vendredi 1 juillet 2022

DNB 2022 : l’éducation morale et civique en service commandé

Pathétique et sidérant. Pour la session 2022 du DNB, l’épreuve d’EMC infligée aux candidat.es de la série professionnelle est directement inspirée par les principes de l’éducation à la défense définis il y a tout juste 40 ans (11/07/1982) par les deux ministères de l’Education et de la Défense et depuis jamais remis en question, principes qui réduisent à néant la dimension morale et civique d’un enseignement qui n’en finit pas d’être la caricature de ce qu’il prétend être.




Illustrant « l’inauguration du monument aux morts pour la France en opérations extérieures » (11/11/2019), deux documents officiels (une photo provenant du ministère des Armées, un discours de Macron) viennent borner le travail des élèves. Et les bornes sont étroites…

Un tableau à remplir demande aux élèves de dire ce qu’évoquent pour eux … une gerbe de fleurs tricolores et un cercueil invisible !

Après cette mise en bouche sur le mode burlesque, les candidat.es doivent compléter (en réalité recopier) sur leur copie deux phrases… dont les réponses sont imposées par la question : « À l’aide des deux expressions suivantes – devoir de défense et devoir de mémoire – complétez sur votre copie les phrases suivantes : Lors d’actions de commémoration, on accomplit un… ; Lors d’engagements dans des millions avec l’armée française, on accomplit un… » Une forme de pédagogie probablement héritée du catéchisme napoléonien par questions/réponses.

Enfin, pour faire bonne mesure, on demande aux élèves de « rédiger un texte de quelques lignes qui explique l’importance de l’engagement des soldats en opérations extérieures », l’argumentaire étant à rechercher… dans le discours tenu par Macron qui, comme c’est l’habitude au cours des cérémonies dites commémoratives, s’autorise à parler à la place des morts : non, les 549 militaires français décédés depuis 1963 dans les OPEX ne sont pas morts pour rien, ils se sont « sacrifiés pour la paix ». Puisque le président le dit.

Je ne sais pas si les concepteurs de ce sujet ont conscience du caractère infantilisant, abêtissant, d’une épreuve imposée à des jeunes de 15 ans (à moins peut-être de considérer que des élèves de série professionnelle ne méritent pas tant d’égards) : 10 ans d’éducation dite civique et morale pour aboutir à un pensum qui consiste à recopier sans réfléchir ce qu’on vous dit de recopier. Je doute également que l’EMC soit un jour capable de sortir du corset de programmes officiels débarrassés du culte de la république, obnubilés par la formation toute platonique du futur citoyen. Mais ce dont je suis certain c’est que cette épreuve du DNB 2022 ne vient pas là par hasard, s’inscrivant dans la ligne d’une éducation à la défense sciemment conçue dès l’origine comme une entreprise de décervelage, l’école se voyant attribuer pour mission, en 1982 de « préparer les jeunes à l’armée », aujourd’hui, 40 ans plus tard, selon les termes du dernier protocole Défense-Education, de « faire comprendre aux élèves que les militaires servent la nation. » Même lorsque, comme c’est très souvent le cas avec les OPEX, il s’agit d’abord de soutenir des régimes corrompus, de protéger des intérêts principalement mercantiles ou de servir de vitrine aux industriels de l’armement. Autant de questions taboues à l’école … et donc chez le futur citoyen effectivement peu critique pour tout ce qui touche à la chose militaire.

Dans cette optique, le choix des OPEX comme question de DNB est parfaitement concordant avec la multiplication des « entrées défense » mise en œuvre par l’EN, notamment par l’intermédiaire des sujets d’examen, ces derniers faisant l’objet d’une attention toute particulière de la directrice générale de l’enseignement scolaire (en 2016), Florence Robine : si cette dernière déplorait de ne pouvoir « contrôler systématiquement l’acquisition des connaissances », c’est aussitôt pour ajouter « même si nous pouvons faire en sorte que des sujets liés à la défense soient régulièrement posés aux examens. »

Effectivement.

OPEX, bombe atomique, recours à la guerre, commerce des armes etc : difficile de voir quelque chose de moral et de civique dans une éducation qui interdit toute forme de critique sur des questions aussi fondamentales pour la vie des sociétés. 40 ans d’éducation à la défense dans les programmes de l’Education nationale. Et toujours la même indifférence chez les personnels.

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