Une surprise, le meurtre d’un enseignant à Arras ? Pas vraiment. Un meurtrier, certes. Un contexte, certes (Gaza) mais c’est passer à côté du sujet que de ne pas poser la question : pourquoi l’école est-elle devenue la cible du fanatisme ? Et cette question, on se gardera bien de la poser. Comme celles qui suivent.
Était-il indispensable que la rentrée des classes se fasse sous le signe de la robe portée par quelques jeunes filles ? Imagine-t-on la violence symbolique ressentie par les intéressées clouées au pilori d’une communication officielle irresponsable brutalement relayée par des médias qui le sont tout autant ?
Pourquoi, depuis 1989 (« affaire du voile » à Creil), l’école publique s’est-elle lancée dans un harcèlement irrationnel ciblant les élèves de confession musulmane ? Car c’est bien d’eux/d’elles qu’il s’agit.
Pourquoi, depuis 2015, l’école a-t-elle été rendue responsable du terrorisme ? Pourquoi avoir laissé se développer cette rhétorique haineuse et insensée d’une population « d’origine immigrée » en défaut de francité ? Et pourquoi l’Education nationale s’est-elle engouffrée dans une réponse moralisatrice à forte connotation identitaire (symboles nationaux, SNU etc) directement inspirée des fantasmes de l’extrême-droite ?
Pourquoi la laïcité, principe de tolérance et de liberté est-elle devenue un outil de guerre visant spécifiquement une religion ? Choquer les élèves dans leurs convictions profondes est-il le meilleur moyen de leur faire comprendre ce qu’est réellement la laïcité, ce qu’elle devrait être ?
Pourquoi autant d’élèves, le plus souvent à la peau sombre se considèrent-ils comme étrangers dans une institution qui ne les accueille qu’avec suspicion ?
Comment l’école a-t-elle pu se faire piéger dans une posture de forteresse assiégée alors qu’elle a (qu'elle devrait avoir...) pour mission, précisément, de s’ouvrir au monde ? (Ces dérisoires barrières Vigipirate devant l’entrée des écoles, tout un symbole...)
Comment, en France, la peur de l’autre a-t-elle pu s’institutionnaliser en un racisme officiel touchant tous les aspects de la vie publique (voir par exemple, la loi ignominieuse censée « conforter les principes de la république ») ?
L’assassinat d’un enseignant à Arras ne vient pas de nulle part. Depuis trop d’années maintenant, l’école est prise en otage dans un psychodrame qui aurait dû lui rester extérieur, une polémique artificielle obstinément entretenue par des politiques qui y voient le moyen le plus sûr d’assurer leur cote de popularité dans un pays taraudé par ses mauvais démons, étayés par des médias à la recherche d’un lectorat facile. Émus par le meurtre d’un enseignant à Arras ? Pas le moins du monde. Ils l’attendaient avec impatience, d’une certaine façon, ils l’ont préparé, ils ont travaillé à entretenir un climat de peur irrationnel, stigmatisant tout un pan de la société civile, un climat d’où naissent les passages à l’acte meurtriers.
Depuis la mort de Samuel Paty, les charognards s’en donnent
à cœur joie et avec le meurtre d’Arras, on n’a pas fini de les entendre. Sous les ors des palais officiels, sur les plateaux télé, derrière les micros, sur les réseaux sociaux qui n'ont pas tardé à vomir leur haine, au Café du commerce.
Mais c’est l’école qui va en payer le prix, qu’on pressent lourd.
Mise à jour ( 14/10/2023)
24 heures plus tard, l’effroi, peut-être, la sidération, sans doute mais guère plus dans les réactions des syndicats d’enseignants que les habituelles déplorations et l’appel à l’aide adressé à un ministre dont la responsabilité dans le drame d’Arras est fortement engagée. Car jouer sa carrière personnelle contre l’école n’est quand même pas anodin. Guère plus que les tirades convenues (le SNES mais pas seulement) sur l’école qui « incarne les valeurs de la république » (on attend toujours de savoir lesquelles), qui « représente l’émancipation » (par le SNU ?). Aucune remise en cause du rôle joué par une Education décidément trop nationale dans la stigmatisation permanente de toute une partie de la société française d’aujourd’hui, stigmatisation dont naissent les frustrations, les colères souvent rentrées et parfois les violences. Aucune remise en cause de ces enseignants de Creil bien mal inspirés qui, en 1989, faisaient se déchaîner une campagne d’opinion contre trois collégiennes portant un foulard. Une campagne – dont il faut s’aveugler pour ne pas voir la dimension raciste – qui se poursuit dans les mêmes termes, véhicule les mêmes poncifs, années après années, dans une surenchère dont on ne voit pas la fin mais dont on connaît déjà les conséquences : comme après le meurtre de Samuel Paty, comme après les attentats de 2015, la réponse de l’institution sera sécuritaire (punitive) et identitaire (obscurantiste).
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