mardi 7 juin 2022

Ecole obligatoire ou droit de l'enfant au respect ?

 En cette période de l’année, les parents qui font le choix d’instruire eux-mêmes leurs enfants se trouvent confrontés à l’arbitraire d’une administration confortée dans sa toute-puissance par une loi qui les prive d’une liberté fondamentale, instituant par la force le monopole de l’état dans l’éducation des enfants. Une situation qui n’en fait que mieux ressortir le décalage entre la réalité d’une politique éducative menée au cours du dernier quinquennat et le procès en « libéralisme…néo-libéralisme…privatisation etc » fait à Macron.

Sur les antécédents historiques d’une tentation totalitaire, cette note de blog initialement parue le 16/10/2020. 

  

En juillet 1793, Robespierre lit devant la Convention un « plan d’éducation nationale » élaboré peu de temps auparavant par son ami Le Peletier de Saint-Fargeau, assassiné six mois plus tôt. Ce projet de décret prévoit que, dès l’âge de cinq ans, tous les enfants, garçons et filles, seront enlevés à leurs parents pour être conduits dans des « maisons d’éducation nationale » où ils resteront enfermés jusqu’à l’âge de douze ans pour les garçons, onze ans pour les filles, âge auquel ils seront mis au travail. Alors, « tous, sous la sainte loi de l’égalité, recevront même vêtements, même nourriture, même instruction, mêmes soins ». En réalité, il ne s’agit pas d’établissements d’enseignement au sens où on l’entend aujourd’hui, la part de l’instruction étant singulièrement réduite comme le précise l’article 4 du projet de décret : « L’objet de l’éducation nationale sera de fortifier le corps des enfants, de le développer par des exercices de gymnastique, de les accoutumer au travail des mains, de les endurcir à toute espèce de fatigue, de les plier au joug d’une discipline salutaire, de former leur cœur et leur esprit par des instructions utiles et de leur donner les connaissances qui sont nécessaires à tout citoyen, quelle que soit leur profession ». Ce plan, inspiré à Le Peletier par le mythe de l’éducation spartiate très en vogue chez certains révolutionnaires, ne verra en réalité jamais le jour ; il suscite une vive opposition venant notamment de l’abbé Grégoire et surtout de Condorcet, ce dernier fermement (et lucidement) opposé à la philosophie sous-jacente : « ce moyen peut former sans doute un ordre de guerriers ou une société de tyrans mais il ne fera jamais une nation d’hommes, un peuple de frères ».

Quelques mois plus tard, avec la chute de Robespierre, le plan est définitivement abandonné.

Ce projet, de nature totalitaire, trouve sa source dans une idéologie très forte et de bien naïves illusions. Ainsi, cette idée selon laquelle une éducation commune serait l’assurance de citoyens vertueux et que, la fin justifiant les moyens, l’enfant, dès son plus jeune âge, devait rentrer dans un moule : « (...) la totalité de l’existence de l’enfant nous appartient : la matière ne sort jamais du moule ; aucun objet extérieur ne vient déformer la modification que vous lui donnez », explique Le Peletier dans son projet. L’enfant-matière, l’enfant-objet est d’autant moins considéré comme une personne que ses propres parents se voient dépouillés de toute prérogative éducative pour être ramenés au rang de simples géniteurs. Sans l’ombre d’une hésitation, le conventionnel Rabaut Saint-Etienne pouvait affirmer en 1792 : « La doctrine de l’éducation nationale consiste à s’emparer de l’homme dès le berceau et même avant sa naissance ; car l’enfant qui n’est pas né appartient déjà à la patrie. Elle s’empare de tout homme sans le quitter jamais, en sorte que l’éducation nationale n’est pas une institution pour l’enfant mais pour la vie tout entière ».

Rétrospectivement, avec le recul des siècles et l’expérience des régimes autoritaires du 20e siècle qui chercheront, eux aussi, à « s’emparer des hommes », ce projet de Le Peletier fait froid dans le dos… comme fait froid dans le dos le projet d’école obligatoire en préparation pour la rentrée 2021. Car, même en tenant compte de la distance des siècles, du contexte de l’époque et donc du risque d’anachronisme, on peut quand même se demander si ces fantasmes éducatifs brutaux qui étaient ceux de l’époque révolutionnaire sont si différents des préoccupations qui sous-tendent aujourd’hui l’idée d’école obligatoire :

- même volonté de placer toute une classe d’âge sous la surveillance de l’état, d’une administration, d’un ministre… d’un parti ;

- à travers la volonté de priver les parents d’un droit de regard sur l’éducation de leurs enfants, en réalité, c’est une même méfiance viscérale pour la société civile qui s’exprime ici ;

- même incapacité à penser l’éducation en dehors d’une forme collective rigide qui n’est pourtant qu’une construction historique pas plus légitime que les autres ;

- même indifférence à la liberté de conscience des individus, censés plier sans aucune critique possible devant une morale d’état (qui s’exprime aujourd’hui par l’intermédiaire de cours d’éducation dite « morale et civique », gangrenée par une vision identitaire de la vie en collectivité, une éducation dans laquelle les « valeurs de la république » ont surtout pour objet – à travers un bourrage de crâne pluriannuel – de conforter un ordre politique et social indiscuté, tabou, parce que « républicain », des valeurs dont il est bien précisé qu’elles doivent être « partagées » par tous les élèves…) Et lorsqu’un ministre de l’Education (de gauche... septembre 2012)), appelant à un « redressement intellectuel et moral », explique à qui veut l’entendre que « la morale laïque, c’est (…) distinguer le bien du mal. (…) Il faut assumer que l’école exerce un pouvoir spirituel dans la société (…) », c’est bien au projet d’une religion d’état qu’il se réfère. Avec toutes les contraintes, toutes les violences qui vont avec.

- même illusion, largement répandue dans l’opinion publique et dans le débat politique, selon laquelle l’école serait à la source de tous les problèmes de société et qu’il suffirait de scolariser les enfants (ou de réformer l’école) pour se dispenser d’avoir à se réformer soi-même.

En réalité, autant de faux-fuyants, de mauvais prétextes, qui aboutissent tous à accréditer l’idée que l’intérêt pour l’enfant se confondrait nécessairement avec l’intérêt de l’enfant, que l’éducation serait d’abord un projet d’avenir auquel on pourrait en toute bonne conscience sacrifier (ou consacrer) l’enfant présent. Mais quand le projet d’avenir est défini et imposé par le pouvoir en place, quelle que soit la nature du régime politique, en quoi est-il légitime ?

Une question qui renvoie au droit de l’enfant au respect, défendu en son temps (qui est finalement le nôtre) par Janusz Korczak :

"(...) C’est comme s’il y avait deux vies : l’une, sérieuse, respectueuse, l’autre inférieure quoique tolérée avec indulgence. Nous disons : le futur homme, le futur travailleur, le futur citoyen. Ce qui veut dire que la vraie vie, les choses sérieuses commenceront pour eux plus tard, dans un avenir lointain.

Eh bien non, puisque les enfants ont toujours été et seront toujours. Ils ne nous sont pas tombés du ciel par surprise pour ne demeurer avec nous qu’un peu de temps. Un enfant n’est pas une relation qu’on rencontre au hasard d’une promenade et dont on peut se dégager rapidement par un sourire ou un simple bonjour.

Les enfants constituent un important pourcentage de l’humanité, de ses peuplades, peuples et nations en tant qu’habitants, nos concitoyens, nos compagnons de toujours. Ils ont été, ils sont, ils seront.

Une vie pour rire, cela n’existe pas. Non, l’enfance ce sont de longues et importantes années dans la vie d’un homme (...)"

Janusz Korczak, Le droit de l’enfant au respect, 1929, trad. française Robert Laffont, 1979.

 

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