dimanche 3 juillet 2022

Ecole obligatoire : une société brutalisée



Avec la préparation de la rentrée 2022, on entre dans le dur de la loi sur l’école obligatoire : mise en œuvre par une administration brutale, tétanisée par la peur de déplaire à la hiérarchie, plus soucieuse d’obéir aux ordres que de faire preuve d’un minimum de sens critique, cette loi confirme toutes les craintes que son élaboration – dans un mélange d’irrationalité et de dogmatisme – avait fait naître. Une scolarisation obligatoire imposée de force à un moment où, comme on devrait pourtant s’en rendre compte, la forme scolaire de l’éducation montre toutes ses limites. Je fais remonter 2 notes de blog rédigées dans le contexte de la préparation de cette loi (octobre 2020 – février 2021).


Ecole obligatoire : une société brutalisée (12/02/2021)

 

Un débat confus, des ministres déroulant mécaniquement les mêmes réponses, recourant aux magouilles de couloir pour tenter de sauver leur projet de loi, des députés du parti majoritaire au garde-à-vous : dans une ambiance surréaliste, 78 députés (sur un total de 577 !) tirent un trait sur une liberté fondamentale – la liberté d’instruction – que des siècles d’histoire, quel que soit le régime politique, n’avaient jamais remise en question.

Aussi bien en commission qu’en séance plénière, le gouvernement et sa majorité, multipliant les contrevérités, ont été incapables d’avancer le moindre argument sérieux qui aurait permis de justifier une loi dont les conséquences sont potentiellement déstabilisatrices pour toute la société. Pire même que ce qui était attendu : alors que les préoccupations islamophobes, étayées par une rhétorique identitaire s’exprimaient au grand jour (ce n’est pas nouveau), insidieusement et bien imprudemment le débat se déplaçait sur un terrain mouvant, celui du droit de l’état contre le droit des familles. Partant d’une interprétation spécieuse et malhonnête de l’instruction en famille qui ferait des parents les propriétaires de leurs enfants, on en arrive ainsi à donner à l’état un droit de regard prioritaire sur tout ce qui touche à l’éducation des enfants. Non seulement avec la scolarisation obligatoire à 3 ans mais également avec une prétention de plus en plus insistante au fil des semaines, une ahurissante volonté de contrôle des « 1000 premiers jours »… Du berceau jusqu’au SNU à 16 ans, en passant par l’école obligatoire, toutes les premières années de la vie, une large partie de l’éducation se trouveraient placées sous le regard d’un état conforté dans sa volonté de surveillance par une loi brutale et punitive.

De fait, passée sous silence par les promoteurs de la loi, la coercition est bien le moteur de l’obligation scolaire : lorsqu’elle rentrera en application, la France sera le seul pays au monde où le refus de scolariser un enfant de 3 ans conduira les parents en prison. La brutalité érigée en valeur de la république… On peut toujours se gargariser de mots mais le droit de l’état, c’est d’abord le droit d’une administration qui n’est pas par principe plus légitime qu’un autre. Quand tous les textes internationaux reconnaissent que la responsabilité des enfants est confiée « par priorité » aux parents, cela ne signifie évidemment pas que les parents disposent de tous les droits sur les enfants ni que les enfants appartiennent aux parents mais plus simplement que les relations entre parents et enfants sont d’une autre nature que celles qui relient une administration aux administrés, un état aux citoyens. La formation des citoyens n’autorise pas à brutaliser la société. D’ailleurs, dans l’histoire, les états qui ont négligé cette évidence n’ont pas été les plus exemplaires…

Avec la suppression de la liberté d’instruction – une mesure parmi les 70 articles d’un texte aux relents totalitaires – la loi ouvre les portes de quelque chose de réellement nouveau, dont on ne perçoit peut-être pas toute la dimension, et qui fait peur. Une loi bâclée, voulue par un seul homme dans une déclaration sortie de nulle part (le 2 octobre), rédigée dans la précipitation, discutée selon une procédure d’urgence dont la crise sanitaire fait ressortir toute l’absurdité, adoptée par une minorité de députés godillots promue majorité par le miracle du mode de scrutin : la loi censée conforter les valeurs de la république donne une nouvelle fois l’image d’un régime politique ankylosé dans ses fantasmes, incapable d’accepter les différences.



L'Etat seul éducateur : l'irrésistible dérive totalitaire de l'Education nationale (09/12/2020)

 

9 décembre 2020, journée de la laïcité, journée noire pour les libertés publiques en France. Une de plus. Stigmatisation de toute une partie de population, brimades et provocations contre une religion, suppression de la liberté d’instruction etc : dans une accumulation de mesures liberticides, le gouvernement règle ses comptes et chasse sur les terres de l’extrême-droite. Le Pen en rêvait, Macron l’a fait.

Des mesures qui, derrière la dénonciation d’un Islam radical qu’on n’est jamais en mesure de définir, vise en réalité la population d’origine maghrébine et même plus généralement les migrants. On ne dit plus les bougnoules, les bicots, on dit les islamistes. C’est autorisé par le code pénal. Derrière une persécution de plus en plus systématique et brutale, officiellement présentée comme une réponse aux attentats terroristes, en réalité, en attisant les haines, les rancœurs, on entretient le terrorisme, on prépare les prochains attentats. Car il y en aura.

L’attaque contre la liberté d’instruction est un peu de la même veine. Depuis les attentats de 2015, dont la responsabilité – faut-il le rappeler – avait déjà était attribuée à l’école (où, selon Valls, « on a laissé passer trop de choses… »), une chape de plomb sécuritaire s’est refermée sur l’école, non seulement physique avec des établissements transformés en bunker (dont on a vu toute l’efficacité avec la mort de S. Paty…), des proviseurs en stages de formation commando, mais aussi et surtout idéologique : sous couvert de laïcité, surveillance renforcée et quasi policière d’un certain nombre d’élèves musulmans mais aussi, plus généralement, sous l’étendard des « valeurs de la république », un contrôle étouffant de l’enseignement et des mœurs scolaires (« toute atteinte aux valeurs de la république sera signalée... » Hollande, 02/2015). A travers une éducation morale et civique envahissante et soupçonneuse, l’apprentissage de la citoyenneté aboutit à une mise en conformité des élèves avec une morale d’état, dont le SNU est en quelque sorte le couronnement : un encasernement obligatoire à l’intérieur des écoles sous la surveillance commune de militaires et de personnels de l’Education nationale.

Bien sûr, dans cette perspective de surveillance généralisée, la liberté d’instruction faisait tache. Elle apparaît comme le dernier obstacle à l’extension sans fin d’une morale d’état qui sent son totalitarisme : l’état seul éducateur de la jeunesse ? Mais dans l’histoire, quel genre de régime a déjà exprimé cette prétention ? Pensez donc, des parents s’estimant tout autant légitimes qu’un Dasen pour éduquer leur enfant, d’autres ne voyant pas la nécessité de réveiller chaque matin à 7 heures (voire plus tôt) leur enfant de 3 ans pour le déposer à la grille de l’école (alors que dans la plupart des pays européens, l’école ne commence qu’à 5, 6 ou 7 ans, pour des résultats d’ailleurs bien meilleurs) : par un tour de passe-passe qui en dit long sur la malhonnêteté des gouvernants, ces parents se trouvent accusés de radicalisation, d’intégrisme et leurs enfants assimilés à des terroristes en devenir.

Autrement dit, les dizaines de milliers de parents qui, aujourd’hui, ont fait le choix d’une instruction non scolaire pour leurs enfants et qui – sauf à être démenti par autre chose que les mensonges à répétition des Blanquer, Darmanin et consorts – la mettent en œuvre avec bonheur, se trouvent ainsi, du fait même de leur choix, réduits au rang de délinquants. En passant du régime de déclaration à celui de l’autorisation, le gouvernement tire un trait sur une liberté fondamentale, garantie par des textes solennels qu’on croyait à visée universelle (1) mais qui s’arrêtent désormais aux frontières d’un pays qui se barricade derrière ses peurs et ses fantasmes.

Une loi « confortant les valeurs de la république », tournée – paraît-il – contre « les ennemis de la république ». Mais puisqu’il s’avère que cette république est un régime de brutes, s’en déclarer l’ennemi est tout à fait légitime.


(1) « Les parents ont par priorité, le droit de choisir le genre d’éducation à donner à leurs enfants » (Déclaration universelle des droits de l’homme, art. 26)



Mise à jour (10/12/2020)

La lecture du projet de loi (500 pages !) ne fait que renforcer les craintes exprimées ci-dessus : outre la liberté d’instruction, la liberté d’association, la liberté de conscience, soumises à l’arbitraire de l’administration, sont également gravement menacées.

De façon significative, la suppression de la liberté d’instruction se télescope avec la publication par l’EN d’hallucinantes propositions du CSP pour l’école maternelle, dénaturée en cours préparatoire et centrée sur l’apprentissage mécanique de rudiments mesuré par des évaluations dès la PS ! (En Finlande, pas d’’évaluations avant 13 ans…). S’essuyant les pieds sur la liberté pédagogique pourtant inscrite dans la loi, l’EN renforce encore son contrôle par des injonctions, des préconisations prétendument « scientifiques », en réalité inspirées par l’entourage de Blanquer, des copains à lui (Dehaene, Bentolila etc), bourrés de certitudes, dogmatiques plus que savants et qui, pour la plupart, n’ont jamais mis les pieds dans une salle de classe.

Dans ces propositions, on trouve également ceci : « A l’école maternelle, l’enfant apprend la langue française qui est la langue de la nation, creuset commun qui lui est ouvert dès l’âge de 3 ans. Cette langue, facteur de cohésion nationale et de rayonnement culturel, constitue le socle de son identité en France et dans le monde (…) La langue française est en effet au cœur du pacte républicain. »

Autrement dit, dès l’âge de 3 ans, l’éducation de l’enfant s’inscrit dans un cadre résolument identitaire, excluant toute autre forme de socialisation.

Une école de la surveillance, de mise en conformité avec des normes imposées sans discussion par une administration, une école qui ne reconnaît ni les individus ni la diversité ni la richesse de la vie en commun. Une école qui, à force de se rattacher à une république sacralisée, s’écarte encore un peu plus des principes de la démocratie. Si l’école de 2020 doit effectivement former les citoyens de demain, on a du souci à se faire.





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