et en laquelle nous croyons est notre socle collectif… », avant de conclure par un vibrant « nous ne laisserons rien passer ». En juin déjà, l’alerte avait été chaude, déclenchée, cette fois-ci, par des élèves de CM1-CM2 - « des faits extrêmement graves » (Estrosi) - immédiatement remontés au ministre (Pap Ndiaye) qui les avait jugés « intolérables », mobilisant dans l’urgence une brigade « valeurs de la république » (ça existe…), répondant ainsi aux sollicitations pressantes de Ciotti qui de son côté appelait l’État à « intervenir de toute urgence ». Les parents de la Peep 06 jugeaient de leur côté « le sujet particulièrement grave », « inadmissible » pour le groupe écolo de la mairie de Nice. La préfecture était mise en état d’alerte, un peu comme pour les incendies de forêt…

Comment faire d’enfants de 8 à 10 ans la cible d’une rhétorique guerrière ? Comment faire d’enfants en prière des délinquants voire des terroristes en puissance ? Mobilisant toutes affaires cessantes les collectivités locales, l’Éducation nationale, très régulièrement la Justice, l’Intérieur, jusqu’au sommet de leurs hiérarchies ? C’est effectivement l’un des miracles de la laïcité « à la française », version contrefaite d’un principe – la laïcité – historiquement porteur de tolérance et de liberté, devenue au fil des ans un outil de de surveillance policière pesant sur toute la société, singulièrement sa partie la plus jeune, objet d’une suspicion permanente exercée avec brutalité par l’autorité de tutelle qui semble ici avoir perdu tout sens de la mesure. Car quelle que soit la nature des « faits » reprochés aux écoliers – comme si rien de plus grave que des prières ne se déroulait jamais au sein d’un établissement scolaire – on ne pourra jamais accepter qu’un service public censément voué à l’éducation puisse s’aveugler au point d’oublier qu’il a en face de lui des enfants qui, dans tous les cas, doivent être considérés avec le respect, l’attention, la retenue, que requiert leur âge : dans le cas présent entre 8 et 10 ans…

À Nice comme partout ailleurs, l’Éducation nationale paye le prix d’une organisation hiérarchisée et autoritaire, qui infantilise et déresponsabilise les personnels au point de les rendre … irresponsables. Car ce sont bien eux, à la base, qui prennent l’initiative d’un « signalement » qui remonte jusqu’au sommet de la pyramide. Aujourd’hui, un enseignant n’a pas à apprécier par lui-même la nature d’un comportement enfantin : on ne lui demande plus que de « signaler » à sa hiérarchie des « faits » des « atteintes à », dans une logique de méfiance, de délation, qui réduit à rien, ou pas grand-chose, le lien de confiance sans lequel aucune éducation n’est possible. À moins de confondre éducation et obéissance.

Mais l’Éducation nationale est également prise au piège d’une surenchère punitive qu’elle a malencontreusement lancée (Creil, 1989) et qu’elle entretient avec une constance et une hargne qui ne connaissent plus de limites. Après une rentrée scolaire placée sous le signe de l’abaya et la stigmatisation publique de quelques jeunes filles en robe longue, les écoliers niçois font à leur tour figure de victimes expiatoires dans une croisade obscurantiste à forte connotation identitaire (et dont la dimension raciste, dans la ville des Ciotti-Estrosi, n’est pas absente…) menée au nom de prétendues « valeurs de la république » prescrites à l’école comme un culte obligatoire, une marque de sujétion à un ordre politique et social jamais défini et qu’on s’interdit de remettre en question.

Une institution scolaire qui se vante de l’héritage des Lumières mais qui s’enferre dans une posture irrationnelle de forteresse assiégée : des points dans les sondages d’opinion pour le ministre qui en la charge mais une impasse pour l’éducation. Peut-être faudrait-il que les éducateurs se fassent davantage entendre. Avant qu'il ne soit trop tard.

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