mercredi 6 avril 2022

Pestilentielles 2022 : les grenouilles qui demandent un roi

Des foules en extase devant un hologramme, des marées de drapeaux tricolores enveloppant un tribun perché sur sa tribune, des visages passant et repassant plusieurs fois par jour, chaque jour, chaque semaine sur les télés et dans les radios, ressassant chaque jour, chaque semaine les mêmes discours, déroulant le même catalogue de promesses auxquelles chaque électeur est censé croire, beuglant les mêmes slogans, les mêmes invectives reprises en chœur par l’auditoire du jour : une campagne électorale qui donne une singulière image de la vie politique en France, dominée par la figure du chef traçant la voie pour son peuple. Mais ici, le peuple est surtout un troupeau.


La tare de la république, c’est d’abord la personnalisation du débat politique réduit à la proclamation d’un programme conduit par un leader. Un programme conçu comme un évangile, indiscutable ; un leader vénéré comme un grand prêtre, indiscuté. Une conception de la démocratie qui rejette la contestation, la nuance, la différence, le dialogue, qui sont pourtant – ou devraient être – constitutifs de la démocratie. Mais pas en France où le jeu politique consiste à conquérir le pouvoir pour l’exercer sans partage, avec comme conséquence notable l’infantilisation de la société privée de ses prérogatives, de ses compétences, et surtout de son devoir de critique… mais une société qui s’en prive volontairement lorsqu’elle adhère sans barguigner à cette déresponsabilisation collective qui, circonstance aggravante, lui fait préférer les politiciens les plus bavards, les plus bruyants, les plus agités, les bateleurs et les charlatans. 


On s’étonnera toujours devant la persistance, dans un pays pourtant très fier de ses institutions dites républicaines, de réflexes archaïques qui, par certains côtés, exhalent des parfums d’Ancien régime, un peu comme si les révolutions du passé n’avaient pas changé grand-chose dans la représentation des relations entre l’Etat et les gouvernés. Comme s’il était plus confortable de se donner un guide, quitte à le vilipender ensuite, voire à le renverser, que de se prendre soi-même en charge, individuellement ou collectivement.


Cette propension bien française – sans doute moins visible dans la plupart des pays européens – n’est peut-être pas sans rapport avec une certaine forme d’éducation civique et historique dispensée par les programmes scolaires qui aboutissent à une véritable sacralisation de la république. Là, où, par principe, l’exercice de l’esprit critique devrait être la règle, la formation du citoyen se trouve ramenée à un discours surplombant, hors sol, délivrant une vérité absolue, excluant par avance toute remise en cause. Cette approche du civisme scolaire n’est certes pas une chose nouvelle, déjà omniprésente dans les programmes de la 3e République naissante, renforcée à partir des années 80 par la volonté d’un ministre (Chevènement, passé aujourd’hui à l’extrême-droite) de faire naître chez les élèves « l’amour de la république »,  puis dérivant depuis les attentats de 2015 vers un véritable bourrage de crâne autour de « valeurs de la république » promues au rang de dogme absolu qu’il est interdit de transgresser, sous peine de sanctions. « Chaque fois que sera prononcé un mot qui met en cause une valeur fondamentale de l'école et de la République, il y aura une réaction » : expliquait Hollande (21/01/2015),  fixant ainsi à toute une administration – celle de l’EN – une ligne de conduite particulièrement perverse, et assez totalitaire dans son principe, consistant non seulement à surveiller et à punir mais à ériger en « faits de violence et événements graves » la simple contestation, légitime, d’un régime politique et social, la république.


Quel rapport avec la campagne électorale ? Tout simplement que cette orientation idéologique de l’éducation morale et civique a peut-être à voir avec une tendance notoire, largement répandue, à assimiler la république à ses dirigeants et à attribuer à ces derniers, quels qu’ils soient, quoiqu’ils fassent, toutes les vertus d’un régime idéalisé et à leur conserver une confiance aveugle. A force de rendre un culte à ses institutions politiques, notamment par leur enseignement scolaire, à force de confondre le domaine de la foi et celui de la raison, il ne faut pas s’étonner si les électeurs appelés à s’exprimer, développent davantage des habitudes de fidèles que de citoyens éclairés : la complaisance pour les sermons, les discours tout faits, le manque de clairvoyance, l’incapacité à concevoir une autre forme de gouvernance que celle qu’incarne un chef absolu, la faible capacité à contester et à résister.


En outre, à l’école, la vénération qui entoure la république est comme un fil rouge traversant l’enseignement d’une histoire essentiellement nationale (largement dominante à l’école élémentaire), tout entière construite autour de la promotion d’un régime idéalisé, glorifié, incarné par d’intouchables héros qui continuent, comme par le passé, à structurer la formation civique des élèves – en fait un endoctrinement – et, peut-on penser, la conscience politique des électeurs. Dans un pays très fier de sa laïcité, de l’héritage des Lumières, il est frappant de constater à quel point l’adhésion obligée à la république reste une affaire de foi, de croyance quasi religieuse et, fatalement, de soumission à l’autorité qui la représente. 


Si l’école n’est évidemment pas responsable à elle toute seule de cette pantomime électorale, ce n’est pas une raison pour s’interdire de réfléchir à ce que pourrait être une éducation civique débarrassée de sa galerie historique de phraseurs, de baratineurs et de tartarins (que d’aucuns persistent à considérer comme les « grands héros de l’histoire de France ») qui confisquent aujourd’hui encore la démocratie.

 

Sur les grenouilles en question, la Fable de La Fontaine est ici.



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