lundi 4 juillet 2022

SNU : surveiller et soumettre

Sarah El Haïry reconduite à un secrétariat d’Etat spécialement consacré « à la jeunesse et au SNU », c’est la perspective, en dépit de l’échec flagrant d’un dispositif qui tourne à la pantalonnade, d’une généralisation de l’encasernement des jeunes. La perspective également d’un budget de 3,5 milliards € soutirés à l’Education nationale. Se pose aujourd’hui la question de savoir si l’absence de réaction forte des milieux éducatifs et enseignants relève de l’indifférence, de l’inconscience ou de la complaisance. Car depuis 4 ans que les grandes lignes du SNU ont été adoptées, le silence assourdissant de la mouvance éducative (avec quelques exceptions auxquelles je présente mes excuses pour cette généralisation...) fait quand même problème. 

Cette note de blog en date du 20/09/2018 se voulait déjà comme une note de synthèse....


Dans quelques mois, à partir de 2019, tous les jeunes âgés de 15-16 à 18 ans, seront soumis à une période d’internement obligatoire, traduction concrète de la volonté présidentielle d’instaurer un service national universel. Après de multiples tergiversations et plusieurs rapports enterrés, il apparaît que cette trouvaille surréaliste a surtout pour fonction de montrer à un pays qui n’a toujours pas digéré la suppression du service militaire, que, dorénavant, par la simple magie d’une appellation contrôlée et d’un enfermement obligatoire, une jeunesse déboussolée allait miraculeusement retrouver les repères qui lui font tant défaut et les valeurs de ses aînés. Des repères et des valeurs qu’on tiendra soigneusement à l’écart de toute critique.


L’intégration par l’internement 


En dépit d’une consultation de façade, les grandes lignes du dispositif sont arrêtées mais pas les détails et l’on sait que le diable est dans les détails. Le SNU se décompose en deux parties : la première, obligatoire, concernant la classe d’âge des 16-18 ans (voir plus loin l’incertitude autour des âges), consiste en un internement obligatoire d’une durée d’un mois (fractionnée en deux fois quinze jours, d’abord « séjour d’intégration en hébergement collectif », suivie d’une « période d’engagement civil ou militaire »), en dehors des périodes scolaires ; la seconde, facultative, d’une durée de trois mois minimum, au cours de laquelle les jeunes intéressés pourront effectuer un volontariat civil ou militaire.

La mégalomanie du projet, la précipitation de sa mise en œuvre ne semblent pas arrêter ses promoteurs. Notamment sur les modalités d’hébergement : les internats des lycées, réquisitionnés sur temps de vacances, avec leurs 230 000 places disponibles, sont censés pouvoir accueillir les 800 000 jeunes d’une classe d’âge. A défaut de s’entasser dans les chambres, on pourra toujours monter des tentes sur les pelouses (lorsqu’elles existent). L’intendance du lycée appréciera… Un mois mais pour quoi faire ? De fait, une fois le principe d’internement imposé d’autorité, sans discussion possible, la question du contenu de cette période reste ouverte et même problématique. On ressortira bien sûr, les grands classiques : détection de l’illettrisme (après 15 ans de scolarité, il est effectivement temps d’y penser), bilan de santé (il faut bien compenser la quasi disparition de la médecine scolaire), initiation aux gestes de premier secours (déjà au programme du collège) et bien sûr, une « sensibilisation aux enjeux de la défense », sans laquelle un service national digne de ce nom ne saurait exister. Pour le reste du temps collectif, donnons la parole au Premier ministre qui, dans le cadre de la première « concertation territoriale » a donné toute la mesure de son imagination : dans l’optique de « travailler sur le savoir-être et le savoir-faire » (sic), outre le « repérage des acquis linguistiques (…) et les rendez-vous de santé appropriés (…)» seraient programmés « des modules de sensibilisation au don du sang, à la lutte contre les violences sexistes ou sexuelles (…), des leçons de permis de conduire (…), une sensibilisation aux risques domestiques (…), des rencontres sportives ou culturelles », ou encore « la rénovation de maisons de jeunes, (…) imaginer un cycle d’activités à destination des enfants autistes [les professionnels apprécieront] » ou encore initier les personnes âgées au numérique. « Toutes les idées seront bienvenues », explique doctement le Premier ministre, même les plus loufoques, afin de finaliser un dispositif dont, sauf erreur, il n’existe aucun équivalent au monde : enfermer toute une classe d’âge pendant plusieurs semaines, dans le cadre d’un « service » qui n’en est même pas un mais obligatoire, pour un coût non négligeable estimé à 2 ou 3 milliards d’euros par an (voire davantage : le rapport Ménaouine évoque « quelques milliards » sans plus de précisions…) Significative, quoique peu relevée dans les milieux autorisés, l’annonce par Blanquer de la suppression de 1800 postes à l’EN alors que c’est à ce même ministère que sont confiés l’organisation et le financement du SNU. Avec le SNU, l’armée qui bénéficie déjà d’un financement hors pair (un budget de près de 300 milliards d’euros prévu par la loi de programmation militaire), scandaleux au regard des besoins réels du pays non satisfaits faute de moyens, réussit à faire prendre en charge par les budgets civils, singulièrement celui de l’éducation, le ruineux financement d’un caprice présidentiel, d'une obsession qui, pour être largement répandue, n'en reste pas moins irrationnelle.


L’imposture du « brassage social »


Pour tenter de justifier cette bouffonnerie, l’argument massue du « brassage social », de la « mixité sociale », du « vivre ensemble », est mis à contribution. Ainsi, quelques semaines d’enfermement obligatoire auraient la miraculeuse propriété de faire acquérir à leurs bénéficiaires les vertus sociales et civiques qu’une quinzaine d’années de scolarité n’auraient pas pu leur faire acquérir. Quinze ans de fréquentation scolaire, d’apprentissage de la vie en société, avec ses règles, ses obligations que les élèves respectent sans doute davantage que les adultes les leurs. Pire même quand le principe de service obligatoire tourne à l’idée fixe d’une société qui tolère tous les dérèglements, toutes les malversations d’une classe politique prompte à exiger des jeunes le respect des règles alors qu’elle s’en dispense en toute bonne conscience dans sa pratique du pouvoir. D’une certaine façon, la coïncidence entre la finalisation d’un SNU à visée moralisatrice par un chef d’état omnipotent, englué dans une histoire de barbouzes, qui s’essuie les pieds sur le droit en toute impunité, confirme la duperie de la chose : le civisme, c’est juste bon pour faire la morale aux jeunes. Dans le cadre des travaux de la commission de la Défense à l’Assemblée nationale, un parlementaire a cru bon de justifier la création du SNU par la nécessité de développer chez les jeunes une liste impressionnante de qualités - « cohésion, courage, bienveillance, liberté, respect, devoir de mémoire, exemplarité, humilité, probité, dévouement, solidarité, responsabilité, sens du devoir, résilience, goût de l’effort » - autant de qualités dont les parlementaires n’ont pas à faire la preuve pour ce qui les concerne…

L’exigence de « brassage social » relève de la même imposture. Un pays gangrené par ses inégalités, par l’exclusion, par la pauvreté de millions de gens, se muerait miraculeusement en modèle social par le seul enfermement d’une classe d’âge plusieurs semaines durant ? Vieux fantasme de la « fraternité » des casernes quand en réalité c’étaient d’abord les petites gens qui mouraient à la guerre. Au demeurant, arrivés à 16 ans, les jeunes ont pour beaucoup d’entre eux, déjà pris la mesure de ce mensonge dans un système éducatif qui entretient les discriminations, l’exclusion, sélectionne sur une base sociale, faisant réussir les élèves issus des milieux aisés et échouer les autres. Brassage social ? Pourquoi les élèves devraient-ils prendre au sérieux cette promesse alors que leur sortie du collège s’est faite selon un schéma bien connu : ceux qui ont les moyens de s’orienter comme ils l’entendent et ceux qui sont « orientés », c’est-à-dire le plus souvent relégués ? Brassage social ? Mais, comme le rappelait encore récemment Philippe Meirieu, « un élève de REP, très en difficulté sociale, coûte à peine plus de 6 000 euros par an, quand un élève aux classes préparatoires aux grandes écoles, plutôt, en général, favorisé socialement, coûte 14 000 euros à la nation ». La référence au brassage social, appliquée à un petit mois dans la vie d’un individu, c’est surtout, finalement, la fiction qu’entretient sur elle-même une société peu préoccupée de justice sociale. 


Un service national qui sent la caserne


Pour le reste, l’officialisation du SNU ne vient pas de nulle part ni à n’importe quel moment mais intervient dans un contexte marqué par des considérations militaires et identitaires auxquelles l’école, et donc, les jeunes payent déjà un lourd tribut. En dépit des affirmations du Premier ministre pour qui le SNU n’aurait pas pour objet de « recréer le service militaire », l’élément militaire y reste prégnant. Sorti tout droit d’une commission dont les membres ont été nommés (sur quels critères ?) de façon arbitraire par le chef de l’état, dirigée par un général (le général Ménaouine), le projet répond à des impératifs militaires indéniables. Il trouve son origine immédiate dans la volonté de Macron, exprimée par son porte-parole pendant la campagne présidentielle : « inculquer la discipline, l’autorité, les priorités stratégiques de la France. » Toujours selon Philippe, la période obligatoire, en uniforme, avec encadrement fortement militarisé, sera largement occupée par un « enseignement aux enjeux de la défense », alors que la seconde, basée sur le volontariat, favorisera l’approche des métiers de la défense. Une orientation confirmée par la ministre des armées, F. Parly, pour qui « les armées sont déterminées à prendre toute leur place [dans le SNU]. »

La période obligatoire apparaît en fait comme une concession à la nostalgie de la conscription, très forte dans ce pays, qui s’est manifestée ces dernières années notamment à travers les multiples propositions de loi d’origine parlementaire visant à la rétablir. C’était d’ailleurs le sens de la première mouture du projet Macron (un service fortement militarisé de 3 à 6 mois), avant que des considérations budgétaires plus que pacifistes ne conduisent à en réduire l’ambition. De fait, l’internement universel d’un mois n’est pas sans évoquer l’encasernement, symbole d’une institution tournée bien davantage vers la soumission des individus que vers le maintien de la paix ou la protection des individus. En dépit des fantasmes qui l’entourent toujours aujourd’hui (notamment autour de son origine prétendument révolutionnaire ou républicaine), il faut rappeler que la conscription avait exclusivement pour but d’apprendre aux civils à faire la guerre, c’est-à-dire d’apprendre à tuer ou à se faire tuer sur ordre et que seule une discipline abrutissante était en mesure de plier les hommes à cette nécessité. On se demande toujours comment les promoteurs du SNU peuvent invoquer à son propos les vertus de l’ « engagement » alors que précisément l’obligation exclut tout choix personnel. Ici, c’est bien « l’inculcation de la discipline » voulue par Macron qui est privilégiée. Symptomatique, d’ailleurs, de cette préoccupation, l’abaissement de l’âge retenu pour cette période, visant des élèves de plus en plus jeunes : alors que, dans un premier temps, le créneau retenu tournait autour des 18-25 ans, puis des 16-18 ans, Philippe évoque désormais les « 15-18 ans, le plus souvent 16 ans. » Dès la fin du collège ? Pour le rapport Ménaouine, « l'appel doit être opéré à partir de 15 ans. Idéalement, il devrait être satisfait à ces obligations durant l'année suivant celle de la classe de 3ème »

Un choix assez inquiétant, véritablement vicieux, qu’on peut expliquer par la docilité attendue d’une classe d’âge sans doute moins organisée, moins politisée, en un mot moins prompte à contester ou à descendre dans la rue que ses aînés. La minorité légale des jeunes en question, la responsabilité juridique des parents, la Convention internationale des droits de l’enfant qui interdit la militarisation des enfants : autant de considérations peu susceptibles d’arrêter un gouvernement qui n’hésite jamais à adapter les lois à ses désirs, mêmes les plus fous.


Mais au service de qui, au juste ?


A vrai dire, la connotation militaire du SNU, l’existence même d’un dispositif aussi étroitement intégré dans le cursus des élèves (c’est l’EN qui paye…) n’est pas un accident de parcours dans la formation scolaires des jeunes. Il en est même, le plus officiellement du monde, l’achèvement, l’aboutissement d’un « parcours citoyen » qui se prolonge tout au long de la scolarité. Mis en œuvre dans le cadre des programmes d’EMC (éducation morale et civique) mais pas uniquement, ce parcours fait l’objet depuis quelques années d’une sérieuse dérive identitaire et militaire : enseignement de l’histoire inspiré – surtout à l’école primaire - du roman national, parsemé de commémorations patriotiques (et donc militaires) obligatoires, culte des symboles nationaux. Tout est mis en œuvre pour faire naître chez de jeunes enfants un sentiment d’appartenance à une collectivité étroitement nationale, qui s’invente des frontières et donc des ennemis. Dans le secondaire, en collège tout spécialement, l’éducation à la défense impose sans discussion possible ses propres conceptions sur des questions aussi fondamentales que la guerre et la paix, la bombe atomique, la violence comme moyen de résolution des conflits, les relations internationales, le commerce des armes, la sécurité etc. Objectif explicite de cet enseignement qui gangrène littéralement l’EMC : « faire comprendre aux élèves que l’armée sert la nation. » Le SNU vient à point nommé convaincre ceux qui n’auraient pas tout compris, en parachevant par une lourde contrainte personnelle un conditionnement déjà préparé par l’école.

En réalité, malgré les dénégations de ses instigateurs, le SNU reste dans son principe un service militaire : encasernement obligatoire, uniforme, encadrement militaire, coercition, c’est bien un contrôle renforcé des jeunes (de plus en plus jeunes, avec un recensement envisagé dès l’âge de 15 ans) que vise la mise en place du dispositif. Comme dans toute institution militaire, il s’appuie pour arriver à ses fins sur un redoutable système de punition. Si ses responsables se montrent particulièrement discrets sur ce point, le rapport Ménaouine n’en fait pas mystère : les réfractaires, ceux qui refuseront de se soumettre à l’internement se verront condamnés à une sorte de mort civile, interdits d’inscription au bac, aux examens, au permis de conduire. Occasion de rappeler que, jusqu’à un passé récent, c’est toujours par la force, par la contrainte, que l’armée s’est imposée aux civils (lourdes peines de prison contre les insoumis, peine de mort en période de guerre, statut discriminatoire pour les objecteurs de conscience etc). Le discours officiel sur l’engagement, sur la fraternité vole ici en éclat pour laisser la place à un contrôle renforcé des jeunes, soumis à un rituel contraignant et infantilisant. Finalité ultime du SNU ? En réalité, l’acceptation d’un ordre politique et social qu’on interdit de remettre en cause, tenu à l’écart de toute critique.





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